vendredi, novembre 22, 2024

Faut-il quitter la messagerie WhatsApp pour protéger sa vie privée ?

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Le réseau social a déclenché un tollé la semaine dernière en annonçant qu’il modifiait ses conditions d’utilisation, et partageait, désormais, plus d’informations avec la maison mère Facebook. Un premier exode des utilisateurs de WhatsApp a déjà commencé vers une autre plateforme, Signal. Faut-il suivre leur chemin ? Décryptage.

Quitter WhatsApp, oui, mais pour aller où ? Le débat quant à la confidentialité des données privées utilisées par l’application, rachetée par Facebook en 2014, est revenu sur le devant de la scène il y a une semaine. Le réseau social a annoncé qu’il modifiait ses conditions d’utilisation le 8 février. Il menace même de fermer les comptes des utilisateurs qui s’y refuseraient.

Dans ses nouvelles règles, WhatsApp indique qu’il partagera davantage de données avec l’entreprise de Mark Zuckerberg. Parmi ces données, les contacts et les informations du profil deviendront accessibles à l’ensemble des applications détenues par Facebook (notamment Instagram et Messenger). Le but ? Monétiser la plateforme en permettant aux annonceurs de contacter leurs clients via WhatsApp, voire d’y vendre directement leurs produits.Des journaux indiens avec des publicités de WhatsApp sur la protection des données, le 13 janvier 2021 à Bombay.  L'application est sous le feu des critiques après avoir annoncé modifier ses conditions générales d'utilisation.© INDRANIL MUKHERJEE / AFP Des journaux indiens avec des publicités de WhatsApp sur la protection des données, le 13 janvier 2021 à Bombay. L’application est sous le feu des critiques après avoir annoncé modifier ses conditions générales d’utilisation.

Tollé sur les réseaux sociaux

Ces changements sont loin d’avoir plu aux deux milliards d’utilisateurs de l’outil dans le monde : l’annonce a déclenché un tollé sur les réseaux sociaux et provoqué un exode vers d’autres plateformes, notamment Signal, soutenue par Elon Musk, le patron de Tesla : «Utilisez Signal».

Quelques instants plus tard, c’est le lanceur d’alerte Edward Snowden qui lui répondait, et encourageait, lui aussi, à se reporter sur cette plateforme : « C’est l’application Signal, pour ceux qui ne parlent pas le Elon. »

Lire aussi: Face au tollé, WhatsApp reporte ses changements sur la gestion des données personnelles

Sous le feu des critiques, WhatsApp a décidé de retarder de trois mois l’entrée en vigueur de ses conditions d’utilisation. Les modifications, prévues pour le 8 février, ne seront plus effectives qu’à partir du 15 mai.

Mais l’incendie est-il vraiment éteint ? Ne faudrait-il pas quitter WhatsApp, comme le soutient Edward Snowden ?

Faut-il s’inquiéter des nouvelles conditions d’utilisation de WhatsApp ?

« Il ne faut pas oublier que WhatsApp est un service commercial qui appartient à Facebook et dont l’objectif est de faire de la publicité avec les données des utilisateurs, répond Bastien Le Querrec, juriste bénévole à La Quadrature du NetLe problème n’est pas de s’inquiéter si WhatsApp sera pire ou pas, le problème est que WhatsApp était déjà un désastre pour la vie privée. Oui, plus de données vont être partagées avec Facebook mais c’était déjà le cas depuis plusieurs années. »

Les métadonnées, c’est-à-dire tous les éléments autour d’une conversation, comme les numéros de téléphone, carnets d’adresses, étaient déjà accessibles par Facebook, d’après la politique de confidentialité de la plateforme. Tout comme des éléments sur nos interactions : à qui un utilisateur a envoyé un message un jour donné, combien de temps a duré la conversation avec tel autre internaute, quels nouveaux interlocuteurs sont apparus dans les contacts réguliers d’un individu…

« Il est dommage de s’apercevoir des problèmes de gestion et l’accaparement des données maintenant, car c’est un problème plus vaste », regrette Cécile Dolbeau-Bandin, maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université de Caen-Normandie.

Désormais, les contacts et les informations du profil (nom, prénom par exemple), « les données de transaction, les numéros de téléphone, les adresses IP des usagers », précise la chercheuse, seront aussi accessibles par Facebook.

Mais cela ne changera rien pour les utilisateurs. « L’atteinte à la vie privée sera toujours là, elle sera plus forte, plus de données seront partagées, plus de recoupements seront faits, mais c’est déjà le cas depuis plusieurs années », souligne Bastien Le Querrec.

Les conversations ne seront-elles plus chiffrées ?

C’est un des grands points forts de l’application, dont elle s’est toujours vantée : avoir des conversations entièrement codées. « Le chiffrement de bout en bout signifie que vos messages sont chiffrés de sorte à les protéger pour qu’ils ne soient pas lus par nous ou par des tiers », assure WhatsApp.

Pour Bastien Le Querrec, c’est une « fausse impression » donnée par Facebook. « La messagerie est chiffrée en théorie, mais dans les faits, on ne sait pas vraiment si c’est le cas, et quoi qu’il en soit, les métadonnées qui permettent de connaître le profil d’une personne sont déjà accessibles », détaille-t-il.

Et même si les conversations restent chiffrées, la plateforme pourra toujours se servir des données dont elle dispose déjà pour les monnayer. « Avec qui vous discutez, quand, et à quelle fréquence, cela n’a jamais été caché à Facebook, poursuit le juriste. Le contenu d’une conversation n’a pas forcément à être utilisé pour avoir suffisamment d’indices sur la vie privée d’une personne. Le graphe social [c’est-à-dire la cartographie de nos relations sur un réseau social] est suffisamment important pour faire un ciblage publicitaire sans cela et pour rapporter un minimum d’argent à Facebook. »

Ce monnayage des données privées est-il légal ?

Les géants du numérique sont encadrés par le RGPD depuis 2018 en Europe. WhatsApp, étant un traitement de données à caractère personnel, doit donc s’appuyer sur une base légale pour le faire : le consentement de l’utilisateur pour accéder au service. « Or il ne peut être libre et éclairé, si, pour accéder au service on doit impérativement consentir à ce que ces données personnelles soient traitées à des fins purement marketings, publicitaires alors que ce n’est pas nécessaire à WhatsApp ou Facebook, explique Bastien Le Guerrec. Juridiquement, ce n’est pas légal. »

Lire aussi: Nouvelle politique de confidentialité : Whatsapp tente de rectifier le tir

Sans oublier, qu’hors des frontières de l’Union européenne, ce règlement est caduc. « En revanche, les usagers hors Union européenne pourront voir leurs données utilisées dans le but d’offrir une meilleure suggestion de contenu, des recommandations personnalisées ou encore un ciblage publicitaire plus précis », complète Cécile Dolbeau-Bandin.

Quels leviers juridiques face aux Gafam ?

« À La Quadrature du Net, nous avons envoyé des plaintes, mais rien ne bouge côté autorités européennes, avance Bastien Le Guerrec. Les autorités européennes n’ont pas les moyens de s’attaquer à un géant comme Facebook, qui sait très bien qu’il faudra au mieux quelques années, au pire qu’il n’y aura rien du tout. »

Pour le juriste, il faudrait des sanctions de la part des instances européennes pour qu’un changement s’opère. Le texte existe, mais son application fait défaut. « Il faut donner des moyens aux autorités de faire valoir ces règles, protectrices et interprétées de la bonne manière mais jamais appliquées, en raison d’autorités de contrôle sous-dotées », précise le juriste, qui voudrait une introduction de ces obligations dans le droit.

Le Digital Service Act, règlement européen qui doit permettre la mise en œuvre d’un nouveau cadre pour mettre fin à l’irresponsabilité des géants du numérique, prévu pour 2022, pourrait permettre de lutter contre ces frasques des Gafam.

La mise en place de l’interopérabilité, c’est-à-dire « pouvoir quitter un service sans être privé de ses communautés restées sur le service préexistant », selon Bastien Le Guerrec, qui juge cela « fondamental pour la démocratie », serait un premier levier. En clair, garder la possibilité de communiquer avec nos contacts sur WhatsApp, en ayant quitté la plateforme. Mais il faudrait que ce soit dans la loi, et que les Gafam l’acceptent.

Quelles alternatives à cette messagerie ?

Alors, la seule solution est-elle de quitter WhatsApp ? Oui, mais pour quelle messagerie ? Le tollé provoqué a engendré un exode vers un autre service, Signal. L’application est même tombée en panne pendant plus de 24 heures à cause de cet afflux de nouveaux utilisateurs. « Sans oublier que Signal a des problèmes intrinsèques, comme donner un numéro de téléphone pour utiliser le service, qui peut être dangereux dans certains pays, comme pour des militants en Amérique latine par exemple », note Bastien Le Guerrec. Promue par Edward Snowden, la plateforme reste une alternative selon le juriste et la chercheuse, laquelle recommande aussi Viber.

Pour Bastien Le Guerrec, « les alternatives crédibles sont des messageries chiffrées, décentralisées et qui n’appartiennent pas aux Gafam. » Chiffré, comme c’est le cas avec WhatsApp, suppose que les conversations ne sont pas lisibles par un tiers. Décentralisé signifie que le réseau ne dépend pas d’un seul acteur, sans lequel il ne peut fonctionner, et dont les algorithmes sont publics. Facebook, WhatsApp, Instagram sont des messageries centralisées.

« Matrix, Jabber/XMPP, Mastodon (un remplaçant de Twitter) sont des alternatives crédibles à WhatsApp », détaille le juriste.

Il reste cependant difficile de quitter WhatsApp quand toutes ses communautés familiales, amicales, professionnelles, l’utilisent. « C’est ce monopole qu’il faut casser, complète-t-il. Malheureusement WhatsApp comme Facebook ont une telle mainmise sur les communications que si WhatsApp est mis à mal, ce sera un mauvais plan pour Facebook. Mais cela ne remettra pas en question son modèle économique, qui est de faire de la monnaie sur la vie privée des utilisateurs et en cherchant de plus en plus d’informations pour les profiler au maximum. »

Chloé RIPERT, Ouest-France