Dans une grande partie du monde, les mesures de gestion d’une légalité de crise consécutives à la survenance de la covid 19 sont allégées, car les pays tentent de relancer leur économie pour concilier les exigences parfois frontalement contradictoire de la santé et de l’économie. La question économique, au cœur de cette relance fait débat et s’instruit de multiples obédiences. Keynes avait affirmé qu’un «économiste de qualité» doit «comprendre les symboles et s’exprimer avec des mots. Il doit observer le particulier d’un point de vue général et atteindre le concret et l’abstrait du même élan de pensée. Il doit être à la fois impliqué et désintéressé ; être aussi détaché et incorruptible qu’un artiste et cependant avoir autant les pieds sur terre qu’un homme politique». C’est certainement autour de ces principes que la relance se dessinera. Aussi bien au Sénégal qui va tenir son conseil présidentiel demain mardi qu’ailleurs.
Pour l’élaboration d’un programme de relance efficace, les gouvernements doivent intégrer de multiples facteurs : besoins immédiats, capacités des institutions locales, conditions du marché, marges de manœuvre pour emprunter et héritage des choix infrastructurels passés. Cette préparation du jour du lendemain devra s’appuyer en première ligne sur les secteurs tel que l’agriculture, l’élevage, l’économie rurale, etc., l’a d’ailleurs annoncé le Président Sall lors de sa dernière tournée économique dans les régions centres où il a appelé les hommes d’affaires sénégalais et les investisseurs à «investir dans l’agro-industrie et l’élevage».
Le monde se prépare à la plus forte récession depuis la Grande Dépression des années 1930, mais combien de temps durera-t-elle ? Et à quoi ressemblera la reprise?
En cette matière épineuse, il faut soigner le vocabulaire et entendre la récession comme « une baisse significative de l’activité économique répartie sur l’ensemble de l’économie, qui dure plus de quelques mois, normalement visible dans le PIB réel, le revenu réel, l’emploi, la production industrielle et les ventes au détail en gros ».
Les ricochets dans des secteurs économiques clés du Sénégal auront des répercussions incompressibles et durables sur la prospérité de ses habitants et entraveront les efforts visant à réaliser les grandes politiques publiques. Cela signifie que si chacun joue correctement son rôle, on devrait arriver au sauvetage de notre économie des conséquences de la maladie à coronavirus 2019.
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D’autant plus qu’il n’existe toujours pas de vaccin ou de traitement contre ce «virus qui nous rend fou», dixit Bernard Henri-Levy. Ce qui confronte à une série d’autres défis. Un retour à la normale est tout de même envisageable. En effet, pour atteindre ce résultat, les décideurs politiques ont été obligés de revoir leurs politiques afin d’atténuer la gravité de l’impact, mais le virus reste le dernier facteur qui décidera du moment où chaque pays pourra revenir à la normale.
Les institutions financières internationales devront elles aussi y mettre du leur, en assouplissant les normes d’aides et de prêts, si l’on veut éviter l’asphyxie à l’Afrique et ses populations.
Pour se relever, les pays du continent devront décoloniser les imaginaires pour rouvrir le champ des possibles et miser sans compter sur des secteurs porteurs et mettre eux-mêmes un terme à cette stratégie mondiale qui permet un tel marchandage des précieuses ressources, au détriment de l’immense majorité des populations. En misant sur la transformation des produits bruts et sur des secteurs à forte valeur ajoutée, pêche, agriculture, bois, nouvelles technologies et numérique, les pays africains, ont une chance de s’en sortir. En dégageant une stratégie de financement qui devra concilier ce besoin d’investir avec un risque de surendettement limité pour une économie humaine, sociale, écologique
Pour autant, les conséquences de la crise de Covid-19 ne se présentent pas la même configuration pour toutes les économies africaines parce qu’elles ne sont pas structurées de la même manière. Si la plupart des pays africains sont touchés à des degrés divers par la pandémie, la croissance du produit intérieur brut réel devrait, en particulier, marquer fortement le pas sur fond de faiblesse persistante de la croissance et des investissements.
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Étant donné le caractère tentaculaire de l’informel dans l’activité économique en Afrique, toute politique destinée à obtenir une relance durable de l’économie devra nécessairement s’appuyer sur ce type d’activité. En tout état de cause, il y a à considérer que l’économie, ce n’est pas mécanique. Elle est plutôt une question de confiance. Et c’est en cela que le point pivotal de la relance se situe au niveau de la pertinence des réponses formulées pour éviter une trop grande déconnexion entre les réalités concrètes et l’urgence de la situation.
Réponse économique
Une façon d’aborder cette question polarisante consiste à rejeter l’idée selon laquelle un retour rapide au dynamisme économique est incompatible avec une transition systémique plus large.
La politique budgétaire est un des principaux instruments de la politique économique. Elle consiste à utiliser le budget de l’État pour agir sur la conjoncture. Elle englobe l’ensemble des mesures qui ont des conséquences sur les ressources et les dépenses de l’État et qui visent à atteindre certains objectifs de politique conjoncturelle.
La politique budgétaire est un levier de la politique de régulation de la conjoncture. Elle peut être utilisée dans deux situations opposées. En période de ralentissement de la croissance ou de crise, elle va servir à soutenir l’activité économique. On parle de politique de relance budgétaire. Au contraire, dans les phases de forte croissance, pendant lesquelles la surchauffe de l’activité économique peut provoquer de l’inflation (hausse des prix) ou des déficits extérieurs importants (déséquilibre des échanges avec le reste du monde), elle permet de freiner l’activité en réduisant la demande des agents économiques. On parle de politique de rigueur budgétaire.
Cependant, dans un contexte d’ouverture croissante des économies, une politique de relance budgétaire risque de favoriser les entreprises étrangères au détriment des entreprises nationales. Le soutien de la demande se traduit alors par une augmentation des biens et services importés et un déséquilibre de la balance commerciale.
Dés lors, une réponse budgétaire pertinente intègre bien les interventions de protection sociale destinées en particulier aux travailleurs du secteur informel et sème les graines pour rendre nos économies plus résilientes ; elle devra aussi soutenir massivement les industriels et entrepreneurs locaux pour créer un socle critique d’investisseurs nationaux. C’est justement de cette perspective que s’autoriserait un plan massif et ambitieux à coup de milliards pour impulser une dynamique véritable et transformationnelle de tous les pans de l’économie. L’État, en cette période devra être un acteur économique majeur. Il est vrai que le Président Macky Sall, dans une vision développementaliste, a engagé des programmes structurant à forte intensité de main-d’œuvre particulièrement pertinents pour servir de substratum à la relance. Les efforts du Président s’orientent vers une réduction des vulnérabilités structurelles de nos économies alliées à une riposte tout à fait à propos devant la crise. Le soutien des entreprises, des salariés, la facilitation à l’accès aux crédits, le relèvement du plateau médical, la distribution massive de vivres ont été autant d’actes d’endiguement des effets de la Covid 19.
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L’annulation de la dette fixe une priorité – y compris l’exonération immédiate du paiement des intérêts pour 2020, porté quasi exclusivement par le Président de la République ; participe d’une heureuse logique de libération d’espaces budgétaires et d’accroissement corrélatif des ressources du pays. Le président affirme avec force que «nous devons avoir le courage d’aller au-delà du rééchelonnement de la dette – d’aller vers l’annulation de la dette publique et de rééchelonner la dette privée».
Et c’est justement de cette démarche que se recommande un plan massif et ambitieux dont l’objectif est une Afrique prospère dont le développement est boosté par les potentiels de sa population.
La crise actuelle rend l’économie circulaire plus pertinente que jamais, car, elle recèle un nombre important de réponses économiquement attractives. La fragilité la plus remarquable pointée par la covid est celle des chaînes d’approvisionnement mondiales, non limitées mais illustrées par les problèmes de disponibilité des équipements médicaux, par exemple. Les principes circulaires fournissent des solutions crédibles: les facteurs de conception et de politique des produits tels que la réparabilité, la réutilisabilité et le potentiel de reconditionnement offrent des opportunités considérables de résilience (disponibilité des stocks) et de compétitivité. La transition vers une économie circulaire offrirait aux pays d’Afrique de l’Ouest des opportunités importantes pour relever ces défis tels que des emplois verts, des investissements durables et le développement d’entreprises vertes.
Réponse politique
En économie post-covid, l’État prescripteur de crédits disposant d’une cassette inépuisable d’argent est factuellement inexact. Le corrélat de ce constat est un processus d’adaptation qui devra s’appuyer sur une nouvelle grammaire de la politique dont les linéaments ont été posés par anticipation par le Président de la République. En se posant comme tête de pont du nouvel ordre mondial qui figure une redistribution égalitaire et solidariste des rapports internationaux, le Président Macky Sall engage une rupture fondatrice d’une «Afrique-monde», objet «d’impasses épistémologiques» et où «risque de se jouer, dans un avenir proche, le devenir de la planète».
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L’optique générale qui structure la réponse politique fonde sa cohérence sur la transparence, la participation et la surveillance publique intégrées à toutes les mesures de réponse de rétablissement et de résilience.
Ainsi donc, ce processus, reposera par nécessité sur la jeunesse, levier incontournable de toutes politiques publiques en Afrique et sous le signe de laquelle le Président Sall a placé son mandat. Cette jeunesse qui est en demande de réponses proactives et parfois disruptives. Il y a tout de même pour la jeunesse un défi qui affleure, un défi de parvenir à continuer d’articuler la singularité individuelle et la solidarité en dépit de la conjoncture qui la laisse peu entrevoir l’avenir et créant une sensation encore plus oppressante. L’idée est de fonder un partenariat stratégique avec les jeunes parce qu’ils sont «les principaux agents des réponses des communautés dans le monde entier. En effet, depuis le début de la crise, les jeunes n’ont pas agi comme de simples spectateurs et citoyens désarmés ; au contraire, ils ont réagi comme des acteurs de première ligne, pour lutter contre la propagation du virus et en atténuer les nombreuses conséquences.»
Réponse sociétale
Une réponse sociétale est l’armature de toutes les réponses à la covid parce que le défi posé par cette pandémie excède le strict cadre économique et met en branle la totalité de la société et de ses institutions. Il s’agit assurément d’un fait social total tel que l’a soutenu Marcel Mass. En réponse, il faut une prestation totale.
Si «nos modes de comportement et d’interaction avec l’autre devront fondamentalement être reconfigurés à l’aune des contraintes que la pandémie nous impose», il reste que c’est dans l’imaginaire collectif que les ruptures devront s’opérer, des ruptures fondatrices avec de nouvelles utopies intégratrices, un nouvel horizon espérantiel.
Cette réponse sociétale repose sur la conviction forte en cette melancholia africana correspondant à l’aptitude à «résister au déclin, à révérer la vie contre tout ce qui s’évertue à la profaner» (Nathalie Etoke). Cette force quasi mystique qui maintient l’Afrique malgré les «excès caricaturaux» qui la peignent de tous les maux et lui prédisent toutes les apocalypses. C’est précisément contre cette vision que l’économiste et écrivain, Felwine Sarr voit dans la crise du nouveau coronavirus une l’opportunité historique pour les Africains de ne plus se laisser traverser par l’Histoire, mais d’être des sujets de l’Histoire afin d’extirper définitivement les représentations négatives si ancrées sur l’Afrique. D’ailleurs, sa pensée coïncide avec celle du Président Macky Sall sur le nouvel ordre mondial lorsqu’il appelle aussi à repenser les relations entre le continent et le reste du monde. Dans le fond, c’est une réponse endogène débarrassée de toute servilité exogène qui sera le postulat indérogeable de la réussite de cette ambition nouvelle. Il s’agit donc d’une audace de penser et de faire par soi-même pour que, dans une même amorce, l’Afrique fasse échec à tous les thaumaturges du déclin africain qui la décrivent comme un réservoir de misère, de calamité et de désespoir.
Mame Boye DIAO
Publié sur PenserAgir