Joueuse dans l’équipe nationale du Mali et en Division 2 en France, la footballeuse Sébé Coulibaly a créé une application mobile pour mettre en contact les pratiquantes. La jeune femme souhaite ainsi encourager les filles à oser s’aventurer sur les terrains de football.
« C’est un peu comme un site de rencontres, mais pour les joueuses de football », s’amuse Sébé Coulibaly, créatrice de l’application Ladies Squad. À 26 ans, cette joueuse expérimentée qui évolue à Yzeure (D2) et en équipe nationale du Mali, a eu l’idée de lancer un outil de mise en lien géolocalisé entre les jeunes filles souhaitant pratiquer le ballon rond mais ne trouvant pas de coéquipière dans leur aire géographique.
« Quand on n’est pas en club ou licenciée et qu’on veut pratiquer malgré tout, il arrive souvent qu’on manque de joueuses, ou bien qu’on n’ose pas aller sur les terrains, la plupart du temps réservés par les garçons », explique Sébé Coulibaly. Cette histoire, c’est un peu la sienne : « Combien de fois ai-je entendu : ‘Ah non, je ne joue pas si c’est une fille !’, ‘On ne peut pas aller au contact avec les filles’… Avec le temps, j’ai compris que certains garçons avaient peur de se faire humilier par une femme qui joue mieux qu’eux, parce qu’il y a des filles aussi techniques que les garçons. Avant de jouer, il faut toujours passer par cette étape d’acceptation sur le terrain, par une forme d’appréhension qui gâche un peu le plaisir. C’est pénible », se souvient-elle.
« Des gens allaient voir ma mère pour me dénoncer »
La jeune Franco-Malienne, qui a grandi à Montfermeil en banlieue parisienne, voudrait éviter aux filles d’aujourd’hui de rencontrer les mêmes obstacles et encourager ce sport qui est lui si cher. « C’est pas moi qui ai choisi le foot, c’est lui qui m’a choisi », se plaît-elle à dire. Prenant sa grande sœur en modèle, Sébé Coulibaly a commencé à jouer à l’âge de 15 ans sur le terrain de football attenant au quartier des Bosquets à Montfermeil. « Ma sœur a abandonné sous la pression, mais moi j’ai continué. Des gens allaient voir ma mère pour me dénoncer parce qu’ils me voyaient tout le temps au foot et que c’était mal vu pour une fille. Je n’ai pas cédé. »
Après avoir joué au FC Montfermeil, elle est repérée par le club de Tremblay-en-France. La joueuse, qui évolue comme milieu de terrain, passe alors par l’AS Saint-Étienne, puis le RC Saint-Denis, avant de signer pour le club d’Yzeure. En 2016, elle participe à une première Coupe d’Afrique des Nations (CAN) avec le Mali, puis une seconde en 2018. Elle était prête à repartir avec la troisième prévue en décembre, mais la compétition est pour le moment annulée à cause de la pandémie de Covid-19.
« Avec le temps, ma famille a fini par accepter que je fasse du football mon métier. Ils étaient très fiers quand j’ai été sélectionnée pour représenter le Mali. Alors avec le recul, j’aime dire que ma grande sœur a commencé le combat et que je l’ai continué », poursuit Sébé Coulibaly.
« Pour certaines, le football représente une échappatoire »
Jouer au Mali a marqué un tournant dans son engagement. « Là-bas, j’ai discuté avec d’autres jeunes filles. J’ai découvert qu’elles avaient beaucoup plus de problèmes à gérer au quotidien : le mariage forcé, l’excision… Pour certaines, le football représente une échappatoire. Pouvoir jouer sur un terrain, c’est une urgence. Il fallait que je fasse quelque chose », raconte Sébé Coulibaly. Son engagement commence par la France, mais la jeune femme, titulaire d’une licence de management du sport, ne cache pas son envie de développer Ladies Squad en Afrique, si un jour les financements le permettent.
« Partout, nous avons besoin d’un espace où on peut se sentir nous-mêmes », raconte-t-elle. À ses côtés, une autre figure féminine du football milite pour que les jeunes joueuses se sentent partout en confiance. Namnata Traoré, 27 ans, est attaquante en équipe de France B et nouvelle recrue du RC Lens, passée par l’OM. Avec Sébé Coulibaly, elles ont fondé l’association « Jouons comme elle« , afin de promouvoir et de valoriser la place des femmes dans la société par le sport.
« Nous sommes allées à la rencontre de jeunes filles de 17 à 19 ans dans un village près d’Aix-en-Provence, où comme ailleurs et encore pire peut-être, les joueuses ne trouvent pas de structures pour pratiquer. Elles manquent de citystade. Là-bas aussi, les parents sont encore réticents à l’idée que leurs filles se passionnent pour le football », déplore Namnata Traoré, qui a grandi à Gagny, en Seine-Saint-Denis.
« Des regards condescendants qui me disaient que je n’étais pas à ma place »
« Moi, j’ai commencé à pratiquer à la récréation, en CP. C’est un garçon qui m’a proposé de jouer parce que j’étais toute seule. Puis, les copains m’ont pris sous leur aile comme une petite sœur », raconte l’attaquante tricolore. En grandissant, elle a continué à chausser les crampons avec les garçons de son quartier, parce qu’il n’y avait aucune équipe féminine dans sa ville. « Dans la cité, j’étais accueillie, mais quand on jouait à l’extérieur, je me souviens des regards condescendants qui me disaient que je n’étais pas à ma place. »
Tout comme Namnata Traoré, Sébé Coulibaly a beaucoup pratiqué aux côtés des hommes. « Mon frère m’a toujours pris dans son équipe, il m’a ouvert les portes. C’était le premier à me défendre et à dire que le foot, ça n’était pas seulement un sport d’homme », raconte l’internationale malienne. Aussi, elle souhaite continuer de proposer quelques sessions mixtes sur son application, même si la priorité reste de créer un espace féminin.
Encourager la création d’espaces pour les femmes
La Coupe du monde féminine de 2019 a-t-il changé les choses ? Les chiffres en attestent. Avec 157 000 licenciées, la France a enregistré un bond de près de 10 % de joueuses grâce au Mondial, selon les derniers chiffres de la Fédération française de football (FFF). Pourtant, pour Sébé Coulibaly, rien n’est moins sûr. Les barrières psychologiques persistent : « Des filles continuent de dire qu’elles n’ont pas le niveau, alors que les hommes se posent plus rarement cette question ».
« Si on avait eu cet espace fait par des femmes pour des femmes à l’époque, aujourd’hui le football féminin aurait nettement plus progressé », estime Namnata Traoré. En période de trêve, encore aujourd’hui, les deux joueuses ont du mal à trouver des coéquipières avec qui partager un « five » (football à cinq) autour de chez elles. Elles attendent beaucoup de l’application mobile et en seront les premières utilisatrices.
Avec France 24