« La plus grande gloire n’est pas de ne jamais tomber, mais de se relever à chaque chute ». Cette citation qu’on attribue à Confucius s’applique parfaitement à Khadidiatou Kénémé.
À 35 ans, cette femme forte a dû surmonter de difficiles épreuves, notamment deux divorces, pour affronter la vie avec courage. Aujourd’hui, elle s’active dans le business du foin à Pikine. Portrait d’une femme à qui la vie a « toujours donné des coups », mais qui s’est toujours battue pour rester debout.
Lundi 31 mai. Il est environ 11 heures. Une fille d’environ quatre ans arrive. « Vends-moi du mil », baragouine-t-elle. Elle tient une pièce de 100 FCfa à la main. Khadidiatou Kénémé, la propriétaire du magasin, se lève, sourit à cette môme qu’elle a l’habitude de voir, avant d’effectuer la pesée et lui remettre un sachet rempli de grains de mil.
Taille élancée et de teint clair, elle est vêtue modestement. Une robe rouge et noire ample qui lui laisse une liberté de mouvement. Des tresses, quelques bijoux au cou et aux doigts et des boucles d’oreilles sans grande valeur complètent sa mise. Point de maquillage, mais le destin semble avoir déposé une couronne de beauté sur sa figure. Khadidiatou a retrouvé le sourire. Lors de notre second passage, mardi 1er juin, elle avait troqué ce look contre des cheveux artificiels et une taille-basse… Telle une fleur fanée qui rajeunit au printemps, elle a repris goût à la vie. Comme toutes les personnes qui gardent une souffrance enfouie en elles, elle hésite avant de se livrer. Prenant confiance au fil de la discussion, Khadidiatou accepte, enfin, d’évoquer son histoire. « La vie m’a toujours donné des coups, mais je me suis toujours battue pour me relever », commence-t-elle.
Dans son magasin situé à Pikine Ouest, en face de la Cité Sotiba, des sacs de foin sont empilés les uns sur les autres, à côté d’autres de mil et d’aliment de bétail. « Je m’active dans le business du foin depuis deux ans », informe-t-elle.
« Fullay jaay dakhaar »
Avant de se lancer dans ce créneau, elle a essayé plusieurs métiers comme la restauration ou la vente d’habits. Mais, « aucun de ces petits boulots ne me rapportait autant que ce que gagne actuellement », dit-elle sans dévoiler son chiffre d’affaires mensuel. « Mangi sant Yalla (Je rends grâce à Dieu) », se contente-t-elle de dire. C’est par l’intermédiaire de son « meilleur et unique ami » de 10 ans, Cheikh Ndiaye, rencontré lorsqu’elle travaillait dans un fast-food à Pikine rue 10, qu’elle a décidé de se lancer dans le business du foin. Ce dernier lui avait fourni 26 sacs pour commencer. Et son frère lui a prêté le magasin… Aujourd’hui, elle maitrise parfaitement le circuit d’approvisionnement, faisant jeu égal avec les hommes. Pourtant les débuts furent difficiles. « Je suis restée une semaine sans vendre un seul sac. J’ai failli même fermer le magasin », se souvient-elle.
Elle passait même pour une curiosité pour les passants. La grande majorité essayait de la décourager avec des remarques désobligeantes : « Une femme qui vend du foin ! » ; « Tu n’as pas autre chose à faire ? » ou bien « Pourquoi tu ne te (re)maries pas ? » Femme forte, Khadidiatou ne se laisse pas déstabiliser. « Fullay jaay dakhaar », aime-t-elle à répéter. Et puis, elle a toujours gardé cette parole de son défunt père en mémoire : « Le travail anoblit ». Armé de ce viatique, elle refuse donc de lâcher prise parce qu’elle préfère avoir une autonomie financière plutôt que de dépendre de ses parents ou de ses frères.
Si certains trouvaient bizarre qu’une femme s’adonne à la vente de foin, d’autres l’encourageaient, trouvant admirable son courage. C’est ainsi qu’un riche client lui a remis, un jour, une forte somme d’argent (elle ne précise pas le montant) pour l’encourager. « Il m’a remis l’argent en me disant : « Je te le prête » ; c’est bien plus tard qu’il m’avoue qu’il me l’a offert », narre-t-elle, reconnaissante. De cette anecdote, elle tire une leçon : « S’il ne m’avait pas trouvé en train de me battre toute seule, il n’allait pas faire ce geste ».
Progressivement, Khadidiatou Kénémé élargit sa gamme de marchandises, ajoutant d’abord deux sacs de mil, puis du sorgho, ensuite du niébé et de l’aliment de bétail. Avec le sac de foin qui s’échange actuellement à 4500 FCfa, voire 5000 FCfa, elle peut gagner jusqu’à 1000 FCfa le sac, contrairement à ses débuts dans le métier où le sac ne lui rapportait que 300 FCfa. Khadidiatou est un bourreau du travail. « J’ouvre tous les jours de 8h à 23h, même le dimanche, sauf cas de force majeure », confie-t-elle.
Divorcée deux fois, mère de deux enfants
À 35 ans, elle a dû se relever de deux divorces. Le dernier a été particulièrement douloureux. Sa déception est à la hauteur de ses espoirs. L’ex époux est un Sénégalais établi au Gabon. L’union fût scellée à la va-vite, en l’espace d’une semaine. « Parce qu’il voulait m’amener vivre avec lui au Gabon ; je pensais que ce serait la belle vie », raconte-t-elle d’une voix où se lit l’émotion. Une fois au Gabon, elle ne tarda pas à déchanter. « J’étais tellement triste que mes yeux avaient changé. Je prenais des somnifères pour pouvoir dormir. Au bout d’un an, j’ai mis la pression pour obtenir le divorce et rentrer au Sénégal ». Elle n’en dira pas plus pour ne pas dévoiler la vie privée de son ex. Sur les raisons de ce second « échec » de vie conjugale, Khadidiatou pense, rétrospectivement, qu’elle n’avait « pas pris le temps de bien réfléchir et de connaître sa vraie personnalité ». De retour au Sénégal, en 2015, il lui a fallu juste une semaine pour reprendre son destin en main. « Je me sentais libérée ; je ne voulais surtout pas dépendre de mes frères ou m’apitoyer sur mon sort », dit-elle. C’est ainsi qu’elle s’adonne à plusieurs petits boulots avant la vente de foin. Khadidiatou a beaucoup de projets pour l’avenir. Elle souhaite notamment obtenir un financement de la Délégation générale à l’entreprenariat rapide des femmes et des jeunes (Der/Fj) pour élargir son activité. « Je souhaite, dans un premier temps, faire du « bay seddo » (c’est-à-dire donner les intrants à des agriculteurs qui lui revendront le foin à moindre coût) », explique-t-elle.
Se remarier ? Elle ne l’exclut pas totalement, « mais ce n’est plus une priorité, encore moins une fixation », répond-elle sans ambages. Aujourd’hui, Khadidiatou Kénémé parvient à subvenir à ses propres besoins et à entretenir sa mère, restée au village, ainsi que ses deux garçons (nés de son premier mariage), dont l’un vit avec elle, l’autre étant avec son père. Elle espère surtout que ces derniers auront plus de chance pour percer dans les études, contrairement à elle qui a dû arrêter l’école avant l’entrée en 6ème à cause de conditions sociales difficiles. « Pourtant je faisais partie des meilleurs élèves de ma classe », se souvient-elle. Elle veut aussi inculquer à ses enfants les valeurs de courage, de dignité et d’abnégation. « J’essaie de leur montrer qu’il faut toujours se battre, de ne jamais baisser les bras parce que tant qu’il y a la vie, il y a de l’espoir. Et la meilleure façon de leur inculquer cela, c’est de l’incarner », explique Khadidiatou. C’est ce qu’on appelle prêcher par l’exemple. Une leçon de vie.
Par Le Soleil