vendredi, novembre 22, 2024

Retrait du Bac : Les bugs de la digitalisation

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Les étudiants éprouvent d’énormes difficultés pour retirer leurs documents à l’Office du baccalauréat, malgré la digitalisation de la demande. Une situation préjudiciable pour la poursuite des études à l’étranger et d’autres examens et concours à faire.

Le siège de l’Office du bac, derrière l’UCAD II, est un bâtiment de deux étages peint en jaune, bien entretenu avec des arbres, des bancs publics. En cette matinée de début décembre 2020, les étudiants viennent un à un pour récupérer leur diplôme. Ceux qui ont un rendez-vous sont appelés à retirer le sésame par ordre d’arrivée et, pour ceux qui n’ont pas pris de rendez-vous, le vigile leur intime l’ordre d’aller s’inscrire sur les plateformes dédiées et d’attendre la date qui leur sera fixée.

De teint noir, t-shirt à l’effigie du Dakar Université Club, le vigile appelle les étudiants un à un, en se référant sur la liste que les étudiants ont eux-mêmes établie. «Seuls ceux qui ont un rendez-vous peuvent récupérer leurs diplômes. Ceux qui ont leur bac en 2019 ne peuvent pas le récupérer parce que ce n’est pas encore disponible», lance-t-il dans la foulée. Une déclaration en contradiction avec les propos de M. Traoré Oumar, chef des Services administratifs qui, lors d’un entretien qu’il nous a accordé dans son bureau, le même jour, a affirmé que tous les diplômes sont disponibles. 

Le couloir grouille de monde. «C’est le contexte qui le justifie avec l’approche des concours », tente d’expliquer un étudiant, sac à dos bien en place et bouteille d’eau à la main.

La porte de la salle prévue pour le retrait du diplôme n’est pas encore ouverte mais les étudiants sont bien sur les lieux. Tantôt, c’est un étudiant qui appelle un vendeur d’arachide pour vaincre la faim, tantôt c’est un autre étudiant qui déplore la lenteur de la situation. « Il est presque dix heures et personne n’a encore reçu son diplôme. C’est inadmissible. Ces gens ne travaillent pas», fulmine un étudiant.En sus de cela, il s’interroge : «comment peut-on donner le diplôme aux nouveaux bacheliers de 2020 et nous laisser en rade alors qu’on a décroché notre parchemin depuis plus de 5 ans ?»  «C’est déplorable», argumente un autre étudiant.

Fraichement sorti de la salle de fortune où on récupère les attestations spéciales, ce jeune d’une vingtaine année refuse d’abord de donner son avis sur cette difficulté à récupérer leur parchemin, avant de lancer ces quelques mots : «Vous m’excusez monsieur je n’ai pas le temps. Je devais être au front. Si j’ai fait le déplacement, c’est pour récupérer ce bout de papier (attestation spéciale) que je dois scanner et envoyer à un ami qui vit en Europe. Je ne pouvais pas lui refuser ça ».

Fraudes 

 C’est tout le contraire d’Alioune Gueye, étudiant en génie civile à l’Institut polytechnique de Dakar, qui vient de retirer son diplôme à 10h passées de 40mn. Pour lui, les démarches ont été très faciles. «J’ai fait la demande de retrait de mon diplôme la semaine passée en ligne via vérifie bac. Soixante-douze heures après, j’ai reçu une notification de la disponibilité de mon diplôme. Je n’ai pas rencontré de problème, vraiment c’était cool», se réjouit-il.

L’office du bac a mis en ligne des plateformes dédiées aux étudiants pour s’inscrire et récupérer leurs diplômes. « Le retrait du diplôme n’est pas une mince affaire, on y va avec prudence. D’ailleurs la semaine passée, on était au tribunal parce que nous avons porté plainte contre quelqu’un qui a eu à faire des falsifications sur le retrait des diplômes», informe M. Traoré.

Avant d’établir le protocole à suivre pour récupérer son diplôme, son attestation spéciale ou son relevé de notes, « il y a le dépôt physique – qui n’est de rigueur que dans des cas de procédures d’urgences – avec une demande manuscrite de retrait de diplôme adressée au recteur, l’originale de l’attestation provisoire du diplôme.  Mais à l’ère du numérique, l’Office a mis à la disposition des étudiants des plateformes dédiées pour le retrait en ligne du diplôme de baccalauréat, de relevé de notes ou d’attestation spéciale. On s’inscrit en ligne sur les supports numériques à savoir vérifiebac ou teledac.sec.gouv.sn. Teledac a été créé par l’Etat par un de ses démembrements à savoir l’Agence de développement informatique de l’Etat ».

Rabatteur persona non grata

Une déclaration battue en brèche par un étudiant et rabatteur à ses heures perdues répondant au nom de Youssoupha  Badji. « Ce n’est possible sur teledac que deux ans après l’obtention du bac qui correspond à la date d’expiration de l’attestation provisoire. Comment ceux qui ont leur bac en 2019 peuvent donc s’inscrire sur la plateforme ?» Selon M. Badji, le travail de «services numériques à ciel ouvert» (appellation qu’il donne à son activité) marche bien en cette période où les concours sont à la mode chez les étudiants : «Je peux inscrire plus de dix étudiants par jour. Pour l’inscription pour le retrait du diplôme de bac, c’est à 1000 francs CFA et pour le retrait de l’attestation c’est à 500 francs CFA.»

Ces rabatteurs sont mal vus à l’Office du bac. La preuve, à l’entrée de la porte centrale, est affichée une note portant sur les procédures de demande de retrait de documents à l’Office du baccalauréat où la structure invite les étudiants et autres usagers à ne point « se rabattre à ces individus non identifiés qui rodent autour du campus social et proposent un service payant…» L’Office condamne cette pratique et invite les bacheliers et autres usagers à ne point recourir aux services de ces « faussaires » (le mot faussaire est écrit en gras).

« 8078 diplômes retirés »

Selon Oumar Traoré, si les étudiants parlent de retard dans la procédure de retrait, c’est parce que l’Office du bac a traversé une période de crise financière qu’il assimile à une hémorragie interne avec un gap financier dont il refuse de dévoiler le montant sur la période de 2009 à 2016. « D’après les calculs du directeur de l’Office du bac, on avait un gap financier énorme et pour arrêter l’«hémorragie», il fallait changer les textes avec le concours du Recteur qui nous a confié sa signature en version électronique sous la supervision de la direction des affaires juridiques. Depuis, on note beaucoup d’amélioration dans le service rendu aux étudiants et autres usagers ».

Pour étayer la véracité de ses propos, il sort des tiroirs de son bureau un document qui recense les statistiques des diplômes délivrés par l’office depuis octobre 2020. « Sur 56.586 diplômes disponibles au niveau de l’Office du bac, 8078 sont retirés et 41 757 diplômes sont déjà signés par le Recteur. Pour teledac, sur 28 727 demandes de retrait, seuls 14 593 diplômes ont été retirés et 1207 sont disponible en ligne», énumère-t-il.

Un argument qui est loin de satisfaire Bassirou Diouf, étudiant originaire de Fatick. Pour lui, si le travail était bien fait, il n’y aurait pas tout ce beau monde. «C’est qu’il y a des couacs et un manque de communication que vous voyez des étudiants qui n’ont pas rendez-vous et qui s’entêtent à être là pour récupérer leurs documents. Le message ne passe pas», se désole-t-il.

Chiffres à l’appui, M. Traoré réfute ces accusations. « De 2009 à 2017, on a imprimé le double de ce que l’Université a imprimé de 1959 à 2008 en termes de délivrance de diplôme de bac, parce que nous avons demandé au Recteur de nous chercher une signature électronique. Et pour les mille francs qu’on demande aux étudiants, ça va nous permettre d’acheter des feuilles, de l’encre et des machines. L’Office du bac livre une attestation spéciale à chaque demande de préinscription d’un étudiant en vue d’aller étudier à l’étranger ou de postuler pour un concours. L’attestation spéciale est vendue à 1000 francs CFA le coupon pour les résidents à Dakar et 1800 francs CFA pour ceux qui sont dans les régions». Il ne tarit pas d’éloges sur les plateformes digitales pour faciliter le retrait de documents, invitant les étudiants à maitriser la procédure. 

                                                                                                     Ibrahima NGOM, cesti-info.ucad.sn