On le répète assez, l’inflation est plus élevée aujourd’hui qu’elle ne l’a été ces trente dernières années. Les causes sont multiples, des retombées du Covid à la guerre en Ukraine. Ainsi, on arrive en France à environ 6 % d’inflation dans les 12 derniers mois, et même autour de 10 % pour l’agroalimentaire.
Par ailleurs, le marché de la communication en France a énormément baissé (autour de 20 %) durant la crise du Covid. Alors que l’année 2022 devait permettre de revenir à la normale et même de dépasser largement les résultats de 2019, la crise actuelle rebat les cartes. En effet, certaines marques, notamment dans l’agroalimentaire et l’automobile, revoient fortement leurs investissements publicitaires. Le marché devrait cependant repartir à la hausse de 7 % par rapport à 2021.
Dans ce contexte difficile, on peut se demander comment la publicité réagit à l’inflation, comment elle évolue et change de discours. Mais on peut aussi se demander vers quel type de discours il faut s’orienter.
Des ressorts très simples
À ce titre, on peut noter que si un léger recours à l’humour peut dédramatiser la situation, les ressorts publicitaires restent souvent très simples : les promesses faites par les marques sont le plus souvent concrètes et liées à une économie d’argent.
Durant d’autres périodes plus anciennes d’inflation, certaines publicités appelant à la sobriété (ou à la chasse au gaspi) ont fleuri. En 1975, crise du pétrole oblige, Volkswagen démontrait clairement que sa Golf pouvait être économe en énergie sans être avare en puissance. Avec Jetta, le constructeur allemand proposait dix ans plus tard un produit anti-crise au contenu très sexiste.
En 2005, E. Leclerc détournait l’iconographie de mai 68 en prétendant défendre les droits des consommateurs et leur permettre d’acheter moins cher : l’entreprise maquille ainsi son intérêt commercial en intérêt général (tout comme l’a fait Volkswagen précédemment, en somme).
La lutte contre les prix chers s’est depuis propagée à d’autres enseignes, par exemple Carrefour qui met en avant une large offre de produits à moins d’un euro, ou Lidl qui propose de rembourser 5 % des courses grâce à une carte de fidélité virtuelle. Cette stratégie a permis à l’enseigne allemande de conquérir un million de porteurs de cartes en une semaine.
Chacune de ces trois enseignes, tout en se positionnant sur l’axe des prix bas et de la lutte contre l’inflation, occupe un terrain différent : la carte fidélité pour Lidl, le bouclier anti-inflation pour Leclerc et les produits à moins d’un euro pour Carrefour. Il reste donc assez peu de place pour les concurrents, qui devraient rivaliser d’ingéniosité ou sinon trouver d’autres axes que celui du prix. On peut être frappé par l’aspect minimal des publicités en question : pour montrer qu’on veut faire économiser de l’argent aux consommateurs, les distributeurs n’hésitent pas à dépenser des millions d’euros en achat d’espace publicitaire mais ils rognent sur les coûts en réalisant des visuels très pauvres : packshots sur fond blanc pour E. Leclerc, vidéo tournées au téléphone portable pour Carrefour. On n’est pas à une contradiction près.
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En dehors de son initiative pour le moins suiviste qui consiste également à bloquer des prix, l’offre de Monoprix, qui consiste à proposer des paniers-repas à bas prix pour les étudiants, correspond ainsi mieux à son image de marque, très axée sur la vie dans la ville. L’enseigne nonagénaire montre ainsi qu’elle est à l’écoute de sa clientèle et qu’elle lui apporte un réel soutien en temps de crise, tout en se démarquant intelligemment de sa concurrence.
Dans le secteur bancaire, Boursorama a récemment mis en avant ses frais peu élevés, et ce avec une affiche au fort impact visuel. L’idée ainsi est de fournir des « illustrations très concrètes des économies du quotidien ».
Downsizing et cheapflation
En revanche, les marques de grande consommation, notamment, semblent plus frileuses et s’aventurent moins sur le sujet de la crise et de l’inflation. D’une part, comme nous l’avons vu, certaines réduisent leur budget de communication en cette période. D’autre part, il peut y avoir quelque inquiétude à aborder l’aspect prix dans un contexte où il semble important de se différencier et de mettre en avant son capital-marque.
En revanche, elles peuvent jouer des tours assez peu éthiques aux consommateurs en ayant recours au downsizing (ou shrinkflation), c’est-à-dire en réduisant la quantité de produit tout en gardant le même prix. Je vous laisse chercher des tablettes de chocolat de 90 grammes ou des bouteilles d’eau gazeuse à 1,15 litre… Dans le même ordre d’idée, elles peuvent avoir recours à des ingrédients de moins bonne qualité afin d’augmenter leurs marges (on parle alors de cheapflation).
Comment se différencier ?
Dans ce contexte, quelle serait la meilleure solution de communication pour les fabricants ? Dès 1994, un article de Chaptal de Chanteloup incite les marques à se différencier en faisant rêver (« Renault Twingo, à vous d’inventer la vie qui va avec »). Il distingue ainsi le pourquoi, qui se situe au niveau du rêve, du comment (la rationalité du produit).
On retrouve ici une distinction bien connue des chercheurs en marketing, qui dénombrent généralement trois types de bénéfices associés à la consommation d’une marque : les bénéfices fonctionnels (protéger du froid, de la faim, nettoyer…), expérientiels (les sensations procurées par l’utilisation des produits de la marque, par exemple un goût piquant, un produit qui réveille, qui apporte de la variété…) et symboliques (comme le besoin d’approbation sociale, la nature, la séduction…).
Ces deux premiers types de bénéfices renvoient au comment, le dernier au pourquoi. Le comment devrait ainsi être au service du pourquoi. Le consommateur étant adulte, aguerri à la publicité et au discours des marques, il s’agirait ainsi de se différencier en faisant appel au rêve, au symbolique. La marque ne doit pas se contenter de montrer ce qu’elle sait faire, elle doit aussi emmener le consommateur « ailleurs », le faire rêver.
En 2022, rien n’a changé, puisque Pinguet invite les marques à se distinguer via leur storytelling, en injectant de l’humour et du rêve dans leurs discours. Il s’agirait de faire des « pas de côté » dans la communication, comme dans le cas de la Renault Captur e-Tech Hybride, en invitant les consommateurs à préférer la marche. Il serait également possible de faire de la pédagogie en expliquant aux consommateurs pourquoi les tarifs évoluent. Mais ce discours publicitaire ne tiendrait-il pas du greenwashing et d’un certain opportunisme, déjà dénoncé par Pras en 2009 ?
On peut penser que pour la plupart des marques et enseignes, un discours monolithique n’est pas adapté. Tout le monde ne peut promettre de meilleurs prix que les concurrents. Il semble important, par un storytelling adapté et éthique, d’offrir aux consommateurs des produits générateurs de bénéfices symboliques, qui permettront de se distinguer de la concurrence tout en étant transparents sur d’éventuelles augmentations de prix mais aussi sur la composition de leurs produits.
On peut aussi, à l’instar de Monoprix, établir de nouvelles offres adaptées à sa cible et présentant une réelle plus-value. Enfin, une dernière possibilité consisterait à la co-création entre la marque et les consommateurs : en impliquant des consommateurs lors de la création d’un nouveau produit, le fabriquant pourrait alors augmenter significativement le consentement à payer.
Michaël Korchia, Professeur Senior en marketing, Kedge Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.