De loin, l’homme parait austère. Rien de tel, il est juste poli, effacé, pudique. Brillant universitaire, Professeur Mary Teuw Niane est également un homme politique. Il milite aujourd’hui à l’APR et compte se présenter aux prochaines locales pour être maire de Saint-Louis. Que Macky Sall le désigne comme candidat de BBY ou pas, il ira à ces élections, assure-t-il. Pr Mary Teuw est d’avis qu’on ne promeut pas assez les porteurs de connaissances au Sénégal, ce qui pourrait retarder l’émergence du pays. Pourtant, le Sénégal a du pétrole et du gaz et en tant que président du conseil d’administration de Petrosen, il a diverses pistes qui pourraient contribuer à l’essor du pays.
Où le Pr Mary Teuw Niane a fait ses études ?
J’ai fait mes études primaires à l’école Dakar Bango. Je suis allé après au Cem Abbé Boilat qui s’appelait à l’époque CEG Caseille. J’ai fait le cycle secondaire au Lycée Charles De Gaulle où j’ai obtenu le baccalauréat série C (actuelle S1) avec la mention Bien. Ce qui m’a permis d’avoir une bourse d’excellence pour faire les classes préparatoires aux grandes écoles. J’ai fait une année mathématiques supérieures à Orléans, puis Mathématiques spéciales M’ au lycée Descartes de Tours. Senghor y a enseigné, lorsqu’il a été agrégé. Il y a même une salle baptisée Léopold Sédar Senghor. J’ai réussi au concours aux grandes écoles, l’école centrale de Lyon, les écoles nationales supérieures d’ingénieurs (ENSI). J’ai choisi l’ingéniorat électrotechnique à l’école nationale supérieure d’électronique, d’électrotechnique, d’informatique, d’hydraulique de Toulouse (ENSEEIHT). En parallèle, j’ai une fait une licence, une maitrise et un diplôme d’études approfondies de mathématiques appliquées.
A l’issue de cela, je suis rentré au Sénégal. J’ai tout de suite été accueilli à l’université de Dakar par le Pr Maguette Thiam qui m’a présenté au Pr Doudou Sakhir Thiam. C’est ainsi que j’ai obtenu un poste d’assistant à l’Ucad et j’ai soutenu une thèse de doctorat en 3e cycle, en 1984, sous la direction du Pr Doudou Sakhir Thiam. Je me suis orienté après vers les mathématiques plus liées aux sciences de l’ingénieur. Ce qu’on appelle les équations aux dérivées partielles qui sont des mathématiques assez difficiles et à la théorie du contrôle des systèmes. Je suis allé en France pour préparer une thèse de doctorat d’Etat et sciences mathématiques. J’ai eu la chance d’être encadré par le Pr Pierre Grisvard qui était à l’époque le directeur de l’institut Henry Poincaré. Il m’a présenté au grand professeur de l’époque Jacques Louis Lions (ndlr mathématicien français, mort en 2001) qui était président de l’académie des sciences, qui a été directeur du centre d’études spatiales, directeur de l’institut national de recherches informatiques et automatiques. J’ai eu un bureau que je partageais avec Pierre Grisvard à l’annexe du Collège de France à la rue D’Ulm. Cela m’a permis de connaître de grands et vieux mathématiciens français comme Leray. J’ai eu la chance de bénéficier des conseils de Jacques Louis Lions qui m’avait hébergé comme un fils.
J’ai eu à enseigner, durant cette période, à Paris 7, puis à l’institut national de sciences appliquées de Rennes. J’ai soutenu une thèse en mai 1990, je crois à l’université de Nice, Sophia Antipolis. Je suis après rentré à Dakar où j’ai soutenu une thèse de doctorat d’Etat et sciences mathématiques. Cette année coïncidait avec la création de l’université de Saint-Louis, avec la décision du Président Abdou Diouf de l’ouvrir pour l’année académique 1990-1991. J’ai décidé d’aller à Saint-Louis. Il a fallu que je plaide mon sort. Le recteur de l’époque, le doyen Souleymane Niang (paix à son âme), a été très sensible à l’argument que j’avais donné. Je lui avais dit que je voulais être à côté de ma maman. J’ai perdu mon père, alors que j’avais un an et demi et il ne me restait que ma maman et je voulais pour le restant de sa vie être à ses côtés. Je pense qu’en bon halpular, c’est quelque chose qui l’a beaucoup touché. C’est ainsi que j’ai rejoint l’équipe qui a démarré l’université de Saint-Louis. Je pense que j’ai été le premier à faire cours de mathématiques dans cette université, lors de l’ouverture des classes 1990-1991. C’était à une semaine des vacances de noël.
Pourquoi les mathématiques ?
J’ai la chance d’avoir eu, durant tout mon parcours, de très bonnes notes dans toutes les disciplines. Mais, j’aimais les mathématiques. Cet amour m’est venu peut-être de ce que m’enseignait une amie à notre famille. Elle prenait mon ardoise et m’apprenait les opérations. J’avais pris goût à cela, d’autant plus que j’étais un enfant, à cette époque, turbulent. Je voulais tout savoir, tout créer. Je fabriquais du tout, des voitures ; je faisais du cinéma avec des ombres. J’avais envie de copier tout ce que je voyais. En classe, je voulais toujours résoudre des problèmes et les mathématiques, c’est la science de la résolution des problèmes. Plus tard, lorsque les mathématiques sont devenues plus abstraites, je me suis senti davantage à l’aise. J’ai toujours eu également une démarche complémentaire à celle de l’enseignant. En même temps que l’enseignant me faisait les cours de mathématiques, en rentrant chez moi, j’essayais de faire le cours mais le complétant. Ceci a été pour moi, je crois, très utile, surtout lorsque je suis allé en classes préparatoires aux grandes écoles.
L’année où j’ai quitté le Sénégal pour faire les mathématiques supérieures, je suis arrivé en France avec quinze jours de retard. Ceci en général est fatal pour un étudiant. Heureusement, je pense, cette capacité que j’avais à refaire les cours, les conceptualiser, à me donner moi-même des exemples et parfois même me donner des exercices m’a permis de ne pas rencontrer de difficultés. Le premier devoir sur table que nous avons fait et qui est en général le devoir le plus difficile en mathématiques supérieures, parce que c’est le devoir qui doit aider à identifier tous ceux qui ne doivent pas continuer pour les décourager et les encourager à aller à l’université. J’ai eu la meilleure note de la classe à ce devoir, 17,5, alors que tout le monde s’attendait à ce que j’aie la note la plus faible.
L’amour des maths m’est resté. Je pense qu’il est constant. Les mathématiques sont une science très belle dans son explicitation, le partage qu’on en fait avec les étudiantes et les étudiants, mais aussi avec les populations. C’est pourquoi, je donne beaucoup de conférences sur les maths, y compris en wolof et en pulaar qui sont les deux langues que je maitrise. Les mathématiques traduisent de manière surprenante le réel et permettent à une discipline comme la physique ou l’astronomie de prédire, de localiser des objets dans l’univers qu’on ne voyait ; ou l’existence de particules que seule l’équation mathématique révèle. Cela me passionne et continue à me passionner. Il n’empêche, je suis aussi un passionné de poésie, de littérature, des écrits des philosophes. Je touche à tout. J’aime beaucoup de choses à la fois.
Vous parlez des mathématiques comme étant quelque chose de fascinant. Mais aujourd’hui, on constate qu’elles attirent de moins en moins les élèves. A quoi est-ce dû, à votre avis ?
Cette situation est dramatique. C’est une alerte rouge qu’il faut mettre particulièrement pour les séries S1 et S3 dont les ancêtres étaient les séries C et E. Elles sont fondamentales pour construire une élite scientifique de qualité dans les disciplines fondamentales des mathématiques, de la physique et même de la biologie et des sciences de l’ingénierie. Cette année, sur plus de 150 mille candidats, nous n’avons eu qu’autour de 500 pour la série S1 et une cinquantaine pour la série S3. Ceci est négligeable pour utiliser un langage mathématique. Je pense qu’il faut redresser très urgemment cette situation. On constate que c’est décroissant, d’année en année. Il y a plusieurs facteurs concomitants qui expliquent cela.
Quels sont ces facteurs ?
Le premier est l’enseignant qui est l’intrant majeur dans le secteur de l’éducation et de la formation. Il faut avoir des enseignants qui ont un diplôme de mathématiques. C’est fondamental. Les mathématiques ne sont pas le calcul. Si c’est le calcul, le boutiquier sait mieux calculer que nous. Si c’est le calcul plus avancé, les ingénieurs savent mieux calculer que nous. Ce que les mathématiciens savent c’est raisonner, conceptualiser, poser les problèmes et mobiliser tout l’arsenal théorique qui leur permet, avec les outils évidemment liés à tous les jargons mathématiques, de résoudre des problèmes. Si l’enfant ne sait pas raisonner, conceptualiser, poser un problème, il est très difficile qu’il puisse aller loin dans les mathématiques. Et, l’apprentissage de cela passe nécessairement par le fait que l’enfant a devant lui quelqu’un qui a un diplôme de mathématiques, c’est-à-dire quelqu’un qui a appris les mathématiques jusqu’à un niveau consistant. Je crois qu’il y a un effort important à faire.
Il y a eu un effort qui était fait, lorsque le Gouvernement avait décidé de former 100 licences pédagogiques de mathématiques. Mais, cet effort n’a pas été poursuivi. Je pense qu’il faut le poursuivre et savoir aussi que les mathématiques constituent une discipline clé, pour faire d’autres métiers qui paient mieux et beaucoup plus. Quand on a une licence de mathématiques, on peut s’inscrire en informatique ou finances et réussir facilement. Les mathématiques ouvrent toutes les portes, d’où se pose la question du maintien des enseignants de mathématiques dans les classes au niveau des collèges et du secondaire.
Comment y parvenir ?
Il y a cette question que n’aiment pas les syndicats qui est la discrimination positive au niveau salarial pour les professeurs de sciences et de technologies. Si nous voulons le maintien, il faut payer un peu plus, quitte à faire comme Houphouët Boigny l’avait fait à l’époque pour la Côte d’Ivoire, instaurer une indemnité de scientificité pour donner ce plus qui puisse les pousser à se dire : ‘’je peux respecter quand même, même si en allant faire des études d’informatique et être ingénieur, je pourrais gagner le double’’. La vocation plus une petite consolation aident à rester. Le maintien des professeurs et des bons professeurs est un élément important. Le deuxième élément important est la documentation. Les élèves manquent souvent d’ouvrages de mathématiques.
A l’époque, l’IRMPT avait mobilisé les enseignants sénégalais de mathématiques et ils avaient écrit des ouvrages modernes. Je crois qu’il faut revenir à cette philosophie d’édition d’ouvrages écrits par des enseignants sénégalais et édités par des maisons d’édition sénégalaises. Aussi, pour réussir en mathématiques, il faut maitriser la langue d’apprentissage. Ici au Sénégal, la langue officielle d’apprentissage dans les écoles est le français. Or, nous voyons que les enfants éprouvent beaucoup de difficultés dans la maitrise de la langue française. Ceci peut aussi être un facteur bloquant par rapport à l’acquisition des mathématiques. Je pense que l’effort d’une meilleure maitrise du français aidera l’apprentissage des mathématiques. Il y a la filière arabe pour laquelle je plaide pour que le ministère fasse un effort pour mettre à leur disposition des enseignants de mathématiques. Il est prévu une filière S1 AR et S2AR. Il faut qu’elles puissent fonctionner. Pour cela, il faut un effort du ministère pour les appuyer en professeurs de mathématiques, de physique et de SVT. Après, il y a l’environnement. Nos écoles ont perdu un environnement.
Quand vous parlez d’environnement, vous pensez à quoi ?
Les élèves font de moins en moins de travaux pratiques. Il y a de moins en moins d’activités extrascolaires au sein même de l’école et en dehors. Lorsqu’on était élève, on avait des jardins dans l’école. Nous faisions de l’horticulture. Notre école était fleurie. On avait de très belles fleurs et on aimait les entretenir. Ceci participait à la fois à un apprentissage de travail manuel, mais aussi permettait de former l’esprit et de rendre curieux. Aimer les mathématiques, c’est aussi être curieux et passionné. Quand jeune enfant, vous semez des graines de carottes et les récoltez vous-même, cela vous fascine. C’est passionnant et il n’y a plus cette passion dans nos écoles. Il faut ramener cela, parce que cela participe au développement de l’esprit scientifique.
De la même façon, les travaux pratiques dans les universités ne sont plus faits comme c’était fait avant, vu le surnombre d’étudiants. Les télévisions et les radios n’ont presque pas d’émissions scientifiques ou de la promotion de la culture scientifique. Ce sont plutôt les émissions ludiques, terre à terre qui sont mises en avant, alors qu’il faut promouvoir les réussites scientifiques.
Mais y en a-t-il beaucoup ?
Nous avons énormément de réussites scientifiques. Cela va du maitre qui invente une méthode d’enseigner les mathématiques où la biologie, au professeur d’université qui découvre un théorème et le publie. Cela va à l’ingénieur qui trouve une innovation aux jeunes qui créent. J’ai vu un jeune en CM2 monter un télescope. J’ai vu un jeune qui est à Mbour fabriquer des drones. Ce sont ces choses-là qu’il faut montrer à la télévision, pas de manière épisodique, régulièrement, pour que les jeunes puissent se dire : ‘’je suis africain, noir, vivant au village de Gonio ou dans le quartier de Dakar Bango, mais je peux réussir aux mathématiques, à la physique’’.
Rien ne nous est interdit, si on a la vocation et l’ambition. Il faut susciter cela à travers différents gestes. Il est vrai qu’il y a le concours général, le Grand prix du président de la République pour la science et la technologie. Il y a le nouveau prix du président de la République pour l’innovation numérique, tout cela participe à encourager les jeunes. Les distributions de prix sont importantes. Mais pour dire la vérité, la science a encore besoin dans notre pays que l’on valorise la connaissance. Tous les objectifs du Plan Sénégal émergent ne pourront pas être réalisés, si nous n’avons pas un grand capital scientifique et technique et si on ne valorise pas la connaissance. Valoriser la connaissance, c’est valoriser les porteurs de connaissances.
On ne promeut pas les porteurs de savoirs. Vous êtes passé ministre à PCA, pensez-vous être à la place qu’il faut, celle où vous pouvez valoriser vos connaissances ?
Là où je suis, je valorise mon expérience de management que j’ai accumulée comme directeur d’Unité de Formation et de Recherche, Recteur, Ministre et au niveau international dans les différentes positions équivalentes à celles de PCA que j’ai occupées au niveau africain. Certaines de mes spécialités, comme la modélisation mathématique et la simulation numérique, me permettent d’être à l’aise sur les questions techniques. Donc, mon profil me permet d’assumer ces responsabilités. J’ai la chance d’avoir un profil polyvalent. Les défis pour le Sénégal du secteur pétrolier et gazier me passionnent, car la réussite d’une bonne prise en charge de ce secteur en fera un accélérateur de la marche du Sénégal vers l’émergence économique et social. Si votre question est de me demander est-ce qu’il y a des secteurs qui me passionnent en dehors du secteur gazier et pétrolier. Je vous répondrai qu’il y en a d’autres aussi où je me sentirai à l’aise et qui ne sont pas moins passionnants.
Comment analysez-vous ce qui se passe actuellement dans nos écoles avec des élèves qui brûlent leurs blouses pour fêter la fin de l’année, des étudiants qui se battent dans l’enceinte des universités ?
C’est le reflet de la société. Si les élèves sentaient que la connaissance était valorisée, ils ne le feraient pas. Je ne verrai pas un Chinois faire cela. Un enfant chinois se suicide, s’il ne réussit pas. L’école doit être un élément attractif, parce que la conquête de la connaissance doit être inculquée chez l’enfant, depuis le bas-âge par la famille, la communauté, les pouvoirs publics comme étant un élément fondamental que l’enfant doit conquérir. C’est en cela que l’enfant va être passionné par l’école. Les jours fériés vont le rendre triste, pareillement pour les vacances. On ne peut pas voir des enfants fêter le fait que l’année s’achève et surtout bruler des cahiers, des blouses. Je pense qu’il y a une introspection à faire qui touche toute la société, les pouvoirs publics en premier. Ils doivent réagir, parce qu’il y a des choses qui ne marchent pas. Le premier est qu’ils ne valorisent pas assez la connaissance, le mérite. C’est essentiel pour les sociétés qui veulent aller de l’avant.
Si on a l’ambition de vouloir être émergent en 2035, il faut aller très vite, mais on ne peut le faire avec des canards boiteux. On ne peut le faire qu’avec des gens qui sont compétents, qui aiment ce qu’ils font. Les élèves et étudiants doivent aimer ce qu’ils font. Mais, pour qu’ils soient conscients qu’ils doivent réussir et mieux servir leur patrie, il ne faut pas qu’un vaurien soit valorisé à côté d’un jeune qui a très bien réussi ses études, a obtenu ses diplômes ou qui, par un parcours informel, a réussi à apporter des choses qui améliorent les conditions de la société.
Certains accusent les politiques de valoriser ceux qui ne le méritent pas à la place de ceux qui le méritent vraiment.
Non, c’est certains d’entre eux qui sont à des postes où ils peuvent promouvoir. On ne peut pas développer un pays, si on n’aligne pas les profils et les parcours par rapport aux postes que les gens occupent. Pour moi, c’est une illusion. Et la réalité le montre. A chaque fois qu’on a eu cette situation-là, le pays n’a pas progressé. Il faut revenir à la réalité de tous pays qui se développent. Le capital humain est un élément majeur. On ne peut pas occuper un poste de ministre, lorsqu’on n’a pas le niveau d’occuper un poste de chef de division. C’est une catastrophe et on la paie forcément. Il faut qu’on revienne à une réelle gestion, à la fois du capital humain politique que de celui technique. Je fais un plaidoyer constant en disant aux cadres d’aller dans la politique. Il est naturel que, s’ils ne s’y sont pas, que ce soit ceux qui y sont qui sont promus à des postes de décision. Il ne faut pas après être surpris que les résultats ne suivent pas.
On ne peut pas occuper un poste de ministre, quand on n’a pas le niveau d’occuper un poste de chef de division, dites-vous. Dans le Gouvernement actuel, y a-t-il des gens qui ne seraient pas à leur place ?
C’est une réalité, depuis au moins deux décennies. Évidemment, cela n’aide pas à accélérer la mise en œuvre des plans de développement, la réalisation des résultats attendus, n’assure pas la continuité indispensable des politiques publiques, surtout ne permet aux pouvoirs publics de bien communiquer sur la politique mise en œuvre et, enfin, creuse le fossé de la confiance des populations envers des gouvernements dont l’expertise n’est pas évidente. Posez la question aux citoyennes et aux citoyens sénégalais vous serez édifiée. Tous les pays qui veulent se développer font la chasse aux compétences, à l’expertise et à l’expérience réussie. Il est dommage que les Sénégalais aient aujourd’hui le sentiment que c’est la politique politicienne qui est la base de beaucoup de promotions précipitées.
Comment êtes-vous entré en politique ?
(Il rit) Cela date de loin. J’ai adhéré, en 1976, au Parti africain de l’indépendance dit alors PAI clandestin. Il y avait deux PAI. Celui de Majhemouth Diop et celui dirigé par Seydou Cissokho. Il a été succédé par Amath Dansokho. Le PAI avait une politique de recrutement des meilleurs élèves dans les lycées et en France dans les classes préparatoires. Quand le PAI est entré dans la semi clandestinité en 1978, Harouna Dia et moi avions été choisis à Toulouse pour parler publiquement au nom du PAI clandestin. J’ai participé au congrès constitutif du PIT. J’ai été élu au comité central et c’est en 1993 que j’ai arrêté de militer pour des raisons personnelles. Mon objectif était de créer un laboratoire en mathématiques de niveau international. Cela me demandait beaucoup de temps à consacrer à la fois à la recherche, à l’encadrement, à l’enseignement. Ce qui était difficilement compatible avec les charges militantes.
Je n’avais aucune divergence avec ceux qui étaient au PIT. Amath Dansokho, Maguette Thiam, Samba Diouldé Thiam sont des grand-frères pour moi. Amath l’est resté et sa famille aujourd’hui est quasiment la mienne. J’ai repris l’activité politique, en 2003, avec le PDS. En janvier 2009, j’avais adressé un courrier au Président Wade pour attirer son attention sur les Locales de cette année. Je lui ai dit que les grandes villes avaient toutes les chances d’être perdues. Je lui ai dit qu’il devait prendre en main l’histoire, en ne se présentant pas à nouveau en 2012. Il l’avait bien apprécié même s’il n’avait pas fait ce que je lui conseillais. Wade était quelqu’un qui avait une bonne considération pour les écrits d’intellectuels qui lui étaient adressés et qui étaient bien argumentés. C’est en 2009 que j’ai gelé mes activités au PDS. J’ai repris les activités politiques avec le Président Macky Sall. A Saint-Louis, nous avons fonctionné de manière autonome. Il y avait Mansour Faye d’un côté et nous de l’autre, puisque Mansour avait organisé le parti à sa manière. Cela ne nous convenait pas. Nous avons milité en parallèle.
Cette division persiste à la veille des Locales. Vous disiez que votre candidature est irréversible et irrévocable. L’est-elle toujours ?
Mais oui ! J’ai une conception très simple des Locales. Elles appartiennent aux populations. C’est à elles de choisir leur maire. Il y a les élections nationales. Nous avons voté pour élire le président de la République. Mais l’élection présidentielle est terminée. Ce n’est plus au président de la République de désigner qui va être le maire de Saint-Louis. C’est aux Saint-Louisiens et aux Saint-Louisiennes de choisir leur maire. Moi, je considère que j’ai un parcours, je suis Saint-Louisien de naissance, j’ai fait l’essentiel de mon parcours scolaire à Saint-Louis ; j’ai travaillé à Saint-Louis et apporté beaucoup de choses. Je pense pouvoir aujourd’hui apporter des choses à Saint-Louis qui doit changer. Sa situation n’est pas acceptable pour d’abord le nom qu’elle porte, pour son héritage historique à la fois de capitale de l’AOF, de première capitale sénégalaise et a été presque en tout ce que concerne l’éducation, la formation, la politique, toujours la première ville au Sénégal et qu’elle soit dans l’état où elle est aujourd’hui. J’ai dit que je relève le défi et je sollicite mes concitoyens et concitoyennes pour me donner cette opportunité avec l’équipe avec laquelle je vais y aller.
Mais si le Président ne vous choisit pas, vous irez comment à ces locales ?
J’irais dans les conditions que me permet le Code électoral. J’ai lu le Code, j’ai vu ce qui est dedans. Je suis un Républicain et je le revendique. Je respecte les institutions de mon Etat. Je suis intransigeant sur cela. Je peux ne pas être d’accord avec quelque chose, mais pour moi, on doit respecter les institutions. S’il doit y avoir des changements, faisons-le quand on en a la possibilité, mais, je ne contesterais pas les décisions des institutions de mon Etat. J’ai examiné le Code électoral selon la situation dans laquelle je suis. Je prendrai les dispositions en conformité avec le Code électoral.
Donc, vous savez déjà que vous ne serez pas le candidat de BBY ?
Je n’ai pas posé ma candidature pour demander une investiture de Benno Bokk Yakaar ou de l’APR, dans la mesure où, je connais la situation de Saint-Louis. Le Benno Bokk Yakaar et l’APR de Saint-Louis sont à Mansour Faye. Je n’ai pas posé cette question en mathématicien. Je connais les conditions dans lesquelles j’irai. Le moment venu, vous les connaitrez.
Est-il possible que vous alliez aux locales avec la Coalition Pastef-PDS-Pur-Taxawu Dakar annoncée?
Je vous ai dit que nous irons aux élections sous la forme que nous permet le Code électoral. C’est pourquoi, je tends, sans distinction, la main à tous les acteurs de la vie politique, économique, sociale, culturelle, citoyenne pour aller la main dans la main aux locales. Par conséquent, je n’exclus aucune alliance dans l’intérêt des populations du département de Saint-Louis pour aller à la conquête des mairies du département de Saint-Louis, afin de mettre en place une politique municipale capable d’apporter les changements qu’appellent de leurs vœux les populations et de mettre en œuvre dans ces communes un programme ambitieux, réaliste et réalisable. Dans le cas particulier de Saint-Louis, je veux qu’elle soit au bout des cinq ans de mandat la ville apprenante, la ville numérique, la ville sociale, la ville économique, la ville-modèle dont chaque Maire rêve.
Que pensez-vous de la somme arrêtée pour la caution aux locales, certains trouvent 15millions FCFA excessifs ?
A mon avis, il faudrait laisser le maximum de gens qui souhaitent se présenter le faire. Cela a un coût, ilfaut le reconnaitre. Il n’empêche, il faut quand même permettre au maximum de citoyens d’y aller, parce que ce sont des élections locales, des élections à la base. Elles sont importantes. Si c’était moi, j’ouvrirais d’autres perspectives électives. Nous avons des élections à un tour. C’est bien. Mais, pour ces élections, on aurait pu faire des élections à deux tours, en permettant à des listes qui atteignent un certain seuil de se mettre ensemble, si elles le veulent, après le premier tour. Ce sont des réflexions. Assez souvent la caution est une stratégie politique. Pour des élections locales, législatives, quand on a un suffrage majoritaire à un tour, la majorité a intérêt à ce qu’il ait le plus de listes possibles. C’est assez surprenant que les choix faits aillent dans le sens contraire.
En 2017, nous avions assisté à une floraison de listes aux législatives, cela avait contribué d’une certaine manière à des victoires dans certains départements. Ce type de caution va entrainer naturellement un resserrement des listes. Ceci n’est pas toujours de nature à aider la majorité présidentielle. J’ai un peu le sentiment qu’on pense à embêter certains et qu’en fin de compte on se prend le pied dans le filet.
Que pensez-vous de la gestion de la pandémie de la Covid-19 ?
Nous avons une bonne culture de gestion des épidémies jusqu’à l’arrivée de la Covid. L’une des dernières grandes épidémies était le Sida. Le ministère de la Santé de l’époque avait pu mobiliser toute la communauté y compris les religieux. Cela avait permis au Sénégal d’atteindre un résultat qui lui valait le respect de tous dans le monde. Je pense qu’il faut revenir à ces fondamentaux. Il y a quand même encore des efforts à faire par le ministère de la Santé. Je salue le personnel de santé qui a d’abord payé très cher et ensuite a donné beaucoup de soins et a été disponible. J’ai eu des malades de covid, j’ai eu à échanger avec des agents de santé dans certains centres à des heures très tardives. Ils ont été très disponibles, sans savoir qui j’étais. Donc, ce n’est pas fait à la tête du client. Je salue toutes ces grandes personnes qui s’investissent, jour et nuit comme le Pr Seydi, le Pr Daouda Ndiaye, etc. J’ai quelques interrogations sur la gestion de la Covid. Je dis toujours que nous ne testons pas assez.
Ne serait-ce pas lié à un problème de moyens ?
Je ne sais pas, mais un pays comme le Rwanda teste beaucoup. Le nombre de tests est important, parce qu’il permet d’identifier et de pouvoir isoler ceux qui ont le virus. Je pense qu’il faut améliorer les ratios de tests. On a beaucoup appris de cette maladie. Je ne conseille pas le confinement et le couvre-feu à notre pays, parce que la vie est difficile pour les populations. Mais, je pense qu’il faut penser à d’autres mesures qui peuvent éviter que la maladie ne sorte de Dakar pour aller dans les régions. Dakar est le grand réservoir et rien n’est fait pour pallier cette difficulté.
En plus de la pandémie, les Sénégalais font face aux problèmes des inondations. Pourquoi le Gouvernement n’arrive pas à résorber cette problématique récurrente ?
Je pense qu’il faut sérier plusieurs choses pour examiner cette chose avec objectivité. Il y a des inondations un peu partout dans le monde pour des raisons diverses. Cela ne dédouane pas le Sénégal. Mais, cela doit attirer notre attention et rendre plus mesurées nos conclusions. Au Sénégal, c’est dans des endroits prévisibles qu’il y a des inondations. C’est dans les zones d’inondations, des zones où on ne devait pas habiter. Les pouvoirs publics le savaient et ont laissé les gens s’y installer. Il faut trouver des solutions à long terme. Il y a quand même des avancées. Il y a des zones qui étaient inondées qui ne le sont plus, parce qu’il y a un effort d’infrastructures qui a été fait. Il y a d’autres endroits où des efforts ont été promis, mais n’ont pas été faits ou mal faits. Il faut que l’administration fasse une enquête pour corriger les choses et qu’on ne voie plus ces inondations.
Mais à cause de divers travaux dont ceux du PUDC, comme accusent les populations, certaines zones qui n’étaient pas inondées le sont maintenant.
L’Etat est en dernier ressort responsable de ce que font ces agents. Quand on va dans un pays comme le Burkina Faso, il y a des canaux d’évacuation des eaux des deux côtés de la route. J’ai l’impression que nos ingénieurs des travaux n’ont pas cette culture de faire des canaux pour protéger nos routes. Lorsqu’on surélève des routes et qu’on n’a pas d’ouvrages de recueil des eaux, ça pose problème. Il faut changer la philosophie de construction des routes. Nous sommes passés des années de sécheresse à des années où la pluie a repris. Il faut réviser. J’aimerais vraiment savoir pourquoi on ne met pas des canaux, en construisant des routes.
Parlons du pétrole et du gaz. Dans quelles proportions peuvent-ils participer à l’émergence du pays ?
Nous importons du pétrole et du gaz. Nous importons des devises. Lorsque nous allons produire du pétrole et du gaz, nous n’allons plus les dépenser. Au contraire, nous allons vendre et récupérer ces devises. C’est un facteur très positif. L’équipement est un facteur très important dans le développement d’un pays. Nous pouvons utiliser cette devise pour acheter plus d’équipements dans les secteurs clés de notre développement comme l’agriculture, la transformation agroalimentaire, l’élevage, la pêche, etc. En produisant du gaz et du pétrole, nous allons baisser leur coût au Sénégal. Cela signifie que le coût de l’électricité va baisser. Les charges des entreprises baisseront ainsi. Le Sénégal sera ainsi beaucoup plus compétitif et attractif. Le coût de l’électricité est un facteur qui plombe quand même les industries qui utilisent beaucoup d’énergie. Ensuite, les conditions de vie et le pouvoir d’achat des populations pourraient être améliorées, puisque le coût de l’électricité baissant, celui de l’eau baissera. Si on y ajoute le coût de la bonbonne de gaz, il y aura une part importante de dépenses qui va aussi baisser. Ceci va augmenter le pouvoir d’achat des populations. Le Sénégal pourrait électrifier également davantage de villages. Il y a pleins d’autres avantages que je peux citer.
Avec le pétrole et le gaz, c’est l’arrivée de la pétrochimie. Il a y a la fabrication de médicaments, celles des engrais complémentaires aux phosphates. Mais, le plus important est la fabrication sur place, avec notre pétrole et notre gaz, de tuyauterie et de toiles pour les serres. Nous pourrons partout dans le Sénégal faire de la culture goutte à goutte. Ce qui permettra à notre agriculture d’atteindre un nouveau niveau. Le pétrole et le gaz pourront nous permettre de transformer des produits miniers. Il y a les phosphates et le fer de la Falémé. On peut mettre une métallurgie. La métallurgie a été le point de départ de l’industrialisation de l’Europe. Si nous avons la volonté politique d’utiliser cela, c’est l’occasion d’avoir une métallurgie. Si on en a, on pourrait amener le chemin de fer partout où on veut.
Il faut une formation des jeunes pour accompagner cela. On a encore des opportunités que nous offrent le pétrole et le gaz. Il y a une bauxite de Guinée raffinée dans les émirats arabes, je crois, mais il faut le transporter par bateau jusque-là bas. Si nous signons des accords avec la Guinée, nous pouvons, dans les régions de Tamba ou Kédougou, mettre des usines et raffiner la bauxite et fabriquer l’aluminium. Le pétrole et le gaz sont des catalyseurs ou leviers pour l’émergence économique, sociale et culturelle de notre pays.
On va parler de votre amour pour la littérature. Avez-vous un livre de chevet ?
Je n’ai pas cette culture. J’ai beaucoup lu. D’ailleurs, j’ai fait un poème ‘’Souvenirs intellectuels’’ qui récapitule les livres qui m’ont le plus marqué durant ma jeunesse. Pleins d’auteurs comme Birago Diop, Camara Laye, Cheikh Hamidou Kâne, Senghor, Cheikh Anta Diop, Steinbeck (ndlr, John Steinbeck, prix nobel littérature 1962), Dostoïevski (ndlr, Fiodor1 Mikhaïlovitch Dostoïevski écrivain russe), Paul Eluard (poète français), Victor Hugo, Balzac, Flaubert, Stendhal, Baudelaire, Rimbaud, Pablo Neruda, Miguel Angel Asturias (poète, écrivain et diplomate guatémaltèque), Mariama Bâ, Ousmane Sembène, Boubacar Boris Diop, David Diop, etc. Je lis aussi des auteurs comme Marx, Sartre, Engels, Faulkner, Lénine, Mao Tsé Toung, etc. Je lis tout.
Cinéma ou arts plastiques ?
Plutôt cinéma, même si j’aime la peinture. C’est un regret que les salles de cinéma aient quasiment disparu de nos villes. Si je suis élu maire de Saint-Louis, je veux faire du Rogniat sud une médiathèque, un centre de technologies numériques, un centre culturel ouvert dans lequel il y aura le cinéma. Je considère que c’est un élément de formation intellectuelle et culturelle, comme le théâtre l’est également. Il n’y a plus de théâtres. Il faut ramener ces choses-là. Je vais mettre également en place une bibliothèque municipale. Le livre est important.
Plutôt foot ou basket ?
Les deux. J’ai été un piètre footballeur. J’ai été une seule fois sélectionné dans l’équipe de Dakar-Bango. Jamais plus ! J’étais plus ramasseur de ballons et conseiller technique. Le basket, je l’aime. J’étais un supporter assidu du Duc. Quand j’étais recteur e l’UGB, j’ai contribué à ce que notre équipe soit l’une des meilleures équipes. J’aime le sport. Je pense qu’il est un élément complémentaire aux études. Il faut que le sport scolaire revienne. C’est un cri du cœur que je lance. Cela permet de détecter les talents très tôt. Je suis malheureux que le Sénégal ait perdu son aura en athlétisme. J’aime le basket, parce qu’il est beau, parce que l’adresse, les beaux gestes presque artistiques qui me plaisent.
Quelle est l’origine de votre prénom ?
(Il rit). Il me porte bonheur pour deux raisons. Parce que j’aime ce prénom-là. J’avais été orienté à l’école normale des jeunes filles quand j’ai terminé ma classe de 3e. C’est à travers tous les problèmes qui en ont résulté que je suis allé faire la classe de Seconde. Ce qui m’a conduit là où je suis actuellement. La deuxième chose, les gens, quand il voit mon prénom, mettent madame. Un jour, j’étais dans mon bureau à l’UGB, mes étudiants, les doctorants sont venus en courant pour me dire que l’Université Buffalo m’a répertorié parmi les black women mathematician. Souvent, je reçois des lettres venant de l’étranger et on met madame. Parfois, le Teuw fait penser à un Chinois. Et les Chinois de l’étranger, quand ils sont dans des organismes scientifiques m’écrivent. Je porte le prénom de mon oncle. Ce dernier est l’homonyme de quelqu’un de Gandiol. On ne trouve ce prénom qu’à Gandiol et Saint-Louis, mais il est mal transcrit. Logiquement, c’est Maritew. Ibrahima Thioub m’a dit que, dans ces recherches, il a trouvé quelqu’un du nom de de Marithow. Il me dit que ce doit être un des homonymes de mes homonymes. J’aime bien ce prénom. C’est un identifiant saint-louisien.
Brillant, habitant Dakar-Bango, vous n’avez jamais été tenté par le concours d’entrée au Prytanée militaire de Saint-Louis ?
Je l’avais tenté, mais je n’avais pas réussi. Je l’avais tenté en CM1. Notre maitre avait décidé de nous présenter toute notre classe à l’examen. On était 15. La moitié de la classe a eu le certificat d’études, j’ai été le seul à avoir l’entrée en 6e. Je suis le premier élève de Dakar Bango à avoir eu l’entrée en 6e. Je me suis rattrapé, parce que mon fils ainé a réussi au concours d’entrée au Prytanée et y a été jusqu’au bac.
BIGUE BOB, Enquêteplus