Tiné Ndoye, la soixantaine, dit à qui veut l’entendre qu’elle est née citadine avant de devenir une femme rurale et de se transformer en pionnière dans la production maraîchère.
Une entrée en matière intéressante qui permet à l’actuelle présidente du Réseau national des femmes rurales du Sénégal de parler plus facilement d’une trajectoire si peu singulière, de son parcours de femme battante et puissante.
A Mbawane, un village de la commune de Kayar où elle profite d’une vie de famille accomplie, la renommée de Tiné Ndoye va de soi, en tant que chargée de la gestion du champ collectif et épouse du chef de village.
Il suffit au visiteur de demander où la trouver pour qu’il soit le plus naturellement du monde renseigné et conduit à sa demeure.
‘’Ce bâtiment aux portes en fer est sa maison, mais elle habite de l’autre côté chez le chef de village’’, dit une femme, pointant une bâtisse située sur le côté opposé d’une route attenante à une mosquée, avant de désigner un enfant pour conduire le visiteur du jour à la maison indiquée.
De concession en concession, le guide conduit jusqu’à une ruelle sablonneuse faisant face à une maison avec un grand portail en fer peint en gris. ‘’C’est ici’’, lâche-t-il finalement.
La vaste cour dallée de carreaux cassés multicolores à dominance bleu est entourée de plusieurs bâtiments. Sous un arbre, hommes, femmes et enfants se prélassent, pendant que d’autres habitants profitent de l’air distillé par un grand ventilateur dans un salon.
Tiné Ndoye sort de la chambre attenante au salon, emmitouflée dans un boubou blanc en cotonnade piqué de petites broderies de différentes couleurs visiblement faites à la main.
Native de Rufisque, diplômée en comptabilité
La sueur perle sur son front, un foulard bleu couvrant ses épaules et sa tête laissant entrevoir des cheveux grisonnants.
Elle accueille le visiteur, avant de prendre ses aises dans le grand fauteuil qui fait face à la porte d’entrée, avant de dérouler les différentes étapes qui lui ont fait ‘’aimer la culture de la terre’’, après les salamalecs d’usage.
Née à Rufisque, Tiné Ndoye a grandi à la Cité Filaos, un lotissement moderne près du quartier traditionnel de pêcheurs de Diokoul, dans cette ‘’vieille ville’’ coloniale située à la sortie de Dakar.
Des études en comptabilité au Centre commercial du Cap-Vert à Castors en 1975, spécialité teneur de livres, après l’obtention de son Brevet, la prédestinaient à un emploi de ‘’fonctionnaire’’.
Mais le destin en décida autrement pour Tiné Ndoye, qui est donnée en mariage bien avant son vingtième anniversaire, un cousin cultivateur, avant de donner naissance à des jumeaux, un garçon et une fille, en 1979.
Un an plus tard, elle donne naissance à un autre enfant avant de rejoindre en 1980 ses deux coépouses au sein du domicile conjugal à Bawane, une grande concession entourée de champs à perte de vue.
‘’De citadine, suis devenue une rurale, une situation pas du tout évidente dans une localité où pour seule activité, il n’y avait que le travail des champs’’, explique-t-elle, plongée dans ses souvenirs.
La femme au foyer qu’elle est devenue fait son possible pour se conformer à son destin et meubler son temps dont une grande partie est dédiée aux tâches ménagères : attendre son tour de cuisine, faire à manger pour toute la maisonnée où se côtoient coépouses, belles-sœurs, belles-mères, beaux-frères, neveux et nièces.
‘’J’ai rapidement répondu à l’appel des champs qui entouraient les quelques concessions du village qui appartiennent à la famille de mon mari, ses frères, ses cousins et autres, parce que dans ce village et dans d’autres de la commune de Kayar, on a tous des liens de parenté’’, relève-t-elle, sourire aux lèvres.
De sa nouvelle vie, elle apprend rapidement le travail de la terre en accompagnant aux champs son mari, ses coépouses et leurs enfants pour aider à la mise en place des semis, au désherbage par exemple.
De fil en aiguille, elle arrive à se convaincre que le travail de la terre est un métier comme un autre et s’investit de toutes ses forces aux côtés de sa nouvelle famille dans le maraîchage.
La nature particulière des Niayes feront le reste, étant donné le potentiel de cette bande de terre qui longe le littoral entre Dakar et Saint-Louis et qui pourvoit plus de la moitié de la production horticole du Sénégal.
Mbawane, c’est après la sortie 10 du péage, prendre l’unique route reliant Sangalkam au reste des villages de l’ancienne communauté rurale du même nom.
Une apprentie agricultrice devenue baronne
Un axe serpenté très fréquenté par les camions de matériaux pour bâtiments, du fait de nombreux chantiers de construction de cités et maisons individuelles dans cette zone englobant Keur Daouda Sarr, Keur Ndiaye Lô, le Lac Rose, Sangalkam, Gorom 1 et 2, Ndikirate, Noflaye et Bambilor.
Il faut passer par Bambilor et les villages de Gorom, sortir des limites de la région de Dakar, atteindre Bayakh, Beer, pour voir les tableaux des villages de Diamaguène, Khar Yalla, qui longent la route de Kayar, défiler en alternant champs et concessions, avant de voir apparaitre le tableau indiquant Mbawane.
Au contact de ce monde qui ne vit que par et pour le maraîchage, l’apprentie agricultrice du début des années 1980 s’est muée en baronne et productrice de renom. L’essentiel de ses exploitations agricoles familiales virant avec les années en véritable agrobusiness.
Une évolution qui peut contenter plus d’un, mais là n’est pas le plus important si l’on en croit Tiné Ndoye.
‘’La plupart de femmes n’ont pas de terres et travaillaient pour leurs maris, leurs pères parce qu’on nous a toujours refusé la possibilité d’hériter de la terre, avec l’argument qu’une femme est destinée de toutes les façons à rejoindre son mari, mais là encore, ce n’est pas toujours le cas’’, fait-elle observer.
A titre personnel, Tiné Ndoye peut s’estimer chanceuse, pour avoir bénéficié d’un lopin de terre dans un premier temps, à côté d’un champ prêté par son mari.
Elle se fait par la suite louer des terres toute l’année, pendant et après l’hivernage, pour cultiver des spéculations allant du gombo à l’oseille en passant par les navets, le choux, l’aubergine.
‘’La culture de la terre nourrit son homme. Là où nous sommes présentement ainsi que les deux autres bâtiments dans la cour ont été construits par mon mari avec ses revenus tirés de l’agriculture. Sans compter qu’il est allé faire le pèlerinage à La Mecque deux fois’’, dit-elle fièrement.
Un encouragement à s’investir dans l’agriculture, ne serait-ce que pour la prise en charge surtout de l’éducation des enfants. ‘’Cette terre m’a aujourd’hui tout donnée, a permis de soutenir tous nos enfants, neveux et nièces dans leur éducation et je remercie le bon Dieu de leur réussite’’, confie-t-elle.
L’un des jumeaux de Tiné Ndoye avait émigré en Italie après ses études secondaires, mais sept ans après, il a été convaincu par sa mère de rentrer au bercail.
Partie participer à un forum en Espagne, elle en avait profité pour prolonger son séjour et rendre visite à son fils.
Sur place, elle fait le constat que les conditions de vie de ce dernier n’étaient pas meilleurs que la vie à Bawane.
‘’Légum’s Shop’’, une marque familiale
Convaincu qu’il gagnerait plus dans son terroir en prenant en charge la gestion du champ familial, le fils accepte, plie bagages et revient au bercail, deux mois après le séjour de sa mère, en 2014.
L’exploitation familiale commençait alors à prospérer, les campagnes rapportaient gros, la récolte était vendue sur place et il y avait beaucoup à faire en termes de stocks, de tenue de compte ou de gestion des saisonniers et de la main d’œuvre locale.
Avec sa jumelle et un autre de ses frères, le revenant s’occupe de la gestion des champs et des ventes, alors que l’une des filles de Tiné s’investit dans la transformation des produits avec des jus locaux et de céréales, en plus de la commercialisation des spéculations à travers des points de distribution dénommés ‘’Legum’s Shop’’, cantines bleues visibles le long de la route entre Keur Ndiaye Lô et Kayar.
Avec APS