Le professeur Iba Der Thiam s’est éteint le 31 octobre à Dakar, à l’âge de 83 ans. Il a consacré toute sa vie à l’école parce qu’il était un dévot de sa patrie, un passionné du Sénégal. Son engagement politique pourrait d’ailleurs n’être que le prolongement de son engagement au service de l’école. L’amour qu’il avait pour son pays ne pouvait être contenu dans aucune autre profession. Seul l’enseignement offrait les gages d’expression de mise en valeur de la passion qu’Iba Der avait pour son pays. En véritable fanatique du Sénégal, il savait que l’enseignement est à l’humanité ce qu’est l’agriculture est aux plantes. L’école n’est pas un choix, c’est une nécessité pour tous les peuples : en consacrant toute sa vie à l’école, le Pr Iba Der donnait corps à ses idées humanistes.
Théoricien de l’école nouvelle, il voulait faire de l’éducation la principale locomotive du développement de son pays. On ne peut pas bâtir une république forte et moderne sans un système éducatif adossé à des valeurs humanistes et ouvert sur l’avenir. Car comme l’a dit Hannah, l’éducation est « le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité ». Aussi, pensait-elle, « qui refuse d’assumer cette responsabilité du monde ne devrait ni avoir d’enfant, ni avoir le droit de prendre part à leur éducation ». Il n’y a pas d’humanité sans éducation ; la notion d’humanité elle-même est une idée produite par l’éducation. Tout enseignant, tout éducateur est, pour cette raison, un humaniste, un conducteur et par conséquent, un créateur de destinée. Quel jeune élève ou étudiant ne frémissait de révérence à l’évocation du nom du professeur Iba Der Thiam ? Le rêve de tout apprenant dans les années 80 et 90 était de ressembler au professeur Iba Der
Thiam.
Il était une légende vivante, un mythe qui suscitait l’admiration, l’enthousiasme pour les études et l’émulation.
L’éducation est une architecture complexe d’idées, de valeurs et de diverses autres représentations. Iba Der l’avait très tôt compris : il s’est longuement battu pour l’introduction de l’enseignement religieux à l’école publique. Il savait que la religion est un des vecteurs de la citoyenneté, qu’un vrai croyant est en général un citoyen modèle, que, comme le théorise Hegel, la religion est un des auxiliaires de l’État dans la difficile tâche de formation des citoyen à la vie universelle. Un citoyen suffisamment nanti de connaissances et de valeurs religieuses est définitivement affranchi de la banalité de la vie individuelle et spontanée, il a une conscience de l’universel, il est capable de dépasser sa stricte individualité pour accomplir des actes accessibles à autrui. Parce qu’il savait qu’aucune forme d’éducation ne doit être étrangère au pouvoir régalien de l’État, Iba Der a anticipé certaines problématiques qui se posent aujourd’hui au système éducatif.
Cet agrégé d’histoire qui a fait tous les ordres d’enseignement (du primaire à l’université) et qui a été à la tête de ce ministère a vécu et œuvré pour l’école. Iba Der Thiam fut l’incarnation des qualités requises pour faire carrière dans l’enseignement. Patience, rigueur, générosité et résilience ont parsemé sa vie professionnelle comme sa vie privée. Son exemple doit être donné aux jeunes : rien n’est impossible quand on a la volonté et l’abnégation. Passer de l’enseignement primaire à l’enseignement supérieur est une preuve de courage, de constance dans la recherche, de capacité à planifier ses objectifs. Les témoignages sur son parcours sont unanimes : exemplaire jusque dans l’accoutrement, il cherchait visiblement à inspirer aux élèves le goût de l’école et des études. L’école doit être un lieu où l’enfant voit des symboles qui alimenteront son imaginaire, des icônes qui lui serviront à la fois de boussoles de motivation.
On a l’habitude de dire qu’il n’y a pas d’instruction sans éducation, ni d’éducation sans instruction. Ces propos d’Iba Der semblent le prouver, car ils reflètent la conception qu’il avait du projet de citoyen modèle pour son pays. Les élèves ont, semble-t-il, perdu la foi aux études, ils n’ont plus l’éthique du travail bien fait, ils sont même réputés être aujourd’hui des partisans des solutions faciles : c’est la preuve que l’école a échoué. Une école qui cesse d’être attractive pour les élèves n’en est pas une : c’est une garderie où les enfants sont parqués pour la quiétude des adultes. Il faut que dans les enseignements ainsi que par le cadre physique l’enfant sente son univers socio-culturel à l’école. Il est donc nécessaire de lui inculquer les valeurs du Jom et du Ngor pour le préparer à être un adulte enraciné dans sa culture et capable de s’insérer dans d’autres univers culturels sans perdre son âme. C’est donc tout une programme à la fois pédagogique et morale que véhiculent des valeurs théorisées par Iba Der.
Il ne pouvait en être autrement : sa conception de ces valeurs exprime un trait de sa personnalité. Ne serait-ce que la patience qui a lui a valu son parcours témoigne de sa forte personnalité. Iba Der Thiam, on l’oublie souvent, a été un candidat à l’élection présidentielle : le personnage est fascinant au regard de la diversité des jalons qu’il a posés durant sa vie. A force de méditer sur son parcours on se demande parfois comment, il a pu, en seulement 83 ans réaliser tant de choses ? C’est évident que l’intelligence ne suffit pas pour accomplir une telle prouesse, il faut un supplément d’âme, et c’est justement ce qu’il trouver certainement dans sa conception du Jom et du Ngor. Le Jom et le Ngor, tels que théorisés ici prouvent que, comme aime le dire le professeur Souleymane Bachir Diagne, il n’y a pas de destin forclos, il n’y a que des responsabilités désertées. Iba Der n’a pas déserté les siennes.
Par Pape Sadio Thiam