vendredi, novembre 22, 2024

L’open data, une arme anticomplotiste

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Dans un entretien accordé à 20 minutes, Guillaume Rozier, à l’origine de CovidTracker et Vitemadose a soutenu que « l’open data est une arme anticomplotiste ».

Ce mardi midi, il vient tout juste de recevoir sa première dose de vaccin. Guillaume Rozier, 25 ans, est devenu l’ingénieur en data référence sur le Covid-19​. Car dès mars 2020, il a lancé CovidTracker, le site de vulgarisation sur l’épidémie qui nourrit les communications du gouvernement, les médias et informe le grand public. Suivront VaccinTracker, Vitemadose, et maintenant Chronodose​… 20 Minutes a rencontré ce jeune ingénieur qui ne manque ni d’énergie, ni d’imagination.

Comment est né CovidTracker ?

En mars 2020, j’étais en stage de fin d’études dans une banque au Luxembourg pour six mois. Le 5 mars, je fais un graphique de comparaison des cas de Covid-19 en France et en Italie. Ce qui m’a choqué, c’était la croissance exponentielle des courbes et leur superposition, avec 8 jours de retard pour la France. J’envoie ce graphique à mes proches. Chaque jour, ils me demandaient de le mettre à jour. Au bout d’un moment, je fais une page web artisanale. Malheureusement, le nombre de cas a explosé. J’ai commencé à faire un vrai site, avec deux, trois, quatre graphiques…

Jusqu’à ce que CovidTracker devienne LA référence pour le suivi de l’épidémie, avec 10 millions de visiteurs uniques en avril 2021… Vous vous attendiez à un tel succès ?

Vraiment pas du tout. Le premier électrochoc, c’est quand un grand hôpital m’appelle en septembre 2020 pour me dire « merci Guillaume, on utilise CovidTracker tous les jours en cellule de crise ». Le deuxième électrochoc, c’est l’invitation à Quotidien [sur TMC] en fin d’année. Jusque-là, je me disais : « ça ne peut pas être moi qui fais le site le plus utilisé. Il va y avoir de vrais développeurs web, des entreprises, l’État… »

En janvier 2021, vous lancez VaccinTracker, puis en avril Vitemadose. Ce dernier permet à une personne prioritaire de trouver facilement un créneau sur une des cinq plateformes pour se faire vacciner. Avez-vous une idée du nombre de Français vaccinés grâce à ce site ?

Impossible à savoir. On ne permet pas la réservation des doses, on renvoit vers les plateformes d’utilisation. Doctolib a 30.000 rendez-vous pris par jour qui viennent de Vitemadose.Guillaume Rozier, le créateur de CovidTracker et de Vitemadose. - Olivier Juszczak / 20 Minutes© Fournis par 20 Minutes Guillaume Rozier, le créateur de CovidTracker et de Vitemadose. – Olivier Juszczak / 20 Minutes

Et votre dernier bébé, c’est Chronodose…

Depuis mardi, les plus de 18 ans qui ne sont pas prioritaires peuvent réserver un créneau laissé vacant pour le jour même et le lendemain sur Chronodose [un onglet à l’intérieur du site ou de l’appli Vitemadose]. On parle de quelques milliers à des dizaines de milliers de créneaux. Mais ce n’est pas cette mesure qui va permettre de vacciner les jeunes.

Début avril, vous avez demandé un coup de main sur Twitter pour améliorer l’algorithme de Vitemadose. Est-ce une aventure collective ?

Oui. Le mardi, j’ai eu l’idée, le jeudi, j’avais un site artisanal. L’engouement était important, mais la qualité du site pas extraordinaire. Le 2 avril, j’ai fait un tweet pour demander un coup de main à des développeurs. Environ 110 personnes ont rejoint la discussion Telegram. Ils ont fait les trois-huit pendant une semaine pour que l’algoritme soit compatible avec les cinq plateformes. Et pour passer de 5 heures à 1 minute pour scanner les créneaux sur toute la France.

Maintenant, la nouveauté, c’est qu’avec l’application, on peut avoir deux types de notifications. On peut d’abord s’abonner à un centre en particulier ; s’il rajoute un créneau, on est notifié. L’autre, c’est pour les chronodoses.

Ces plateformes ont-elles un coût, et si oui, par qui est-il assuré ?

Tous ceux qui participent sont bénévoles. Mais il y a des coûts techniques. Des entreprises nous font des réductions ou un prêt de serveur. Le reste, on le paie. Les utilisateurs peuvent faire des microdons. Ce qui nous permet de ne pas mettre de notre poche.Guillaume Rozier, le créateur de CovidTracker et de Vitemadose. - Olivier Juszczak / 20 Minutes© Fournis par 20 Minutes Guillaume Rozier, le créateur de CovidTracker et de Vitemadose. – Olivier Juszczak / 20 Minutes

Vous travaillez à plein temps en tant que data analyst. Vous inventez une application tous les trois mois. Vous êtes partout dans les médias. Vous twittez jour et nuit… Vous dormez, la nuit ? Vous avez un sosie ?

J’ai des cernes… Mon entreprise considère que c’est un projet d’utilité publique, donc j’ai une certaine souplesse. Mais je fais Covidtracker le midi, le soir, le week-end… Je ne pourrais pas continuer ce rythme de vie pendant plusieurs années. Si l’épidémie ne s’arrête pas, c’est moi qui m’arrêterais.

Que retenez-vous de cette aventure ?

Je me suis rendu compte qu’on pouvait faire des choses utiles plus facilement que ce que j’imaginais. J’ai appris beaucoup sur le développement, le management en santé. Je n’avais jamais touché à l’épidémiologie ! Catherine Hill [épidémiologiste à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif] m’a appelé et fait un cours pendant deux heures.

Est-ce à des étudiants bénévoles de proposer un service (et une responsabilité) de cette taille ou à l’État ?

C’est une question que je me pose… Et je n’ai pas la réponse. L’État n’a pas rien fait : il y a GéodesTousantiCovid… Mais surtout, les données sont publiées de manière exhaustive quotidiennement. Certains estiment que c’est le fonctionnement normal de l’open data. L’État fait ce qu’il est le seul à pouvoir faire : collecter des données de santé. Il doit être obligé de les agréger et de les publier. De l’autre côté, les citoyens peuvent s’en emparer pour faire des outils innovants.

Il y a un retour de boomerang pour les administrations publiques : l ’Inserm utilise CovidTracker pour ses recherches, Castex et Macron pour leurs conférences. L’État aurait-il dû mieux faire ? Oui, je pense. Il se serait passé quoi, si on n’avait pas fait CovidTracker ? Quelle est son influence sur le débat public ? J’ai l’impression que depuis que ça a pris beaucoup d’ampleur, il y a moins de fausses informations dans les médias. A l’été 2020, alors qu’on voyait dans les chiffres que l’épidémie reprenait à bloc dès juillet, des médecins disaient à la télévision qu’il n’y avait plus d’épidémie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.Guillaume Rozier, le créateur de CovidTracker et de Vitemadose. - Olivier Juszczak / 20 Minutes© Fournis par 20 Minutes Guillaume Rozier, le créateur de CovidTracker et de Vitemadose. – Olivier Juszczak / 20 Minutes

Comment travaillez-vous avec les autorités sanitaires ?

Il n’y a pas de collaboration. J’ai peu de communication avec Santé Publique France et Olivier Véran. On est complètement indépendant, on n’a pas de financement privé ou public. Les gens se rendent compte qu’on est neutre. On ne veut pas être confiné ou déconfiné, mais comprendre la réalité des chiffres.

Vu la méfiance ambiante sur les vaccins, n’est-ce pas profitable que ce soit des citoyens qui publient ces données ?

J’ai l’impression que c’est l’argument du gouvernement : c’est mieux que ce soit indépendant. Il y a sûrement un fond de vérité. On le voit bien : TousAntiCovid est super décrié. Cela m’a étonné que la première version ait provoqué des débats interminables, alors que les données sont complètement anonymisées. Facebook va beaucoup plus loin dans la collecte de données personnelles…

Concernant la méfiance vis-à-vis des vaccins, je ne suis pas inquiet Le retournement est en train de se faire : on a gagné 20 points de confiance chez les jeunes en un mois ! A partir du moment où tu vois trois potes vaccinés qui vont bien, ça rassure. L’open data, c’est une arme anticomplotiste, ça permet la transparence et la vérification. En mars 2020, des complotistes disaient il n’y avait pas X cas de Covid-19. Il fallait alors faire confiance à Jérôme Salomon. Là, on sait quels sont les cas par département, par âge et par sexe.

Comment avez-vous reçu l’hommage d’Emmanuel Macron qui a twitté sur votre site ?

Il nous a aussi envoyé un message, ça nous honore qu’il salue notre travail. Mais je n’ai pas fait ça pour avoir la Légion d’honneur. Ce qu’on aimerait, c’est un barbecue à l’Elysée (sourire) avec les contributeurs de Vitemadose, mais aussi les autres initiatives comme Covidliste.

Votre réussite peut-elle faire changer le regard sur les réseaux sociaux, souvent montrés comme un défouloir ou un lieu d’échange de fakenews ?

Peut-être. Pour moi, c’est hyper positif. Je suis des développeurs, des épidémiologistes. C’est comme ça que j’ai trouvé mon emploi, qu’on a aidé des dizaines de milliers de gens à trouver une dose, à comprendre l’épidémie, jusqu’au président.

Après, c’est vrai que le complotisme et la violence, je les vois de plus en plus. Parce que Macron et Castex regardent CovidTracker, pour certains, les décisions politiques, ça serait de ma faute. Vitemadose milite sans le vouloir pour la vaccination. Mais je reçois 99 % de soutiens, et c’est ça qui nous maintient motivés au bout d’un an.Guillaume Rozier, le créateur de CovidTracker et de Vitemadose. - Olivier Juszczak / 20 Minutes© Fournis par 20 Minutes Guillaume Rozier, le créateur de CovidTracker et de Vitemadose. – Olivier Juszczak / 20 Minutes

Vous avez twitté mardi sur le fait que le site Vitemadose a été ciblé par des antivaccins…

Dans le feu de l’action, je n’ai pas pensé à déposer et à acheter le nom de domaine Vitemadose. Le 8 avril, on a découvert que Vitemadose.fr et Vitemadose.com ont été achetés. Mais les sites renvoient vers le nôtre. Quelques jours plus tard, ils l’ont mis en vente entre 5.000 et 10.000 euros. On a refusé. Jusque-là, ce n’était pas malveillant. Mais depuis mardi, il y a des informations antivaccins sur le site. C’est pour cela que j’ai twitté pour dire « attention, le bon lien c’est… » Un avocat pro bono est en train de faire des démarches, on va contester. Donc on devrait a priori récupérer le nom.

Le champ de la data est-il sous-investi en France par rapport à d’autres pays ?

Sûrement. On peut imaginer énormément de choses avec l’open data dans la santé, mais aussi dans d’autres domaines : les transports, la transition écologique… La loi République numérique de 2016 a changé le paradigme. Avant, on ne publiait pas les données, sauf exception. Maintenant, la norme, c’est la publication, sauf ce qui pose problème en termes de vie privée.

On n’imagine pas la valeur que représentent les données avant de les publier. Un jeu de données isolé, on peut se dire que c’est inutile. Mais mis en correspondance avec un autre, ça prend tout son sens. Par exemple, en croisant le nombre de lits en réa et le nombre de personnes hospitalisées en réa, on voit la saturation de ces services.

Avec 20 minutes