vendredi, novembre 22, 2024

Portrait de Moustapha Cissé Lô, un hardi militant de l’APR

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La vie de Moustapha Cissé Lô est à l’image d’un volcan en constante éruption. L’irascible responsable Apr dégaine et tire sur tout ce qui bouge… Même sa propre formation politique n’est plus à l’abri des tirs sans sommation de El Pistolero.

« El Pistolero » ! Rien que le surnom dresse le profil partiel d’une redoutable bête politique. Ce gladiateur qu’il est toujours bon d’avoir à ses côtés. Celui qui se charge volontiers du « sale boulot ». Celui qui va au front, à chaque fois que la situation l’exige, pour descendre les adversaires politiques- mais pas que- sans une once de remords. Le président de l’Apr, Macky Sall pensait avoir trouvé son homme : Moustapha Cissé Lô. Mais il ne se doutait point que le natif (28 décembre 1954, 65 ans) de Keur Mbarick (Louga) était « génétiquement » imprévisible, difficile à ferrer et pouvait dégainer et tirer sans sommation sur sa propre formation politique et ses frères de parti… pour défendre ses « intérêts » et ses « convictions ».

Le colosse (1,98m) aux faux airs d’ancienne gloire de lutte est volubile, irascible. Devant le pupitre de l’hémicycle, le mardi 3 décembre 2019, Lô est volcanique. Abordant la question de la distribution des semences et engrais à l’occasion de l’examen du budget du ministère de l’Agriculture, l’ancien gérant de « Secco » à l’office sénégalais de commercialisation de l’arachide (Oncad, 1975-1983) bave de colère et son grand boubou marron semble amplifier ses gestes d’hystéries. Cette fois-ci, la cible a changé.

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« L’arachide c’est mon dada, je suis un opérateur économique et j’étais à l’Oncad. Ce domaine, je le maitrise mieux que quiconque ici et je prends Mamadou Diagne Fada (Dg Sonacos, Ndlr) à témoin, son père était mon ami. D’Abdou Diouf à nos jours, j’ai toutes les statistiques et si vous donnez des chiffres qui ne reflètent pas la réalité, je les battrais en brèche », promet-il.

Mieux que de battre en brèche les chiffres du ministère, Cissé Lo apostrophe le ministre et son staff en des termes hors limite de la courtoisie républicaine. « Il faut arrêter de donner des bons à ces jeunes soulards qui fréquentent les prostituées. Je vais informer tous les chefs religieux. Il faut arrêter de politiser la distribution des semences sinon je vais dire ici ce que je sais. Si je dis ce que je sais, ce sera la fin du monde. Vous allez prendre des bâtons et chasser les ministres à coups de pied », tempête-t-il.

Béni hier, honni aujourd’hui

Le malaise interne à l’Apr est monté d’un cran après cette sortie. Et pour cause : alors que la mouvance présidentielle tentait difficilement de se remettre d’une tension interne suscitée par le débat sur le troisième mandat, la fronde de l’ancien président du groupe parlementaire, Moustapha Diakhaté débarqué de son poste de conseiller ainsi que la sordide histoire de trafic de faux-billets qui a emporté le député aperiste Bougazelli, voilà que Cissé Lô remue le couteau dans la plaie encore béante.

Autrefois, les sorties incendiaires du « fou de Keur Mbarick » contre l’opposition faisaient rire sous cape dans la mouvance présidentielle. Mais cette fois, l’homme à la gâchette facile, qui semait la terreur au conseil régional de Diourbel avec son révolver en 2005, a déchargé son chargeur sur le régime. Ça s’appelle du fratricide. De la tête de gondole, Macky Sall, au plus petit lampiste, personne n’est épargné. Pour cette opération de déballage grandeur nature, le temps de parole à l’Assemblée ne suffisait pas. Le député joue les prolongations le lendemain sur deux pages du journal L’Observateur du 4 décembre.

« Macky Sall n’est pas mon père, il ne m’a pas acheté. Il a abandonné tous ceux qui ont combattu avec lui dans l’opposition. Sa façon de nous rendre la pièce de notre monnaie, c’est refuser de nous recevoir », charge-t-il. Ruminant sa colère, le palais jette au charbon un de ses plus redoutables « faucons » : Yakham Mbaye. Dans une interview (sur Dakaractu) aux senteurs d’un soliloque, le directeur du quotidien national lâche une riposte disproportionnée qui confirme la politisation dont Cissé Lô faisait allusion autour de la distribution des intrants. Mais qu’importe !

« Moustapha Cissé Lô qui soutient avoir été victime de l’ingratitude du pouvoir, combattu et écarté comme opérateur économique du processus d’achat et de vente des intrants agricoles, n’est rien d’autre qu’un fieffé menteur. En réalité, il a bénéficié de l’État, cette année, de six marchés d’un volume de 4 531 tonnes de semences et d’engrais. Et c’est au moyen de chantages et de menaces qu’il est parvenu à ses fins », lâche Yakham.

« Baye Guinaar », ancien parieur du Pmu

Faisant le tour des médias, Baye Lô ou encore « Baye Guinaar » (producteur dans la filière avicole) comme l’appellent les plus proches, tente de redorer son blason d’opérateur économique ayant fait fortune à l’âge de 21 ans, terni par les soubresauts d’une carrière politique. En réalité, le fils d’El Hadji Aliou Lô (opérateur économique et dignitaire politique de Louga) n’a pas toujours été un apparatchik, même s’il a été biberonné à l’idéologie socialiste par un père membre fondateur du Bds (1948) et un homonyme, Moustapha Cissé (ancien ambassadeur et ancien député-maire de Louga), tous deux Senghoristes.

Ce n’est qu’en 1987 qu’il décide de s’engager en politique avec le parti pour la libération du peuple (Plp) de Me Babacar Niang. Chez les Lô, l’engagement politique n’est pas sujet à un quelconque diktat. En atteste le choix de son fils Jr Lô de militer pour Idrissa Seck. Cissé Lô adhère finalement au Ps en 1996 pour parachever l’œuvre politique de son père et sera élu député pour la première fois en 1998, puis réélu en 2007 mais cette fois sous la bannière du Pds qu’il a rejoint à la chute du pouvoir socialiste.

Ensuite réélu en 2012 et 2017 après avoir été déchu en 2008 de son mandat de député en même temps que Macky Sall. L’actuel président du parlement de la Cedeao a, depuis, gravi les échelons et gagné en galons.

Éduqué à la dure par un père « dictateur » qui n’hésitait pas à le convoquer dans la brousse pour le corriger sévèrement en cas de contreperformance à l’école, Moustapha en a été marqué au fer rouge. Le jeune Lô qui a abandonné les études après l’obtention de son Bepc (Bfem), décide de suivre les sinueuses pistes qui mènent à la fortune. C’est le début d’une success story pour ce self-made-man. Téméraire, le turbulent jeune homme a été recruté à l’Oncad comme agent technique avant d’être propulsé gérant de « Secco » à Kébémer en 1975.

Tapha qui n’avait d’yeux que pour le fric démissionne en 1983 à l’Oncad pour lancer ses propres affaires. Il se laisse tenter par le pari mutuel urbain (Pmu). La chance lui sourit. « Je fus un excellent joueur de Pmu. Avec Cheikh Mbacké, nous jouions le Pmu chaque jour jusqu’à minuit. Je connaissais Cash, Christian Bigeon, etc. J’ai gagné en ce temps-là 3 millions 800 francs Cfa. Les gens venaient chez moi pour me demander quel est le cheval gagnant. Mon premier million de francs Cfa, je l’ai gagné à 21 ans au Pmu », se rappelle-t-il.

Aussi bouillant que sensible

À Médina, le jeune Lougatois tenait à l’époque une petite garçonnière où il croquait la vie à pleines dents. « Toutes les belles filles couraient derrière moi à Médina, parce que je portais de jolis boubous. Elles faisaient la queue chez moi et je choisissais les plus belles pour en faire ce que je voulais », raconte Cissé Lô qui finit par se caser en 1978 avec « la plus belle femme de Médina », Ndèye Ndiakhaté Guèye et aménage à Touba Mosquée où il délocalise son business : vente de matériels électroménagers et de voitures d’occasion après un bref séjour aux États-Unis.

Le caractère très bouillant (dans la scène politique) de ce polygame (3 femmes) et père d’une douzaine d’enfants, trahit une sensibilité à fleur de peau. A la maison, aux côtés de sa famille, le belliqueux politicien est méconnaissable. Il présente un visage d’ange. « Il y a un monde entre le Cissé Lô qui est dans la scène politique et celui qu’on voit à côté de sa famille. Il est très sensible et joviale en famille », témoigne un de ses neveux.

Contrairement aux apparences, Cissé Lô est décrit par ses proches comme quelqu’un de très affectueux et d’une magnanimité à nulle autre pareille.

Talibé mouride excommunié

Impulsif, ce talibé mouride qui a pourtant fait serment d’allégeance à feu Serigne Fallou Mbacké, est un insoumis malgré son attachement à Serigne Touba. Ses bisbilles avec le porte-parole de la famille de Serigne Fallou, Serigne Abdou Fatah Mbacké en 2014 sont restés encore frais dans les mémoires. Le deuxième vice-président de la 12e législature avait été déclaré « persona non grata » à la cérémonie du Magal de Kazou Rajab édition 2014 suite à un audio dans lequel Cissé Lô traite le porte-parole de tous les noms.

Malgré la mise en garde de Serigne Abdou Fatah Mbacké qui a demandé aux autorités étatiques que Cissé Lô ne fasse pas partie de la délégation officielle, ce dernier a quand-même défié le marabout en se pointant à la cérémonie. Furax, le marabout demande l’excommunication de Cissé Lô et invite les disciples à estimer les biens du député à Touba afin de les racheter.

Baye Lô paiera cash son attitude de défiance envers la famille maraboutique. En effet, son domicile et ses voitures ont été incendiées le 20 juin 2014 par des disciples mourides en furie. 19 personnes furent arrêtées dont Serigne Assane Mbacké qui avait publiquement revendiqué l’acte.

« Je n’ai pas de problème particulier avec Serigne Abdou Fatah, ce qui m’oppose à lui est purement politique », précise Cissé Lô qui a déménagé à Yoff (Dakar). Non sans renseigner : « on avait d’excellentes relations, mais il m’a demandé d’intervenir dans la liste de « Benno bokk yakaar » à Louga pour positionner un de ses proches. Étant donné que je ne suis pas responsable à Louga, bien que je sois originaire de cette localité, je lui ai clairement signifié que je ne pouvais pas le faire. Il a estimé que ma réponse était sèche et arrogante ».

Il a fallu l’intervention du président Macky Sall pour éteindre le feu en réconciliant les deux protagonistes lors de la cérémonie du Magal de Touba en novembre 2016.

Les relations de Cissé Lô avec la presse sont aussi heurtées. Bon client pour les journalistes friands de déclarations fracassantes, il n’hésite pas à insulter toute une corporation. Mécontent de la manière dont un incident a été traité et durant lequel il a été dit qu’il a tiré une balle en l’air, Cissé Lô dément et se défausse sur les journalistes. « C’est des menteurs qui me poursuivent pour dire du mal de moi et de ma famille. Je fais l’objet de médisance et de calomnie de la part de journalistes qui sont payés par des adversaires politiques ». Il s’adressait ainsi aux correspondants des médias à Touba qu’il a fait venir chez lui en présence de ses gardes du corps.

Même les magistrats en ont pris pour leur grade. « Il n’y a pas de justice au Sénégal. Les magistrats ne jugent pas équitablement et dans leur intime conviction. Ils font n’importe quoi », fulmine-t-il.

C’est dire que l’homme n’a presque pas de cible. C’est un mitrailleur qui tire dans tous les sens.

Avec Kewoulo