Retenue parmi une liste de 100 femmes entrepreneures du Québec (Canada), qui «contribuent à la création d’un monde meilleur», Angélique Marguerite Berthe Diéne, a l’opportunité de faire partie d’une vaste campagne panquébécoise mettant en valeur l’entrepreneuriat féminin. Cette native de Fadiouth au Sénégal, et installée depuis 2013 au Québec, a lancé «Cheliel», un concept-store qui propose des pièces uniques de vêtements et d’accessoires de mode faites avec des textiles recyclés ou africains.
Qu’est-ce que cela vous fait d’être placée dans une liste de 100 femmes entrepreneures au Québec pour la campagne «La force de l’impact» présentée par la Banque Royale du Canada ?
C’est une fierté d’être choisie parmi ces 100 femmes qui changent le monde, car c’est une reconnaissance de notre apport dans la création d’un monde meilleur et rappelons qu’il y en a dans cette liste des femmes qui sont en affaires avant même que je sois née. Voir ma candidature être retenue dans un bassin de près de 400 entrepreneures issues de tous les horizons et provenant des 4 coins du Québec me permet de montrer à d’autres femmes, jeunes femmes et filles qu’il faut éradiquer ce syndrome de l’imposteur, car nous sommes toutes capables de faire la différence et d’avoir un impact positif dans la société actuelle. Cette belle reconnaissance met aussi l’emphase sur les raisons d’être de Cheliel qui est qualifiée ainsi de modèle à suivre, d’entreprise se démarquant par son influence positive et ses actions sur cette voie de mise en application de 13 des 17 objectifs de développement durable de l’Onu.
Sur un plan plus personnel, le deuil de mon mentor éternel, mon pilier et mon rempart qui n’est nul autre que mon père a été un moment révélateur, celui durant lequel j’ai pris conscience de l’importance de vivre sa passion, de réaliser ses rêves et de profiter surtout de la vie, car lui, il n’a jamais fait cela ; il a vécu, tout comme ma mère le fait actuellement, pour ses enfants. Avec cette distinction, cela vient donc me conforter dans cette idée qui, au début, paraissait saugrenue pour certaines personnes qui connaissent mon curriculum et essayaient de me faire regretter le salaire qui vient avec mes diplômes.
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Qu’attendez-vous de cette distinction ?
«La force de l’impact» est une vaste campagne de communication panquébécoise qui vise à faire rayonner 100 femmes entrepreneures qui contribuent à la création d’un monde meilleur. Avec cette campagne présentée par la Royal Bank of Canada, en collaboration avec Coup de pouce, Tva Publications, Qub radio, Lavery, Janie Duquette & l’Académie du pouvoir féminin, Lazuli marketing conseil, le ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec ainsi que le gouvernement du Canada, Femmessor se positionne non seulement comme une organisation de soutien à l’entrepreneuriat féminin, mais comme leader de changement dans le Québec de demain, en prônant un nouveau modèle économique plus résilient et plus respectueux des humains et de l’environnement. Tout comme les 99 autres femmes inspirantes de la liste, j’ai été nommée dans un communiqué de presse diffusé aux grands médias nationaux ainsi qu’aux médias régionaux. Et depuis, je n’arrête pas de recevoir félicitations et invitations sur les réseaux sociaux, mais également des collaborations pour d’autres organisations et une certaine visibilité pour mon entreprise. Parmi tous ces profils de femmes d’impact, j’en vois certains qui pourraient engendrer de futurs partenariats d’affaires. De plus, le mien sera prochainement sur le site de Femmessor, une vidéo sera diffusée dans les médias sociaux, la possibilité de réaliser des entrevues médiatiques, une page complète dans une édition spéciale de la populaire revue Coup de Pouce et plus encore! Plusieurs actions de communication sont en cours de réalisation depuis l’annonce des 100 et ce, jusqu’en mars 2021.
Parlez-nous de Cheliel, l’entreprise que vous avez lancée avec votre frère…
Cheliel, anciennement connue sous le nom d’A’S de la Perfection (les initiales A-Sfont allusion à Angélique et son frère Stéphane; mais aussi abréviations d’Art et de Style), est née de la volonté d’aider une association qui œuvre pour les talibés. En tant qu’étudiants à l’époque, nous n’avions forcément pas les moyens financiers pour le faire. Entreprendre -et donc générer des revenus- fut la seule et unique solution qui s’est offerte à nous. Ainsi, c’est, par devoir sociétal, pour aider les adultes de demain que nous avons entrepris de lancer une entreprise dans la mode. De plus, nous avions envie de créer quelque chose à nous, qui nous représente et rend hommage à notre pays, notre continent dont certaines richesses sont méconnues au-delà de ses frontières. Et à partir de là, nous avons choisi la mode et la créativité, des domaines qui nous passionnent, nous font vibrer. Cheliel est une goutte d’eau dans cet élan optimiste. Ce concept-store, soucieux de sa responsabilité sociale et environnementale, prône l’artisanat responsable dans des lieux de travail équitables et propose des pièces uniques de vêtements et d’accessoires faites avec des textiles recyclés ou 100% africains; des coffrets-cadeaux pro-diversité et un magazine d’Arts social, qui va sortir prochainement un recueil (numérique et papier) de textes poétiques, d’écrits à expression libre et d’illustrations, fruit de la collaboration de plusieurs femmes qui choisissent de lutter ensemble contre la xénophobie et le racisme ambiant et qui veulent aider les communautés les plus touchées.
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Du Sénégal, vous êtes allée en France, avant de vivre au Québec. Qu’est-ce qui vous fait bouger ?
Les études supérieures m’ont menée en France où j’ai obtenu des diplômes dans le domaine financier. Par la suite, j’ai essayé de me réinstaller au Sénégal, mais l’appel de l’aventure, de la découverte d’autres cultures, de l’assouvissement de ma curiosité fut plus fort; le chômage aussi (Rires). J’ai donc tenté le Canada que je connaissais un tout petit peu suite à des vacances. Chacun de ces pays même le Sénégal est un défi, une conquête pour moi. J’aime confronter ce que je lis ou vois à une autre réalité. Au Québec, j’ai su faire de mon expérience de femme immigrée une de mes forces. Véritable passionaria de l’essor de l’entrepreneuriat surtout au féminin et de la femme noire (d’où la création, d’ailleurs, d’Afro Women Workshops), en général, mais aussi de la promotion du Sénégal, et dans un sens plus large de l’Afrique (comme avec LekkTukki), je me suis beaucoup engagée dans diverses communautés
Comment se passe l’intégration pour une femme sénégalaise et entrepreneure au Québec ?
S’intégrer à la culture du Québec et dans le monde des affaires au Québec n’est pas toujours évident et encore moins lorsqu’on est une femme et noire. Je suis arrivée ici en 2013 en pensant que mes diplômes français et sénégalais et mes expériences professionnelles allaient m’ouvrir des portes directement dans le milieu des finances. Mais quelle ne fut ma déception de voir que cela ne suffisait pas ! Il fallait une expérience sur le sol pour pouvoir entrer. Cependant, comment l’obtenir quand on vient d’arriver ? C’est comme impossible. Confrontée donc aux réalités de l’immigration, cumulant des petits boulots, je parviens, à force de détermination et d’audace à fonder la version canadienne de notre entreprise après un séjour préalable de quelques mois au Nicaragua, afin de faire un projet de solidarité internationale et de m’armer de principes en développement durable. L’entrepreneuriat devient alors ma «roue de secours» pour ne pas être inactive vu que la recherche d’emploi dans mon domaine semblait vouloir demeurer infructueuse dans le moyen terme. À cette étape de ma vie, ce fut un choix de carrière bien mûri pour diverses raisons : créer mon propre emploi, satisfaire mon besoin d’accomplissement personnel, de liberté et de création d’une mode plus consciente et plus écologique et voir bouger les choses…
Chaque jour, avec mon frère Stefdekarda, resté au Sénégal, nous affrontons multiples obstacles en tant qu’autodidactes dans la mode, mais nos chemins sont aussi jalonnés de beaux succès et de doux sourires de nos diverses clientèles (des acheteurs aux enfants des associations que nous aidons). Nous avons été récompensés à plusieurs reprises pour nos qualités de visionnaire et notre esprit d’entrepreneur. Dernièrement, nous avons reçu le prix Africa 35-35 (anciennement Francophonie 3535) qui récompense 35 jeunes Africains âgés de 35 ans et moins et se démarquant dans leurs domaines par la qualité de leurs initiatives. Juste avant cela, nous étions double lauréats des prix Inspiration (dans les catégories Initiative et Personnalité) d’Africa Mondo Canada. Donc, l’aventure entrepreneuriale est fascinante, passionnante et difficile à la fois, mais j’aime relever les défis et je ne recule devant rien ni ne renonce à un projet dont je suis sûre qu’il sera bénéfique à plus d’un. Et si c’était facile, cela n’aurait plus d’impact, je trouve.
Quels sont vos rapports avec le Sénégal ?
Je suis femme, je suis noire, je suis québécoise, canadienne, mais dès que je parle ou qu’on me voit, je suis Sénégalaise, je suis sérère de Fadiouth et j’aime ça. Je me dédie à parler de mon île aux coquillages de la Petite-Côte, à représenter fièrement dans toutes mes actions un Sénégal plus fort et ouvert sur le monde ou encore à prôner une Afrique contraire à celle dépeinte négativement avec plein de préjugés. C’est dans ce sens que je fais du modeling et m’efforce de prôner la beauté au naturel à travers des réalisations photographiques qui montrent cette «couleur» de peau qui me caractérise et qui dérange ou encore cette chevelure crépue qui «effraie mes semblables» tout en favorisant l’éducation sur le Sénégal et l’Afrique dans mon entreprise. J’ose m’attribuer le rôle d’ambassadrice du Sénégal au Canada et dans ce sens, j’ai à mon actif plusieurs événements qui mettent en valeur les richesses culinaires, culturelles et autres du pays de la Téranga. Je compte, dans un futur très proche, revenir sur les terres sénégalaises afin d’y mener quelques activités notamment en agriculture, autre domaine qui me passionne. Le monde aura encore le tournis en suivant mon parcours (Rires).
Propos recueillis par Omar DIOUF, Le Soleil