Sur beaucoup de questions touchant l’actualité, le Président de la République, Macky Sall, s’exprime de plus en plus à travers son compte Twitter suivi par 1,6 million d’abonnés.
Son message est repris en même temps par les différentes plateformes de communication digitale ouvertes à son nom. À l’élection présidentielle de 2019, son staff avait fait appel à Niang Kharagne Lô, l’un des Sénégalais les plus suivis sur Snapchat, pour toucher davantage le monde des réseaux sociaux. Pour s’adresser à ses militants, l’opposant Ousmane Sonko fait souvent recours à sa chaîne YouTube, « Jotna Tv ». « Questekki », nom du concept créé par l’opposant Mamadou Lamine Diallo pour se prononcer sur certaines questions d’actualité, a été transformé en site web.
Interrogé sur la question, Dr Sakhite Gaye, enseignant-chercheur au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (Cesti) de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar, répond : « Pendant longtemps, les hommes politiques s’exprimaient via les médias classiques. Les réseaux sociaux ont participé au changement des relations entre eux et l’électorat. Ainsi, pour plus de visibilité et pour des enjeux de proximité, ils utilisent les réseaux sociaux ».
C’est donc la course au nombre de « followers » (abonnés) ou de « vues ». De nombreux hommes politiques sénégalais suivent la mode des réseaux sociaux. L’effervescence notée au Sénégal se passe aussi sur ces plateformes. Il en est de même à l’international. Sous son magistère, Donald Trump avait privilégié Twitter pour mener son combat.
Peut-on ainsi dire que ces plateformes sont devenues des espaces de légitimation politique ? Mountaga Cissé, formateur en Nouveaux médias, estime qu’il est possible que l’homme politique gagne en légitimité politique « s’il maintient une trajectoire constante ». « Pour gagner en légitimité sur Internet, il faut un discours cohérent. Il faut aussi un discours qui soit en parfaite adéquation avec son programme politique.
Les hommes politiques mettent à la disposition du public des projets politiques. Il ne suffit pas de s’exprimer seulement sur les questions d’actualité », souligne-t-il. Et d’ajouter : « La majeure partie des Sénégalais utilise Internet. Pour une utilisation complémentaire de la communication, il est primordial pour un homme politique de faire passer sa communication par ces canaux pour toucher un public qui n’est pas forcément présent dans les autres canaux traditionnels de communication comme la radio, la télévision et la presse écrite ».
Mountaga Cissé évoque aussi un effet de mode. « Dans beaucoup de pays, vous voyez les hommes politiques faire passer leur communication par ces canaux. Il y a aussi la facilité de diffusion de ces contenus. La diffusion d’un message via Internet ne coûte pas grand-chose à un homme politique », dit-il.
Toutefois, M. Cissé met en garde contre un bad buzz (une mauvaise réputation) qui pourrait être occasionné par « la var » (recours à des propos prononcés dans le passé par un acteur et qui sont en contradiction avec ses positions actuelles), de plus en plus utilisée pour décrédibiliser un acteur politique. « Il faut de la constante et de la cohérence. L’homme politique doit éviter que la « var » ne le rattrape. Ce qui est publié sur Internet peut y rester des années après », prévient-il.
Le formateur poursuit : « En tant qu’utilisateurs des réseaux sociaux, nous avons la possibilité de remettre en cause les déclarations d’un acteur politique à travers des faits qui peuvent démontrer le contraire. Il est primordial pour un acteur politique de vérifier la fiabilité des informations qu’il diffuse ». Il y a donc des risques pour l’acteur politique, mais Mountaga Cissé estime qu’il lui est possible de contourner ces risques et de profiter amplement des avantages qu’offrent les réseaux sociaux. Selon lui, un avantage considérable est le contact direct avec sa cible.
Dr Sakhite Gaye pense, de son côté, que l’utilisation des réseaux sociaux peut aider en termes de visibilité, mais ne donne pas une entière légitimité politique. « La légitimité médiatique ne donne pas forcément une légitimité politique, sinon le nombre de « followers » compterait pour les élections. Cependant, sur le plan politique, les réseaux sociaux pourraient participer à étendre l’influence de l’homme politique et l’aider à être plus visible », souligne l’enseignant-chercheur au Cesti.
Visibilité
À l’élection présidentielle de 2019, les états-majors politiques du Sénégal avaient insisté sur ces nouveaux modes de communication. À quelques mois du scrutin, il y avait une forte présence de l’opposition sur les réseaux sociaux. À travers une stratégie visiblement bien huilée, certains ténors de l’opposition parvenaient à toucher des milliers de cibles. « Les réseaux sociaux sont, pour nous, ce que l’imprimerie a été pour les protestants au 16 siècle en Europe et ce que l’édition privée a été pour les révolutions du 18e siècle en France », défend Aldiouma Sow, chargé des élections de Pastef. Il affirme que les réseaux sociaux « font partie des leviers de communication les plus importants, voire le plus important, de Pastef en ce sens qu’ils permettent un plus grand accès à la population et amoindrissent les risques de manipulation de l’information que nous voulons délivrer à nos militants et aux Sénégalais de façon générale », justifie M. Sow.
Poursuivant, il indique que les réseaux sociaux sont « devenus très populaires au niveau des masses ». « On constate que mêmes les médias classiques (presse écrite et audiovisuelle) y font recours pour augmenter leur audience. Il s’y ajoute que la présence et la maîtrise de cet outil nous rapprochent de nos cibles électorales et facilite le dialogue avec notre base », relève Aldiouma Sow, également membre du Bureau politique de Pastef.
Galvanisés par sa présence sur les réseaux sociaux, certains avaient même prédit une forte percée de l’opposition. Mais, ils n’avaient certainement pas pris en compte la présence des autres médiums, la télévision, la presse écrite et la radio, qui sont présents dans tous les coins du pays, mêmes les plus reculés. En plus de ces supports de communication de masse, il y a eu des caravanes qui ont investi des domiciles pour porter directement des messages en faveur du candidat Macky Sall.
D’aucuns pensent aussi qu’il y a eu un dispositif qui a permis de rattraper le retard accusé par ce dernier dans l’utilisation des réseaux sociaux. Pourrait-on en déduire que les réseaux sociaux n’ont pas encore supplanté les médias classiques ? « À l’heure actuelle, malgré le buzz des réseaux sociaux, les Sénégalais consomment encore les médias classiques. D’ailleurs, les chiffres des usagers de certains réseaux sociaux comme Twitter ou Instagram au Sénégal ne sont pas si importants », explique Sakhite Gaye.
Une utilisation à bon escient semble donc requise pour bénéficier des bienfaits des réseaux sociaux. « L’homme politique qui veut avoir une bonne image doit avoir une charte éditoriale », indique le journaliste Joe Marone. C’est cette charte qui définit les conditions de publication pour permettre de faire passer un message de qualité qui sera bien perçu par les cibles.
Dr Gaye avertit aussi contre les risques. « Tout usage d’un support de communication comporte des risques. Pour les réseaux sociaux, si les objectifs de départ ne sont pas clairs, les erreurs peuvent être irréversibles. En outre, il faut bien connaitre les codes de communication digitale », recommande-t-il. Selon lui, « l’image de l’homme politique est une question de perception. Une utilisation biaisée des réseaux sociaux pourrait l’affecter. L’hygiène digitale est donc un bouclier pour l’image de l’homme politique ».
Babacar Dione
(Source : Le Soleil, )