vendredi, novembre 22, 2024

Vol d’images sensibles, vengeance, chantage : les ravages des réseaux sociaux

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Les délits de collecte illicite et de diffusion de données à caractère personnel ou pornographique foisonnent, de nos jours, dans les rôles des tribunaux. Les raisons qui poussent des hommes et des femmes à violer l’intimité de leurs «proies» vont de la vengeance d’un amoureux éconduit à la jalousie, en passant par le chantage pour obtenir, souvent, des faveurs sexuelles. 

La presse fait régulièrement état de délits de collecte illicite et de diffusion de données à caractère personnel ou pornographique. Il s’agit, la plupart du temps, de photos ou vidéos à caractère sexuel, réalisées volontairement par la personne pour séduire. Parfois, ce sont des images volées, obtenues à l’insu de la personne lors d’un moment d’intimité. Quoi qu’il en soit, les diffuser sans consentement pour se venger ou pour extorquer des fonds (« sextorsion »), est puni par la loi. Ce nouveau fléau à la mode cache aussi, très souvent, des motivations telles que le chantage pour obtenir des faveurs sexuelles, l’extorsion de fonds, l’envie de faire mal pour des raisons de jalousie ou de déception amoureuse, comme l’illustrent plusieurs affaires jugées devant les tribunaux.

Courant mars 2021, I. D. a l’air surpris et confus devant la barre du Tribunal des flagrants délits de Dakar. Il n’a jamais imaginé qu’il allait se retrouver devant une juridiction pour une partie de plaisir qui a mal tourné. Selon sa version, la plaignante qu’il a connue via Facebook, avait accepté de se retrouver avec lui dans une auberge. Au cours de leurs ébats, la dame a laissé le bonhomme la prendre en photos et vidéos dans une position nue. Plus tard, I. D. a voulu faire du chantage à la dame avec ces images et films obscènes. À l’arrivée, le Tribunal l’a condamné à deux ans dont un mois ferme. Récemment, une autre dame qui voulait faire plaisir à son ex-mari lui a envoyé ses vidéos intimes. Mal lui en a pris puisque les images sont tombées entre les mains de l’épouse de ce dernier qui n’a pas hésité à les partager aussitôt. L’affaire a causé une situation inédite au sein de cette famille. Embarrassée, la victime vit un drame social.

Le réseau social Tik-Tok fait aussi des ravages. Une respectable dame a été surprise de voir ses vidéos intimes sur cette plateforme alors qu’elles étaient destinées à son époux établi à l’étranger. La demoiselle C. F. (initiales d’emprunt) qui évolue dans l’événementiel, a failli, elle-aussi, tomber à la renverse en voyant ses photos sur Instagram. L’auteur des faits n’est personne d’autre qu’une gérante de salon. Victime de vol dans le salon, elle s’en est ouverte à la propriétaire qui n’était pas sur les lieux. Après lui avoir remboursé son argent, la gérante du salon n’a rien trouvé de mieux que de publier leurs échanges et sa photo de profil sur ce réseau social. C. F. lui a intimé l’ordre de supprimer son image sous peine de porter plainte.

Vidéos coquines

En fin décembre 2020, quatre élèves en classe de Terminale et complices du maître chanteur en série surnommé «Kocc Barma», ont été arrêtés et placés sous mandat de dépôt pour collecte illicite de données personnelles. Le cerveau de l’affaire s’était procuré des photos érotiques de sa belle-mère que celle-ci avait envoyées à son mari établi aux États-Unis. Avec ses amis, il a «intentionnellement» envoyé les images au fameux «Kocc Barma» qui les a publiées sur son site web de pornographie. Jugés en flagrants délits, ils ont écopé de deux ans assortis du sursis. En septembre 2020, S. N., un collaborateur de «Kocc», encore lui, a été arrêté après avoir fait plus de 100 victimes de différentes nationalités. En début mars 2021, N. D. N., élève en classe de Terminale à Saint-Louis et musicien à ses temps perdus, a été condamné à deux ans dont trois mois ferme pour exportation d’images à caractère pornographique par le biais d’un système informatique. Après la séparation avec sa petite amie, M. D., il a, pour se venger, publié des photos et des vidéos coquines de celle-ci. Pis, il les a même envoyées au père de la jeune femme. Surpris, celui-ci a voulu en savoir plus. Il s’en est alors ouvert à sa fille qui lui a raconté sa mésaventure.  En 2010 déjà, l’affaire ayant opposé la dame Khadija Mbaye à l’homme politique Diombass Diaw est encore fraîche dans les mémoires. La prévenue a été condamnée à six mois ferme.

CE QUE RISQUENT LES COUPABLES

Des peines allant jusqu’à 7 ans ferme et de lourdes amendes

Les auteurs de délits de collecte de données à caractère personnel s’exposent à de lourdes sanctions pénales et pécuniaires pouvant aller jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 10 millions de FCfa d’amende. 

Les atteintes aux données à caractère personnel sont des délits prévus et punis par les articles 431-14 à 431-28 du Code pénal, rappelle le juge Sécou Oumar Faty du Tribunal de grande instance de Pikine-Guédiawaye. Citant le texte de loi, le magistrat précise que «quiconque aura collecté des données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite, sera puni d’un emprisonnement d’un an à sept ans et d’une amende de 500.000 FCfa à 10 millions de FCfa ». De même, précise-t-il, «quand il y a extorsion de fonds à l’occasion de la commission d’une atteinte aux données à caractère personnel, son auteur peut être poursuivi pour ce délit prévu et puni par l’article 372 du Code pénal». Avec l’application des circonstances atténuantes, les peines prononcées vont rarement au-delà de deux ans d’emprisonnement, ajoute le magistrat. Mais il est possible, avec l’avènement de cette loi, de réprimer pénalement des faits commis surtout à l’aide de moyens de communication. Et souvent, « c’est lorsqu’une personne voit ses images ou vidéos privées entre les mains de tiers sans son consentement ». Ces images ou vidéos sont utilisées pour exercer des chantages de toute nature sur la personne. « Pour la plupart, ce sont ces types de cas qui sont déférés devant les juridictions », a laissé entendre le juge Faty.

Qu’est-ce qu’une collecte illicite de données personnelles

Prendre une photo d’un tiers ou télécharger ses vidéos ou images postées sur un réseau social sans le consentement de la personne sont autant de gestes anodins mais qui, en réalité, peuvent constituer des infractions à la loi pénale. Car, il s’agit tout simplement d’actes que la loi qualifie, selon Me Léon Patrice Sarr, de traitement ou de collecte illicite de données à caractère personnel. Celles-ci ne se limitent pas à l’image, mais, renseigne l’avocat, «constituent toute information permettant d’identifier directement ou indirectement une personne par des éléments propres à son identité physique, génétique, culturel, social, ou économique…». Il s’agit, entre autres, de l’empreinte digitale, des nom et prénom, du numéro de téléphone, de la carte nationale d’identité de la personne. Et toute manipulation sur ces données, informe-t-il, « doit se faire après avoir effectué certaines formalités auprès de la Commission des données personnelles (déclaration préalable ou demande d’autorisation). En plus, certains principes doivent être respectés (légitimité, licéité, loyauté, transparence, proportionnalité, exactitude, confidentialité, transparence, durée limitée, sécurité). En outre, la personne dont les données font l’objet du traitement doit se voir reconnaître certains droits (information, droit d’accès, droit d’opposition, droit de rectification et de suppression). Enfin, pèse à la charge de la personne qui traite les données une obligation de confidentialité, de sécurité, de conservation et de pérennité. « Le fait de publier ma photo sur ma page Facebook, ne signifie pas que vous avez le droit de la télécharger, de la stocker, de la modifier, de la partager ou de la publier. Tout comme l’agent de la Direction de l’automatisation du fichier qui trouve mes données dans le fichier ne peut pas les utiliser à des fins autres que celles justifiant leur traitement», indique Me Abou Abdoul Daff. Selon Me Sarr, « tout traitement effectué sans respect des formalités préalables, des principes, des droits de la personne dont les données font l’objet de traitement ou des obligations du responsable du traitement expose à des sanctions pénales ».

Si à un certain moment, les données personnelles étaient utilisées par les sociétés commerciales dans leurs ciblages, maintenant, il y a les nombreuses atteintes à la vie privée qui se font souvent par une collecte illicite de données à caractère personnel. D’où la loi 2008 sur la protection des données personnelles. Elle est suivie par un décret d’application et renforcée par le code pénal qui contient les incriminations.

Le mauvais usage des réseaux sociaux au banc des accusés

L’usage des réseaux sociaux comme Tik Tok, WhatsApp, Instagram, qui sont des canaux par lesquels certains jeunes exposent leur intimité, n’encourage-t-il pas le phénomène ? À cette question, un gardien et un marchand ambulant âgés de 25 ans, une mère de famille et une restauratrice répondent sans hésiter par l’affirmative.

Employée dans une entreprise de gardiennage, P. Coly, âgé de 25  ans, lance sur un ton détaché avec un sourire en coin : « De nos jours, des femmes demandent à leurs copains de filmer leurs ébats. Elles gardent les images comme souvenirs et s’en délectent avec des copines pour leur montrer ce qu’elles sont capables de faire en intimité. Nous aimons faire le buzz sur les réseaux sociaux. Peu importe les conséquences. L’essentiel, c’est d’avoir le maximum de vues. Nous vivons un monde du paraître. La pire chose qui puisse nous arriver est d’être dans l’ombre. Les réseaux sociaux nous permettent d’être vus par des millions de personnes et cela nous donne la grisante sensation d’exister vraiment ». P. Coly s’abstient de juger, déclarant suivre le mouvement.

Marchand ambulant, Baye Niasse, âgé de 25 ans, attend son petit déjeuner dans une gargote sise au croisement Keur Massar. Il n’y va pas par quatre chemins pour dire que les parents sont fautifs. Le commerçant s’offusque que des parents donnent des téléphones portables à leurs enfants de 10 à 15 ans, avec la connexion Internet.  Avec une telle liberté, il ne faut pas être surpris que la curiosité pousse les enfants à explorer des sites d’adultes, met-il en garde.

Assise devant sa table, A. Diaw, vendeuse de « café Touba » trouvée à un arrêt de bus, a trois  fils dont le plus âgé a 11 ans. La pauvre se fait un sang d’encre pour eux au sujet des Tic. « Il faut le reconnaître, en tant que parent, nous sommes largués par nos enfants quand il s’agit de Tic. On ne doit jamais cesser de les surveiller et de les conseiller. Tik Tok, Instagram, WhatsApp et autres sont à leur portée et constituent des créneaux redoutables pour faciliter la dépravation des mœurs. Cependant, ce ne sont que des outils, c’est à nous, hommes  et femmes, de les contrôler et non l’inverse », dit la mère de famille qui ne sait plus à quel saint se vouer.

Rencontrée au coin d’une rue dans la banlieue dakaroise, à Sicap Mbao, A. Faye, restauratrice, est de la même génération que P. Coly mais elle est loin de partager son opinion. « J’ai l’habitude de dire que le corps est faible mais l’esprit est fort. Quel que soit le degré de confiance qu’une femme puisse avoir pour un homme, même s’il s’agit de son époux, elle ne doit pas accepter de se faire filmer ou photographier en intimité. Parce qu’on ne sait jamais dans quelles mains ces images peuvent atterrir. Ce que la femme a de plus sacré, c’est son corps», estime la jeune femme. Certes, poursuit A. Faye, les réseaux sociaux sont pour beaucoup dans la dépravation des mœurs qui débouche parfois sur des dossiers devant les tribunaux,  mais en toute chose, il y a du bon et du mauvais. Si certains utilisent les réseaux sociaux pour nouer des amitiés sincères, retrouver de vieilles connaissances, faire du business, partager des recettes culinaires, d’autres s’en servent pour se pervertir. «C’est à nous, utilisateurs, de faire la part des choses », a affirmé  la restauratrice.

Par Fatou SY, Tata SANE et Souleymane Diam SY dans Le Soleil