Les pays africains prennent progressivement conscience de la vulnérabilité de leurs données dans le cyber-espace. Cybercriminalité, stockage des données externalisé à l’étranger, filière numérique embryonnaire : l’Afrique est une colonie numérique. La technologie de chaîne de blocs (Blockchain) pourrait permettre de relever ces défis souverains. Quelles en sont les caractéristiques ?
La prise de conscience des vulnérabilités africaines dans le cyberespace s’affirme progressivement. Parmi elles, la question de la maîtrise et de la protection des données souveraines en constitue l’aspect le plus saillant. Raison pour laquelle les nations du continent mutualisent de plus en plus la réflexion comme à Lomé en mars 2022 ou bien à Abidjan les 9 et 10 mai prochains lors du Cyber Africa Forum.
L’Afrique ne dispose actuellement que d’1,3% des capacités de stockage mondiales. Ainsi, le continent externalise l’essentiel de ses données sur des serveurs étrangers (Irlande, Pays-Bas, etc.). Une situation qui fait peser de vrais risques sur la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité de leurs données. Les normes de sécurité et la réglementation sur l’accès dépendent avant tout des pays hébergeurs. Sans compter les risques consistant à livrer ses données à des entreprises américaines – même sur un serveur africain – régies par le Cloud Act. Or ces dernières contrôlent près de 70% du marché du stockage.
Que vient faire la Blockchain dans tout ça ?
La Blockchain est une technologie qui permet de stocker et transmettre des données de façon sécurisée. Elle est complètement chiffrée et son fonctionnement décentralisé et distribué empêche des autorités étatiques d’accéder aux données qu’elle contient (ou avec beaucoup de mal). Par ailleurs, l’immutabilité de la chaîne de blocs et la traçabilité des opérations qui s’y déroulent rendent difficile toute forme de falsification. Techniquement, les données sont publiques mais on peut les restreindre dans le cadre d’une « Blockchain privée » ou bien d’un système de « pair-à-pair ».
« Ces éléments sont très précieux en cybersécurité car ils offrent une forte protection contre la plupart des cybermenaces : logiciels malveillants (ransomware), confidentialité et transmission de données, déni de service, etc.», indique Goudet Abalé, spécialiste des crypto-actifs et responsable de la communication du Cyber Africa Forum.
C’est dans le domaine du stockage que la Blockchain dispose de ses atouts les plus importants. En général les clouds de données sont gérés par des acteurs uniques au sein de data centers. Non chiffrées, elles sont tributaires des réglementations locales, sans compter les risques de disponibilité (coupure, destruction accidentelle ou volontaire, etc). Or le système chiffré, distribué et décentralisé de la Blockchain permet de contourner ces aspects. Elle permet de segmenter les données, traçables, sur plusieurs serveurs redondants. Ainsi, chaque data center ne dispose que d’une partie de l’information, rendant cette dernière inexploitable ou modifiable.
La technologie Blockchain pourrait accompagner la progressive montée en puissance des capacités de stockage du continent en garantissant la sécurité des données africaines, même à l’étranger. Mais elle pourrait aussi, et c’est là un enjeu majeur, équiper les futures infrastructures africaines. En effet, la Blockchain est en passe de révolutionner toute l’architecture du stockage de l’information dans les data centers ; principalement pour des questions de trafic et de sécurité. C’est précisément cette évolution que doit emprunter l’Afrique le plus rapidement possible. Une évidence pour Pape Gora Guèye, CEO du Colombe Cyber Defense Operation Center (CCDOC), spécialisé en cyberdéfense et sécurité globale, qui déclare : « La Blockchain est une technologie de rupture qui offre d’immenses potentialités – notamment en matière de sécurisation, de sauvegarde et d’authentification des données. Elle peut donc permettre de rendre nos données inaltérables par des couches Blockchain à tous les niveaux…De l’état civil aux documents secret défense. Raison pour laquelle il est fondamental pour nos gouvernements de la considérer dans le cadre de politiques inclusives sur l’open data et la transformation digitale des sociétés africaines. » Pour y parvenir, les États africains doivent poursuivre leur effort de mutualisation de connaissances mais aussi de moyens.
L’avenir de la cybersécurité
La question du rapatriement des données commence à s’imposer à l’échelle panafricaine. La construction de data centers semble, à ce titre, une stratégie payante. Mais elle ne doit pas reposer sur des technologies ou des conceptions qui seront obsolètes dans quelques années.
Or, la Blockchain – technologie de rupture en forte émergence – est déjà bien connue en Afrique, comme au Kenya, pays pionnier, principalement dans le domaine des cryptomonnaies. Comme le précise le CEO du CCDOC, basé à Abidjan et à Dakar : « Nous notons tous la création à foison de fintechs et la ruée vers la cryptomonnaie par cette nouvelle génération Z. Des technologies comme la Blockchain sont à portée de main pour nos jeunes compatriotes. Nous nous devons de relever le défi d’être le premier continent dans les secteurs comme la Blockchain ».
La maîtrise de la Blockchain passe avant tout par la maîtrise des très nombreux savoir-faire techniques qui y sont associés (informatique, mathématiques, cryptographie, etc.). Il s’agit d’un effort de formation qui doit être soutenu et dans la durée. Il s’agit d’un impératif si l’Afrique souhaite sortir définitivement de sa dépendance à l’étranger. L’enjeu est de taille, car dans le cadre de la 4ème révolution industrielle, la souveraineté numérique signifiera peut-être l’indépendance réelle et la prospérité de l’Afrique. Comme le souligne Pape Gora Guèye: «Il est temps et nous avons encore le moyen d’être devant tous les autres continents».