vendredi, novembre 22, 2024

La RTSisation des télévisions privées

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Lorsque Walf tv démarrait ses programmes en 2007, le journaliste Abdou Latif Coulibaly l’avait qualifiée de ‘’radio filmée’’. A l’époque, le nouveau-né n’avait pas encore les moyens d’une vraie télévision, ce qui fait qu’on entendait plus qu’on ne voyait. Plus de 15 ans après, à une époque où il y a une vingtaine de télévisions (ministère de la communication), le Sénégal a encore connu des radios filmées avec les manifestations nées de la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison dans le dossier de viol et menace de mort l’opposant à Adji Sarr.

En effet, nos télévisions privées ont été tout sauf des télés, si l’on considère que le propre et la particularité de la télévision, ce sont les images. En journalisme, on a coutume de dire que la radio annonce, la télévision montre et la presse écrite explique. Or, ici, même la Une des journaux ont proposé plus d’images que les télévisions. Il faut le dire : avec ces événements de juin 2023, on a assisté à une RTSisation presque aboutie des télévisions privées sénégalaises.

En effet, au moment où le public cherchait à s’informer sur la situation du pays, on avait parfait droit à une série par ici, des mickeys par là ou un documentaire ou grand reportage totalement sorti du contexte. Le téléspectateur à beau zapper, le constat est alarmant : les télévisions privées (2stv, Tfm, Sen tv, Itv, 7tv…) ont à la limite fait un blackout sur l’information à divers moments. Pour une fois, la RTS n’a pas fait pire, pas plus que le Soleil à travers sa Une du lendemain des manifestations.

Et lorsque les télévisions se sont résolues à traiter l’information, on croit pouvoir remplacer les faits par une occupation du plateau. On nous propose un décryptage de ce dont on n’est pas encore informé par ces télés. Des analyses parfois pertinentes certes, mais le plus souvent des commentaires et par moment même du simple ‘’wax sa khalaat’’. Combien sommes-nous, y compris les journalistes, parfois même ceux qui travaillent dans ces médias, à avoir cherché des alternatives sur le net pour nous informer de la situation ?

Quel est le rôle du journaliste, d’un média, si ce n’est d’abord et avant tout donner l’information ? Lorsqu’il s’agit d’une télévision, on attend ces informations sous forme d’images. D’ailleurs, le principal reproche que l’on fait souvent à la télévision, c’est de ne s’intéresser qu’aux informations pour lesquelles elle peut avoir des images. Ce qui fait que des sujets très importants et très intéressants sont souvent royalement ignorés par la télévision, parce qu’il n’y a pas d’image.

Aujourd’hui, on a assisté à l’effet contraire : des télévisions qui ignorent un sujet pour lequel il y a abondamment d’images. On nous rétorquera certainement l’argument de la responsabilité des médias, comme on l’a déjà entendu avec certains patrons de presse. Mais ce serait sans doute une nouvelle responsabilité sortie directe des usines sénégalaises de fabrication d’opinion. C’est à croire que les responsables des télévisions privées ne suivent pas ce qui se passe ailleurs.

Au Sénégal, on aime donner des exemples venus de France et des Etats-Unis. Or, dans chacun de ces deux pays, des édifices ont été attaqués, des actes de vandalismes notés, de simples manifestations également. Nous avons vu une bonne partie de ces images sur CNN, CBS, France 24, Tv5 ou encore Bfm Tv. Nous sommes tous d’accord que les médias ont une responsabilité, surtout dans des moments de tension. Mais il y a une très nette différence entre attiser le feu et rendre compte. On peut bel et bien montrer les images, la réalité telle qu’elle est sur le terrain, sans pour autant souffler sur les braises.

Malheureusement, Babacar Diagne et le Cnra ont presque fini de réussir une prouesse, celle qui consiste à vassaliser les télévisions. En réussissant à réduire Walf tv au silence, sans presque aucune solidarité (si ce n’est de forme) de la part des autres télévisions, ce Cnra qui ne répond plus aux textes, s’impose non pas un organe de régulation, mais de répression, entre les mains du régime.

On ne sait pas si les patrons et les responsables des télés agissent ainsi parce qu’ils ont peur ou qu’ils sont convaincus, mais le résultat reste le même, les télévisions ont déserté. Et puisque la nature a horreur du vide, ces réseaux sociaux tant décriés vont prendre la place progressivement.

Et à ce rythme, un tik-tokeur ou Youtubeur sera plus légitime que n’importe quel présentateur-vedette d’une télévision. Il sera déjà trop tard pour s’apitoyer sur le sort des journalistes et des médias classiques.

 

Source: Enqueteplus