La plupart des articles sur l’Afrique publiés par les médias locaux proviennent d’agences de presse étrangères. Et, les médias africains, en reprenant l’Information venue de la presse occidentale, prennent rarement la peine de fournir un effort de rewriting mais surtout de contextualisation de cette information. Ce qui fait que l’on reste enfermé dans la perspective de ces médias étrangers qui appréhendent les situations sous des prismes déformants. Mamdou Thior, journaliste et président du Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie dans les médias (CORED) et Diatou Cissé, journaliste et ancienne secrétaire général du Syndicat des professionnels de l’information et de la communication sociale du Sénégal (SYNPICS) pensent que la presse africaine doit se regrouper de plus en plus, mutualiser les forces pour parler du continent. En ce sens que les partenariats ainsi que la contractualisation avec des correspondants locaux sont un début de solution.
MANQUE DE MOYENS ET DE SOUTIEN PAR LES GOUVERNANTS AFRICAINS : Le lit des stéréotypes sur l’Afrique dans les médias locaux
Les médias africains contribuent, involontairement, à entretenir et alimenter les stéréotypes et les images négatives sur le continent. En ce sens que toutes les informations et nouvelles du continent, relayées par les organes de presse locaux, portent les signatures des médias étrangers, notamment de grands groupes, qui n’ont d’yeux que pour les trains qui arrivent en retard en Afrique. RFI, Reuters, BBC, CNN, AFP, AP, France24, Euronews, etc. ; ce sont là les principales signatures au bas des articles publiés par la presse locale (journaux quotidiens, magazines et périodiques) et les médias audiovisuels en ligne (radios, télévisions, sites d’informations).
Fautes de moyens et d’accompagnement des pouvoirs publics, décideurs et dirigeants du vieux continent, même l’actualité d’à côté, du pays voisin ou limitrophe, est relayée à partir de dépêches produites par les médias étrangers. Ce constat s’est d’autant plus exacerbé que depuis l’assassinat de l’ex-homme fort de Libye, le président Mouammar Kadhafi, le 20 octobre 2011, à Syrte (Libye), par une coalition dirigée alors par la France de Nicolas Sarkozy, l’Agence panafricaine de presse (Panapress ou La PANA, agence continentale), qui contribuait à maintenir un peu l’équilibre, n’a plus de place sous le soleil africain, ou presque.
L’Union africaine (UA) et les dirigeants du continent qui peinent, depuis lors, même à organiser des conférences annuelles dignes de ce nom, regardent mourir cette presse panafricaine de sa belle mort. L’agence APA News (APA) qui tente, tant bien que mal de s’imposer, n’est pas mieux lotie.
L’AFRIQUE QUI BOUGE ECLIPSEE DANS LES MEDIAS
Les sujets d’actualité, d’enquête, les reportages, dossiers, etc. ont tous à voir ou presque avec la pauvreté, la famine et la misère, les violences, trucages, manipulations et autres fraudes lors des différentes élections dans plusieurs pays. Il s’y ajoute le terrorisme, la guerre, les rebellions, les violences et conflits armés ou communautaires avec leur lot d’attaques armées meurtrières, la migration (irrégulière) même si les africains voyagent plus dans le continent que vers l’occident, etc. Autant de sujets qui ne sont pas propres à l’Afrique mais rapportés comme… une identité africaine. L’Afrique qui bouge et qui tient le bon bout, les crocs-en-jambe de l’occident contre cette Afrique qui tente de prendre son destin en main, n’intéressent pas cette presse «grossiste» occidentale. Quid du pillage des ressources du continent, des contrats léonins imposés à ses dirigeants obligés de les accepter, sous «peine» de se voir infliger des restrictions et programmes d’ajustements structurels par les gendarmes que sont les institutions de Bretton Woods, ce bras économique armé de l’occident, au grand dam des populations qui paient les pots qu’elles n’ont pas cassé?
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L’autre frein, c’est que même au niveau interne des pays, des journalistes étrangers européens, américains, chinois, japonais… ont plus de facilité à accéder à certaines informations, qui pourtant intéressent les citoyens, que les professionnels locaux. Pour des enquêtes, dossiers et autres articles de fond, le journaliste «national» est soumis à tout un protocole, visant à le décourager. Il faut adresser une lettre ou écrire une demande à un supérieur ; sollicitation qui reste le plus souvent sans réponse, si elle n’est pas rejetée sous prétexte de la «sensibilité» de l’information ou des documents demandés. D’ailleurs pourquoi mettre à disposition d’un journaliste local des documents ou des informations, si l’on sait que cela peut coûter son poste ? Même s’ils sont obtenus sous le couvert de l’anonymat.
Sachant que dès la publication de certaines informations, l’autorité supérieure directe ou le haut d’en haut, va chercher à savoir qui a informé le journaliste et «couper» des têtes. Des fois, passer outre, après avoir activé ses réseaux et connaissances, c’est s’exposer à l’épée des poursuites judiciaires, pour «diffusion de fausses nouvelles», «faux et usage de faux…», «recel de documents…», entre autres charges, qui peuvent s’abattre à tout moment sur le rédacteur de l’article et son organe ou groupe, devant un Tribunal.
LA RESPONSABILITE DES CHEFS D’ETAT ET DE GOUVERNEMENT AFRICAINS ENGAGEE
Et pour couronner le tout, les décideurs et chefs d’Etat et de Gouvernement de pays africains sont parmi les principaux soutiens de cette donne. Car, ils réservent souvent les informations décisives concernant leurs nations aux médias étrangers. Pis, c’est lors de voyages en occident, le plus souvent dans le pays ancien colonisateur, donc loin des compatriotes et administrés, que ces informations sont portées à la connaissance des citoyens nationaux.
Bref, selon une étude, un tiers des articles sur l’Afrique publiés par les organes d’information du continent proviennent d’agences de presse étrangères. Un nouveau rapport de l’organisation «Africa No Filter», intitulé «How African Media Covers Africa» («Comment les médias africains couvrent l’Afrique»), rendu public le 25 janvier 2021, montre que l’histoire de l’Afrique est racontée essentiellement sur la base de sources occidentales. Il ressort de cette enquête menée entre septembre et octobre 2020, auprès de 38 rédacteurs africains et sur le contenu de 60 médias africains de 15 pays (Botswana, Afrique du Sud, Zambie, Zimbabwe, RDC, Égypte, Tunisie, Tanzanie, Éthiopie, Kenya, Rwanda, Ouganda, Ghana, Nigeria et Sénégal) que «63% des medias n’ont pas de correspondant dans d’autres pays d’Afrique».
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Mais, «paradoxalement, 50% des rédacteurs en chef interrogés estiment que leur couverture des pays africains autres que le leur ne contient pas de stéréotypes», note la source. Dès lors, il y a «de gros efforts à faire pour nous auto-éduquer et changer le rôle que nous jouons dans la perpétuation de stéréotypes dépassés sur nous-mêmes». Surtout que «les récits ont une grande importance et leur influence va au-delà de la simple narration. Ils ont un impact sur l’investissement en Afrique, sur la jeunesse et les opportunités que les personnes perçoivent dans leurs pays, sur la migration, la créativité et l’innovation», alerte-t-on dans le document.
MAMADOU THIOR, JOURNALISTE ET PRESIDENT DU CORED : «Il faut que nous nous regroupions de plus en plus pour avoir plus de force pour parler du continent qui nous est cher»
«Il faut dire que la presse africaine, c’est de petits groupes dans la plus part des cas. Ils n’ont pas les moyens de BBC ou RFI, pour se déployer à travers les continents et avoir des correspondants partout. Pour contourner un peu cette difficulté, il faut mettre en place des partenariats ponctuels. C’est-a-dire que quand il y a un évènement important, on envoie un reporter sur place. Avoir un bon contact journalistique à qui on a confiance et faire en sorte que ce contact-là puisse nous faire une correspondance particulière, parce que tant que c’est un africain qui parle de l’Afrique, je pense que c’est mieux. Les occidentaux, les journalistes de manière générale, ne s’intéressent qu’au train qui n’arrive pas à l’heure. Mais, pendant ce temps-là, il y a beaucoup de trains qui arrivent à l’heure et que ce serait bien que les Africains fassent des efforts sur ce côté-là pour ne pas laisser la place aux occidentaux. Ce qui ce passe, c’est que si nous ne prenons pas cette place-là, ce sont les occidentaux qui vont venir parler de l’Afrique, selon leurs intérêts. Quand un organe de presse malien a besoin du «mercato» au Sénégal, qu’il puisse faire confiance à un Sénégalais. Parce que si nous contribuons à laisser la presse étrangère parler de l’Afrique, vous voyez, par exemple, actuellement la crise sanitaire que nous vivons avec cette 2ème vague, ils commencent à dire qu’il y a plus de mort en Afrique que chez eux. Alors qu’ici, en Afrique, quand vous prenez le continent de manière globale, nous ne sommes pas encore à 100 mille morts ; là où pour un seul pays occidental, ce nombre-là est dépassé. Donc, il faut que nous nous regroupions de plus en plus pour avoir plus de force pour parler du continent qui nous est cher. Il faut faire en sorte d’avoir une présence en mutualisant les forces, que tout de suite, quand il y a un évènement au Mali, par exemple le dernier coup d’Etat malien, qu’on puisse avoir un bon contact sur place, un malien à qui j’ai confiance et qui me fait la situation, au lieu d’écouter RFI ou bien d’aller prendre la dépêche de BBC. C’est comme ça que nous montrerons aux occidentaux que nous pouvons parler de notre cher continent, nous-mêmes, même s’ils ont plus de moyens que nous.
DIATOU CISSE, JOURNALISTE, ANCIEN SECRETAIRE GENERAL DU SYNPICS : «La PANA et APA News constituaient des réponses plus efficientes, mais…»
«Je pense, au-delà du constat établi par ce rapport, constat que je partage du reste largement, qu’il y a lieu de revenir sur un débat qui n’en est pas moins actuel : le Nouvel Ordre Mondial de l’Information (et de la Communication – NOMIC, ndlr) dont le précurseur est le président Amadou Mokhtar Mbow, alors directeur général de l’UNESCO. Quoiqu’on dise, le flux d’informations sur le continent vient essentiellement du Nord, avec tous les biais et distorsions possibles. C’est vrai qu’en reprenant, dans nos médias africains, l’information venue des médias occidentaux, il nous manque de fournir un effort de rewriting mais surtout de contextualisation de cette information. Résultats des courses, nous restons enfermés dans la perspective de ces médias qui appréhendent les situations sous des prismes déformants. La solution se trouve dans la dernière partie de mon propos : retravailler les informations par notre propre lecture. Je pense que vous avez raison, les partenariats ainsi que la contractualisation avec des correspondants locaux sont un début de solution. Toutefois, j’ai bien peur que ces correspondants, du fait du manque de moyens, soient réduits à relayer, par exemple les éléments d’une équipe de France24, si elle a les moyens de se rendre par exemple à Gao ou à Tombouctou (pour le cas du Mali, ndlr). La PANA et APA News constituaient des réponses plus efficientes ; mais, faute de soutien des gouvernements et institutions africains, les objectifs que ces agences visaient ne sont pas atteints.».
Ibrahima DIALLO ET AMINATA GUEYE, Sud Quotidien