Les mesures de défense commerciale permettent de lutter contre les pratiques déloyales. Le système commercial multilatéral autorise les pays à adopter des mesures restrictives en réponse à des circonstances très précises. Un instrument de défense commerciale est un outil qu’un État peut utiliser pour se protéger en cas de pratiques déloyales ou en cas d’augmentation massive d’importations susceptibles de déstabiliser une branche de production nationale. Les principales mesures de défense commerciale sont les mesures de sauvegarde qui sont une réponse à des importations soudaines et massives menaçant une branche de production locale ; les mesures compensatoires qui sont une réponse à des importations de produits bénéficiant de subventions indues ; et les mesures antidumping qui sont une réponse à des importations de produits vendus à perte par l’exportateur dans le but de pénétrer un marché cible. Globalement, les trois instruments permettent de lutter contre des pratiques commerciales déloyales.
Protéger l’agriculture africaine par une mesure de sauvegarde spéciale
Le processus de déprotection des agricultures des pays africains a eu pour conséquence d’exposer les couches les plus défavorisées à une insécurité alimentaire et économique accrue. L’iniquité dans cette situation réside dans le fait que les mesures de libéralisation de l’OMC ont été imposées aux pays africains, les plus libéralisés déjà.
L’utilisation du mécanisme de sauvegarde spéciale, très simple pour faire face à la baisse des prix et l’augmentation massive des importations, n’est accessible que pour un nombre limité de pays. Seuls cinq pays africains y ont accès au moment de la conclusion des accords commerciaux multilatéraux (Afrique du sud, Botswana, Maroc, Namibie, et Tunisie). Cette situation est due essentiellement au fait que la clause de sauvegarde spéciale pour l’agriculture ne peut être invoquée que pour les produits pour lesquels il a été procédé à une tarification, et à condition que le gouvernement se soit réservé le droit de le faire dans sa liste d’engagement relative à l’agriculture. Or, au moment des négociations du cycle d’Uruguay, les pays africains n’avaient pas d’intérêts à tarifier leur protection du fait du niveau de libéralisation déjà élevé. La solution raisonnable pour eux consistait à consolider des taux plafonds, ayant l’avantage de leur permettre, le cas échéant, d’augmenter leur niveau de protection. Dans la pratique, les tarifs appliqués sont moins élevés que les tarifs consolidés, ce qui est supposé laisser une marge de réaction par des hausses face à des importations subites et massives et à des baisses des prix à l’importation. Mais ces pays n’ont pas toujours les outils pour faire face à des variations importantes des volumes d’importation ou des prix.
La mise en œuvre de la ZLECAF est l’occasion de corriger cette lacune du système commercial multilatéral. Les pays africains doivent disposer d’une mesure de sauvegarde spéciale de protection de leurs produits agricoles, soit par un dispositif express de l’accord de la ZLECAF, soit par l’adoption d’une disposition similaire dans les l’une ou plusieurs des organisations économiques régionales qui, étant plus favorables que le mécanisme continental, lui prévaudrait.
Couver les industries naissantes et/ou non viables
L’objectif de la protection des industries naissantes doit être omniprésente dans la mise en œuvre de la ZLECAF. Celle-ci doit les protéger pour qu’elles grandissent et deviennent matures, avant d’aller à l’assaut de la concurrence internationale. Une banque de données et des informations statistiques doivent être sécurisées pour soutenir le développement industriel aux niveaux régional et continental.
Stratégiquement, la protection des industries naissantes peut prendre la forme d’instruments variés qui peuvent être utilisés par la ZLECAF.
D’abord, la Protection tarifaire qui consiste à augmenter le prix des produits importés afin d’en décourager leur consommation. Dans cette situation, de nouveaux droits de douane peuvent être pris sur une marchandise importée lors de son entrée sur le territoire national et/ou communautaire, sans préjudice des engagements pris par les membres au niveau de l’OMC.
Ensuite, la prohibition des importations qui consiste à interdire l’importation totale d’une marchandise, sous forme d’embargo commercial, sans préjudice des engagements pris par les membres au niveau de l’OMC. Aussi, les quotas d’importation qui permettent de procéder à des contingentements, sous la forme de quotas d’importation, en se réservant le droit de les réguler.
Enfin, les barrières règlementaires qui peuvent être prises sous la forme de normes techniques, sanitaires, environnementales et être appliquées aux produits importés afin d’en augmenter le coût et/ou d’en rendre impossible l’importation.
Des dispositifs régionaux de protection non effectifs
Dans toutes les communautés économiques régionales incluses dans la ZLECAF, il existe une règlementation plus ou moins sommaire sur les mesures de défense commerciale. La CEDEAO notamment a, depuis 2013, des règlements sur les mesures de sauvegarde, les mesures antidumping et les mesures compensatoires. Ces règlements qui ne sont pas d’ailleurs appliqués par la Communauté prévoient des textes d’application et des institutions qui devaient être créés et qui ne le sont pas encore.
Le même dispositif sur les mesures de défense commerciales existe dans le Traité d’Abuja, à l’OMC où les Etats ont pris des engagements individuels et dans toutes les autres organisations économiques régionales. Les mêmes insuffisances sont relevées partout, au point que la protection commerciale africaine est loin d’être effective. Les critères de déclenchement de ces dispositions concernant les mesures de défense commerciales ne sont pas toujours clairs et accessibles, au regard de leur complexité technique. Les accords commerciaux régionaux ne prévoient pas toujours tous les éléments du cadre réglementaire de mise en œuvre des mesures de défense commerciale. Les Etats ne se dotent pas toujours des institutions et des ressources appropriées pour l’identification des situations problématiques et engager les actions correctives nécessaires. Les acteurs du secteur privé ne sont pas toujours suffisamment sensibilisés sur les avantages qu’il y a à engager des actions de recours commerciaux.
Des dispositifs nouveaux de la ZLECAF à optimiser
Le Traité de la ZLECAF définit les mesures de sauvegardes comme les mesures adoptées par un État partie, aux termes desquelles, un produit est importé sur son territoire en augmentant les quantités absolues ou relatives à sa production nationale, et dans des conditions susceptibles de causer un préjudice grave à son industrie nationale qui délivre des produits similaires ou directement concurrents. La mesure de sauvegarde n’est appliquée que dans la mesure nécessaire pour prévenir ou réparer un dommage grave ou une menace de dommage grave, et pour faciliter l’ajustement à la suite d’une enquête menée par l’État partie importateur. Elle peut prendre la forme d’une restriction quantitative ou d’une augmentation des droits de douane, ou les deux. Elle ne doit pas dépasser une période de quatre ans et contient des indications claires pour son élimination progressive à la fin de la période déterminée. La mesure de sauvegarde préférentielle peut être prorogée pour une nouvelle période n’excédant pas quatre ans, sous réserve de la justification par l’Autorité chargée de l’enquête.
Suivant le Traité de la ZLECAF, les États sont habilités à appliquer des mesures compensatoires. Pour les modalités pratiques d’application, l’article renvoie à l’Annexe 9 du Traité portant sur les mesures correctives commerciales et insiste ici sur la compatibilité avec le droit de l’OMC y afférent. Des enquêtes sont prévues avant la prise de toute mesure. Dans le cas des enquêtes sur les subventions et les mesures compensatoires, il y aura une invitation à tenir des consultations, pour privilégier la voie pacifique de règlement d’éventuels conflits. Malgré le caractère récent du Traité sur la ZLECAF et l’existence d’une annexe spécifique sur les mesures correctives, les dispositions relatives aux subventions et aux mesures compensatoires restent sommaires, incomplètes et pas assez suffisantes pour fonder un régime juridique consistant en la matière.
Suivant le Traité de la ZLECAF, les États sont habilités à appliquer des mesures antidumping. Le dumping y est défini comme un produit introduit sur le marché d’un autre État partie, à un prix inférieur à la valeur normale, si le prix à l’exportation du produit exporté d’un État partie vers un autre est inférieur au prix comparable, au cours d’opérations commerciales normales, pour le produit similaire lorsqu’il est destiné à la consommation dans l’État partie exportateur. Là aussi, malgré le caractère récent du Traité sur la ZLECAF, les dispositions relatives aux mesures antidumping y sont sommaires, incomplètes et pas assez suffisantes pour fonder un régime juridique consistant en la matière.
Réussir le test d’intérêt communautaire au niveau de la ZLECAF
La mise en œuvre de la ZLECAF, dans le registre des mesures de défense commerciale, doit accorder une place importante à la notion d’intérêt communautaire. Cela suppose la prise en compte des intérêts de l’ensemble des parties de la communauté africaine impliquées. Cela devrait couvrir les producteurs de la Communauté affectés par la pratique de concurrence déloyale (dumping et subventions), mais aussi les importateurs, les industriels des filières en amont et en aval ainsi que les consommateurs finaux. Dans les faits, une pratique déloyale a un effet ambivalent. Elle pénalise systématiquement les industriels de la communauté qui produisent la marchandise importée. Ces industriels ne pourront pas faire face à la concurrence étrangère déloyale. Mais en même temps, c’est une situation qui, en apparence, favorise les consommateurs africains qui achètent cette même marchandise à un prix inférieur à celui qui prévaudrait autrement. Les deux logiques économiques sont en concurrence. Il faudra les réconcilier par la détermination d’un intérêt supérieur de la Communauté qui va au-delà de la simple arithmétique des intérêts des différents agents économiques.
Le test de l’intérêt communautaire ne doit pas s’appliquer aux échanges intracommunautaires. Dans le texte de la ZLECAF, l’accent est trop mis sur la notion d’Etat partie ; ce qui postule un haut niveau de protection vis-à-vis des pays africains membres entre eux. Dans ce schéma, l’étranger commercial reste le pays africain voisin, proche ou lointain, qui se voit réduire des parts de marché. Or, le commerce africain doit être fluide, massif, sans velléités protectionnistes. L’étranger commercial doit être extracontinental. Le test d’intérêt communautaire doit s’appliquer aux échanges extracommunautaires. La ZLECAF doit se doter de filets de sécurité commerciale qui matérialise le choix d’une protection légitime face aux pratiques déloyales auxquelles l’Afrique est habituée. Elle peut se protéger sans être protectionniste.