vendredi, décembre 20, 2024

Ely Manel Faye, ingénieur en électronique : « La révolution numérique est une opportunité historique pour l’Afrique »

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L’ingénieur en électronique et patron de l’entreprise Solutron Iq explique, dans cet entretien, comment l’Afrique peut tirer le meilleur profit de la révolution numérique après que le continent a raté les révolutions électrique et industrielle.

Quelles opportunités l’économie numérique offre à l’Afrique ?

Ce sujet m’intéresse, parce que nous y voyons une infinité d’opportunités qui permettraient à l’Afrique d’absorber son fort taux de chômage, de compenser le retard technologique qu’elle a accusé lors des révolutions antérieures, à savoir les révolutions électrique et industrielle. Nous considérons que la révolution numérique permettra à l’Afrique de se saisir d’une opportunité historique. Il y a, cependant, des contraintes et préalables sur lesquels nos gouvernements doivent nous accompagner. C’est notamment la mise en place d’infrastructures, d’un cadre clair afin de permettre à chaque initiative d’éclater, à chaque création de valeur de s’exprimer et à chaque ressource humaine nourrie d’une intention de créer, d’avoir, à sa disposition, les outils que seuls les Etats ont la puissance de mettre en place. Je veux parler des réseaux et infrastructures haut débit pour exprimer tout notre potentiel.

Le marché des télécommunications est dominé par les opérateurs, mais les fournisseurs de contenu ont émergé…

Jusque là, dans les télécommunications, c’est l’accès à une infrastructure qui était monnayé. Aujourd’hui, c’est le contenu qui est de plus en plus monnayé. On peut comprendre ainsi que, par exemple, Google ait plus de capitalisation boursière qu’un opérateur de télécom classique. Facebook, intrinsèquement, porte plus de valeurs qu’un opérateur télécom. C’est à travers cette mutation que la valeur va, progressivement, être transférée d’un camp vers un autre. C’est pendant ce transfert que l’Afrique doit se positionner afin que sur le plan des contenus, que le continent ait pris une position forte. Il y a des initiatives locales au Sénégal, en Côte d’Ivoire… On peut citer l’e-banking. La banque a peiné, pendant plusieurs décennies, à pénétrer l’Afrique, avec des taux de bancarisation d’à peine 5 à 10 %. Aujourd’hui, avec le numérique, les gens ouvrent des comptes bancaires, même si ce sont des comptes e-banking. Il est en train de s’opérer un transfert de valeurs entre les banques classiques et les acteurs du numérique. Cette valeur est palpable : les sociétés comme Wari, Joni Joni, etc. sont à encourager, à reproduire. On a identifié un domaine dans lequel l’Afrique peut créer et capter des choses. Jusque là, c’était quasi impossible dans la plupart des domaines. Concurrencer Bmw ou Mercedes serait peine perdue pour l’Afrique, par contre le continent peut développer ses propres applications pour que le milliard d’Africains puisse s’interconnecter, communiquer à travers des structures qui permettent aux entreprises locales de gagner leur vie. C’est à cela que correspond la transformation.

Quelle solution préconisez-vous pour le développement de l’économie numérique en Afrique ?

La solution comporte plusieurs volets. La première étape, c’est que les Etats exercent leur leadership. Le point essentiel, c’est développer les infrastructures du numérique. Créer une infrastructure d’accès très haut débit correspond pour l’économie à créer une autoroute. C’est un début de solution. Il faut aussi agir sur tous les pans de l’économie, il faut numériser l’éducation, faire en sorte que les gens s’imprègnent du numérique. Ce n’est pas une solution mais un plan de développement qu’il faut proposer. C’est à nous d’identifier les secteurs dans lesquels on a aussi besoin de créer nos plans pour développer des systèmes qui vont structurellement nous développer.

Quel est l’avenir de la publicité avec le numérique ?

En valeur publicitaire, un utilisateur de Facebook représente un patrimoine annuel de neuf dollars, soit 5000 FCfa de valeur publicitaire pour chaque abonné. Cela veut dire que les gens auront tendance à aller plus vers ces médias que vers les médias classiques. Un spot publicitaire sur une chaîne de télé locale coûte certainement plus cher qu’une bande d’information sur une société qui apparaît instantanément sur un site internationalement reconnu et qui est visualisé par deux milliards d’individus et accessible 24h/24. Pour des raisons évidentes, les annonceurs vont se déporter vers ces médias.

C’est donc une menace pour les médias classiques…

Cet avis est largement partagé. Cela s’est vu dans les pays développés, il n’y a pas de raison que cette transformation ne s’opère pas en Afrique. C’est une menace pour les médias qui feraient mieux de sécuriser leurs revenus publicitaires en changeant leur façon de faire de la publicité, d’avoir de la visibilité. La visibilité peut se faire sur le web. Par exemple, toutes les émissions de France 24 peuvent être visualisées sur le web, ce qui permet d’attirer les téléspectateurs et de vendre du contenu. C’est une vision stratégique à opérer. Chaque domaine est confronté à une problématique réelle de transformation, de menaces ou d’opportunités liées au numérique.

Propos recueillis par M. Ciss

(Le Soleil)