dimanche, novembre 24, 2024

Et vous, comment vous informez-vous sur Internet?

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La crise sanitaire du Covid a été accompagnée d’un cortège de rumeurs, de fake news et autres théories du complot largement diffusées sur les réseaux sociaux, notamment. Loin d’être innocentes, ces infox ont pu faire douter certains Français de l’efficacité ou de la sécurité des vaccins, quand ce n’est pas de l’existence même de la pandémie. Si Internet peut servir de caisse de résonance aux fausses nouvelles, quel qu’en soit le sujet, son développement a également permis un accès aisé et rapide à de l’information médiatique fiable. Que sait-on de la manière dont les Français exploitent cet univers informationnel foisonnant ?

Des études par sondages, telle que celle réalisée annuellement par le Reuters Institut dans plusieurs dizaines de pays, dont la France, permettent d’identifier les médias que nos concitoyens affirment le plus consulter en ligne, ainsi que l’usage qu’ils disent faire d’Internet pour s’informer. Mais cette méthodologie ne permet pas d’évaluer si les déclarations des répondants correspondent bien à leur comportement informationnel effectif. Pour leur part, les études mesurant le volume global de trafic sur les sites médiatiques n’autorisent guère plus que la production d’un classement des sites les plus populaires dans une région et pour une période données.

Avec la Fondation Descartes, nous avons conduit une étude à la méthodologie innovante afin de décrire de manière plus fine le comportement informationnel des Français sur Internet.

Comment les Français s’informent sur Internet

Pour réaliser cette étude, nous avons demandé à la société Respondi, spécialiste des données digitales, d’enregistrer durant 30 jours l’intégralité de l’activité Internet d’un panel de personnes représentatif de la population nationale. Les données de connexion des 2 372 participants qui composent ce panel ont été enregistrées, urls visitées par urls visitées, sur leurs différents objets connectés personnels (ordinateurs, téléphones portables, tablettes).

Nous avons alors pu analyser leur consultation de 2 946 sources web d’information médiatique préalablement identifiées à l’aide d’un algorithme de classification des sites développé par la société Storyzy. Ces sources regroupent les pages web de la presse papier nationale, régionale et locale, des chaînes télé et radio proposant de l’information, des agrégateurs d’informations tels que MSN actualité, ou encore, de médias « alternatifs » régulièrement accusés de publier de fausses informations. Au terme des 30 jours de l’étude, nous avons adressé aux participants un questionnaire permettant d’établir leur profil sociologique et les interrogeant sur leur rapport à l’information médiatique.

À noter que nous n’avons pas eu accès au « fil » ou au « mur » des réseaux sociaux des participants. Mais cela ne veut pas dire que nos analyses ignorent leur consultation d’informations par le biais desdits réseaux. En effet, nous avons comptabilisé le temps qu’ils ont passé sur les pages Facebook, Twitter et YouTube des sources d’information que nous avons identifiées. Par ailleurs, les participants ayant cliqué sur un article ou une vidéo apparaissant sur leur « fil » ou leur « mur » personnel auront généralement été redirigés sur la page Internet hébergeant ce contenu, où le temps passé a été comptabilisé.

Internet après la télé

Les résultats de notre étude montrent que, dans l’ensemble, les Français s’informent peu sur Internet : en moyenne, 3 % seulement du temps total passé en ligne par les participants l’a été sur des sources d’information médiatique – ce qui, par participant, correspond à un peu moins de 5 minutes par jour de connexion à Internet. À titre de comparaison, chez les Français de plus de 15 ans, la durée moyenne d’écoute quotidienne sur téléviseur des principaux journaux TV est de 20 minutes.

Répartition du temps d’activité sur Internet. L. Cordonier, A. Brest/Fondation Descartes

Précisons que les comportements d’information en ligne des Français que nous avons mesurés sont en réalité très variables. Si 17 % des participants n’ont consulté aucune source d’information médiatique sur Internet en 30 jours, ils sont 5 % à en avoir consulté durant plus de dix heures au total au cours de la même période. On observe que les 50 ans et plus ainsi que les personnes qui se disent particulièrement intéressées par l’actualité s’informent davantage que les autres sur Internet.

L’algorithme de classification des sites utilisé nous a également permis d’évaluer l’exposition des participants à de la désinformation. Il ressort de nos analyses que 39 % d’entre eux ont consulté des sources web connues pour diffuser des informations fausses ou trompeuses au cours des 30 jours de l’étude. Ces participants y ont passé en moyenne 11 % de leur temps quotidien d’information sur Internet, soit 0,4 % de leur temps total de connexion.

Par rapport aux autres participants, ceux qui se sont rendus au moins une fois sur un site diffusant des informations non fiables sur des sujets sociaux et politiques sont proportionnellement plus nombreux à être des hommes, à vivre seuls, à ne pas avoir confiance dans les institutions, le gouvernement et les médias et à se dire intéressés par l’actualité.

Caractéristiques des participants ayant consulté au moins une fois une source de désinformation sociale et politique. L. Cordonier, A. Brest/Fondation Descartes

Le profil des participants ayant consulté au moins une fois un site de désinformation sur des questions de santé est différent. Par rapport aux autres participants, on y retrouve davantage de femmes, de personnes âgées et d’inactifs, dont des retraités. Ces derniers sont également plus nombreux en proportion à tomber dans les filets des sites « pièges à clics », qui diffusent des informations frelatées dans le seul but de générer du trafic sur leurs pages.

Caractéristiques des participants ayant consulté au moins une fois une source de désinformation en santé. L. Cordonier, A. Brest/Fondation Descartes

Papillonnage

Notre étude fait apparaître un comportement de « papillonnage » chez les consommateurs d’informations médiatiques sur Internet, qui semblent passer d’une source d’information à l’autre sans souvent la consulter longtemps. En témoigne le fait que le temps passé sur une source d’information à chaque consultation est de moins de 2 minutes en moyenne. Même si ce temps moyen varie sensiblement entre les participants, il n’est de 4 minutes ou plus que chez 6 % d’entre eux.

En nous intéressant aux sources d’information médiatique en ligne les plus consultées par les participants, il est apparu que les 26 premières d’entre elles totalisent à elles seules 40 % du temps qu’ils ont consacré à s’informer sur Internet. Ce « top 26 » est largement composé des sources web de médias traditionnels – une exception notable étant Wikipedia. Les grands médias traditionnels ont donc réussi à exploiter la visibilité dont ils jouissent hors ligne pour s’imposer comme des acteurs majeurs de l’information sur Internet.

Top 26 des sources d’information les plus consultées sur Internet. L. Cordonier, A. Brest/Fondation Descartes

Une représentation floue de son propre comportement d’information

Dans le questionnaire de fin d’études adressé aux participants, nous leur avons demandé d’indiquer à quelle fréquence ils ont consulté sur Internet au cours des 30 jours précédents une sélection de 15 sources d’information médiatique parmi les plus visitées en France. Pour chacune de ces sources, les participants pouvaient indiquer ne « jamais » l’avoir consultée durant cette période, ou l’avoir fait « au moins une fois sur les 30 jours », « au moins une fois par semaine » ou « plus ou moins tous les jours ».

Afin de savoir si les Français sont globalement conscients des sources en ligne sur lesquelles ils s’informent, nous avons comparé les réponses des 1 536 participants ayant totalement complété le questionnaire avec leur consultation effective de ces 15 sources d’information. Nos analyses montrent que, dans l’ensemble, le fait de déclarer avoir consulté une source d’information « plus ou moins tous les jours » plutôt que « jamais » est associé à une augmentation significative de la probabilité de l’avoir effectivement consultée au moins une fois au cours des 30 jours de l’étude.

Les participants semblent cependant avoir une représentation relativement floue de leur comportement informationnel en ligne. En effet, dans leurs déclarations, ils ont eu tendance à surévaluer de beaucoup leur consultation effective des sources d’information testées. Ainsi, sur l’ensemble, les participants qui ont déclaré avoir consulté « plus ou moins tous les jours » ces sources au cours des 30 jours de l’étude n’ont en réalité que 36 % de chances de l’avoir fait ne serait-ce qu’une seule fois durant cette période – une probabilité qui varie sensiblement d’un média à l’autre. À l’opposé, une proportion non négligeable des participants ayant affirmé n’avoir « jamais » consulté certaines sources sur les 30 jours l’a pourtant fait au moins une fois.

Probabilité de consultation effective des sources d’information en fonction de leur consultation déclarée. L. Cordonier, A. Brest/Fondation Descartes

Peu importe la source ?

Comment expliquer un tel décalage entre ce que les individus déclarent consulter et ce qu’ils consultent effectivement en termes de sources d’information médiatique sur Internet ? Si les données de notre étude ne permettent pas de répondre directement à cette question, on peut tout de même avancer qu’il est difficile pour quiconque de décrire avec précision son parcours informationnel sur le web. Cela nécessiterait un effort d’attention et de mémorisation sans réel intérêt pour les individus.

Plus généralement, au vu du peu de temps passé en moyenne sur une même source médiatique à chaque consultation, il semble que de nombreux internautes se contentent d’une information assez minimale sur le web. Une étude publiée en 2016 a d’ailleurs montré que la majorité des articles partagés par les internautes sur Twitter le sont sans avoir été préalablement lus. C’est donc sur la seule base de leur titre qu’ils ont jugé ces articles intéressants et dignes d’être partagés avec les personnes qui les suivent sur le réseau social.

Dans ce contexte, savoir de quelle source émanent les articles parcourus en ligne n’est peut-être pas une préoccupation majeure pour bon nombre d’internautes. Le problème posé par un tel manque de vigilance quant à l’origine des actualités croisées sur Internet est que de la désinformation peut en profiter pour pénétrer les esprits et être relayée sur la toile par ceux mêmes qui en auront été les premières victimes.

Laurent Cordonier

Sociologue – Docteur en sciences sociales, Université de Paris