En matière de sécurité humaine, nous devons revoir la stratégie de réponse aux crises, afin d’améliorer l’efficacité et la coordination de l’aide humanitaire en Afrique.
Voilà des années que nous alertons sur les risques de crises sécuritaires, alimentaires et climatiques en Afrique, qui se concrétisent malheureusement sous nos yeux.
Dans la Corne de l’Afrique, une situation de famine va en s’aggravant, dans une relative indifférence générale. En Somalie, où la sécheresse a entrainé le déplacement d’un million de personnes, les Nations unies estiment que 41 % de la population fera face à une insécurité alimentaire aggravée, d’ici décembre, si l’aide déjà déployée sur le terrain n’est pas démultipliée.
La raison d’être de l’Agence humanitaire de l’Union africaine est d’améliorer l’efficacité et la coordination de l’intervention humanitaire ; sa démarche s’inscrit dans le cadre plus général de l’Architecture africaine de paix et de sécurité.
Au plan global, les besoins de financement pour l’aide d’urgence ont atteint 49,5 milliards de dollars cette année. Avec 17,6 milliards$ reçus jusqu’à présent, l’écart est de près de 32 milliards. Le plus grand jamais atteint, selon le Fonds central d’intervention d’urgence (CERF) des Nations unies, dans un contexte où les crises ne cessent de se multiplier, nous rappelant à quel point il serait préférable de prévenir, plutôt que de guérir.
Les catastrophes climatiques se répètent ces dernières années sous forme de cyclones, d’orages, d’épisodes de sécheresse ou au contraire d’inondations. Elles ont triplé depuis 1981 et vont aller en s’aggravant. L’urgence d’une action internationale concertée est pointée par le dernier rapport du Think tank australien Institute for Economics and Peace (IEP) sur les Menaces écologiques, à la veille de la COP27 en Égypte. L’enjeu : anticiper sur les besoins des 27 pays du monde les plus touchés par des crises à la fois sécuritaires et climatiques, qui s’auto-entretiennent dans une quadrature du cercle difficile à briser. La raréfaction des ressources naturelles, eau et pâturages, alimente en effet des conflits qui à leur tour contribuent à la destruction des ressources.
Les 27 « hotspots » identifiés par l’IEP se trouvent en Afrique subsaharienne ou dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. Sept des huit pays les plus fragiles sont africains : le Burundi, la Centrafrique, le Congo, l’Ouganda, la Somalie, le Sud-Soudan et le Tchad. En outre, la croissance démographique, qui reste forte en Afrique, va rendre certains pays encore moins résilients, en raison de la pression très prévisible qui sera exercée par la demande en services sociaux de base – eau, santé, éducation.
Toutes les données sont disponibles, sur un horizon à moyen terme qui s’assombrit, au point de remettre en cause certaines des avancées faites vers l’atteinte des ODD (Objectifs de développement durable). Face à un tableau sécuritaire qui n’est « pas reluisant », comme l’a souligné le président du Sénégal Macky Sall, à l’ouverture du dernier Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, un changement radical de perspective s’impose. La communauté internationale va devoir cesser d’agir en sapeur-pompier, mais plutôt investir en amont dans la sécurité humaine.
Dans un contexte où tout est à repenser, pour sortir d’une logique de saupoudrage et faire aboutir des programmes d’envergure, l’Agence humanitaire de l’Union africaine (AHUA) représente l’une des premières pierres d’un nouvel édifice. En projet depuis 2016, cet organisme vise à combler une immense lacune, en permettant à l’Afrique, où se déroule 75 % de l’activité humanitaire globale, de prendre en main sa propre aide, avec ses gouvernements, ses communautés économiques régionales et ses partenaires internationaux.
Une connaissance plus fine du terrain
Sa raison d’être, améliorer l’efficacité et la coordination de l’intervention humanitaire, s’inscrit dans le cadre plus général de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA), qui insiste sur l’« alerte précoce, la prévention, l’action humanitaire et la gestion des catastrophes pour atténuer les souffrances des personnes déplacées ». Sur les rails depuis mai 2022, l’AHUA compte se tourner vers tous les gisements de ressources africaines et d’ailleurs encore inexploités, notamment du côté du secteur privé.
Porté par une volonté politique forte, cet élan améliorera l’efficacité de la réponse humanitaire à travers l’Afrique, en se basant sur des connaissances fines du terrain local. Un point essentiel, comme l’expérience nous l’a démontré, par exemple dans la maîtrise rapide de l’épidémie d’Ebola, entre 2014 et 2016 en Afrique de l’Ouest. Ce succès a résulté de l’efficacité du partenariat entre les responsables nationaux, les équipes des agences onusiennes et tout un réseau associatif et communautaire local, ancré dans les territoires.
Pour le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), le lancement de l’AHUA représente une opportunité de faire passer à l’échelle les mécanismes qui ont fait leurs preuves : investir dans des partenariats, dans un véritable esprit de solidarité internationale. L’enjeu pour nous consiste également à partager une longue expérience en matière de prévention, en ciblant les jeunes et les femmes, qui se trouvent au cœur de notre mandat.
Aussi longtemps que nous continuerons à ignorer les racines du mal, les défis vont continuer à s’accumuler, tandis que nos efforts s’avèrent de moins en moins suffisants. La priorité absolue aujourd’hui porte une réponse stratégique, capable de produire de l’impact à l’échelle, de manière soutenable, parce qu’on n’arrête pas la mer avec ses bras !
Mabingué Ngom est conseiller spécial du directeur exécutif de l’UNFPA, et directeur du bureau de représentation de l’UNFPA auprès de l’Union africaine et de la CEA (Commission économique des Nations unies en Afrique).