C’est une première au Togo. Une faculté des Sciences vient d’élire une femme comme doyenne. Cela se passe à l’université de Kara, deuxième université publique du pays, située dans le nord. En effet, la faculté des Sciences de la santé de l’université de Kara (FSS-UK) est dirigée depuis la rentrée universitaire 2024-2025 par une doyenne en la personne de Grâce Prénam Houzou-Mouzou.
Un choix qui ne doit rien au hasard. Plus jeune professeure titulaire du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES) en 2022, elle avait déjà été major de sa promotion au concours d’agrégation en 2018. Par ailleurs médecin militaire, elle est actuellement cheffe du service de rhumatologie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Kara.
“Notre principale vision, c’est de faire de la Faculté des sciences de la santé de l’université de Kara un pôle de formation de référence dans la sous-région ouest-africaine”
Grâce Prénam Houzou-Mouzou, université de Kara, Togo
Dans cet entretien accordé à SciDev.Net, Grâce Prénam Houzou-Mouzou se confie sur son parcours et son engagement à faire de la FSS-UK un pôle de recherche de référence en Afrique de l’Ouest.
Qu’est-ce qui a motivé votre candidature à la tête de la faculté des sciences de la santé de l’université de Kara ?
Je dirais que la première fois que j’ai postulé, c’était au poste de vice-doyen. Et cette candidature n’était pas évidente parce que je n’y avais pas pensé, mais ce sont mes pairs qui avaient convaincu mon doyen de l’époque de faire équipe avec moi. Une fois que j’ai été convaincue et que je me suis mise à l’administration, j’ai beaucoup appris et j’ai travaillé avec plaisir.
C’est surtout le plaisir de servir les collègues, les étudiants et la communauté universitaire qui m’a motivée à postuler au poste de doyen lorsque l’occasion s’est présentée. Et justement, à cette étape, je crois que les collègues ont vu le dévouement que j’avais pour leur rendre service et pour gérer les différentes activités de la faculté.
Je pense que c’est ce qui a été déterminant, en plus de l’esprit de cohésion qui a régné durant notre mandat. Je crois que tout cela a contribué à amener les pairs à porter leurs choix sur nous.
Quels sont vos projets, vos priorités pour les trois prochaines années ?
Notre principale vision, c’est de faire de la Faculté des sciences de la santé de l’université de Kara un pôle de formation de référence dans la sous-région ouest-africaine. Et cela passera par l’atteinte de nos trois missions, qui sont l’enseignement, la recherche et les soins qui constituent le volet service à la communauté de notre faculté.
Ainsi, nous envisageons d’œuvrer pour la rédaction d’un plan stratégique de développement de notre faculté, avec pour priorité l’ouverture d’autres filières, notamment la filière pharmacie, dans un premier temps, d’ici deux ans, et ensuite la filière odontostomatologie. Ces deux filières ne sont disponibles actuellement qu’à l’université de Lomé.
En dehors de cela, nous souhaitons élargir l’offre de formation pour les parcours postdoctoraux, notamment les diplômes d’études spécialisées (D.E.S.). Nous avons commencé avec le D.E.S. de gynécologie et nous travaillerons avec les collègues pour que les médecins que nous formerons ici, à la fin, ne soient pas obligés d’aller forcément à Lomé, la capitale, pour se spécialiser.
Nous allons aussi accorder une attention particulière à la qualité de la formation, avec l’augmentation du nombre d’enseignants et le devenir de leur carrière, pour qu’ils puissent également accéder rapidement au grade supérieur du CAMES. Pour les étudiants que nous formons, nous allons continuer de veiller à ce que leur insertion professionnelle soit effective et également maintenir la cohésion avec tous les acteurs de la faculté.
Plus jeune professeure titulaire du CAMES en 2022, major de votre promotion au concours d’agrégation en 2018. Vous êtes médecin militaire et actuellement cheffe du service de rhumatologie du CHU Kara. Quels sont les facteurs de réussite de votre parcours ?
Les principaux secrets, je dirais que ce sont la détermination et l’organisation. Être déterminé à atteindre un objectif, et une fois que l’on se fixe un objectif, que ce soit devenir maître-assistant, agrégé ou professeur, il faut se renseigner pour identifier les moyens d’y arriver. Et une fois que l’on connaît les moyens, il faut savoir que rien ne s’obtient sans sacrifice. Donc, c’est au prix de nombreux sacrifices que ces résultats ont été possibles. Sacrifice des loisirs et un véritable don de soi.
Ainsi, nous avons gravi progressivement ces échelons. Côté organisation, il faut tout planifier. En tant que femme, cela implique de planifier la maternité, la carrière universitaire et les recherches. Un autre point capital, c’est d’accepter de travailler plus que d’habitude parce que l’on veut atteindre un objectif.
L’appui de la famille a également été déterminant pour atteindre ces objectifs. Donc, pour résumer : détermination, organisation, don de soi, sacrifices, notamment dans certaines activités, et, côté militaire, la discipline. D’ailleurs, je peux dire que tout commence par une autodiscipline avant d’être discipliné par rapport à son environnement.
Comment avez-vous surmonté les clichés qui, dans nos pays, ne prédestinent les femmes ni à de longues études ni à une carrière dans le domaine scientifique ?
Tout commence par le mental, ça commence par la tête. Peut-être que mon histoire personnelle m’a forgée un peu. Je suis la seule fille de mes parents, une fille dans une fratrie de sept enfants, donc déjà à la maison, moi, je me comportais comme un garçon. Et dans ma promotion d’entrée à l’ESSAL (école du Service de santé des armées de Lomé), j’étais également la seule fille sur la trentaine de candidats que nous étions en première année.
Donc, côté formation militaire, je me battais pour qu’on ne dise pas que c’est la fille qui est encore derrière. Je battais même certains garçons dans certaines activités physiques. Et également, j’étais la première fille à passer le concours d’internat à l’ESSAL, où j’ai eu à suivre mes études médicales et militaires. Donc, comme je le disais, tout n’est que question de mental. Il faut penser à briser ces barrières dans la tête. Et pour moi, personnellement, la différence n’est que d’ordre physiologique.
A partir du moment où on brise la différence dans la tête, il faut se dire qu’en tant que femme, on est davantage regardée. Une fois qu’on embrasse une carrière où, traditionnellement, ce sont les hommes qui sont majoritairement impliqués, il faut que cette femme se dise : Ah, on me regarde plus, donc j’ai une obligation de résultat. Elle doit se surpasser, travailler même plus que les hommes pour mériter sa place au sein de cette corporation essentiellement masculine, en redoublant d’efforts pour y arriver.
En tant que professeure titulaire de rhumatologie, comment contribuez-vous à l’évolution de cette discipline au Togo ?
En tant que rhumatologue, le b.a.-ba, c’est d’assurer les consultations de rhumatologie et les hospitalisations, et en tant qu’enseignante, nous intervenons également dans l’enseignement de cette unité d’enseignement au sein de notre faculté.
Nous saisissons cette occasion pour exhorter les jeunes, surtout les femmes, à s’intéresser à cette discipline passionnante dans laquelle il y a très peu de situations d’urgence. Je pense que c’est une spécialité compatible avec une vie personnelle ou familiale relativement calme.
Que conseillez-vous aux jeunes filles togolaises et africaines qui embrassent des filières scientifiques ?
Je voudrais les exhorter au don de soi et à la recherche de l’excellence en toutes choses, même les plus petites. Évitez au maximum la paresse. Je les exhorte également à être dignes, à penser à préserver leur dignité et à mériter leurs postes ou leur réussite. Il ne faut pas rechercher la facilité. Elles doivent chercher à se respecter et à conserver leur dignité féminine.
De plus, aujourd’hui, la tendance, aussi bien sur le plan national qu’international, offre des opportunités de réussite aux filles et aux femmes, avec un quota réservé aux initiatives féminines ou aux femmes dans plusieurs domaines. Donc, je pense que c’est une occasion en or, non seulement dans le domaine médical, mais également dans tous les autres domaines où elles ont un talent, pour se mettre en valeur.