Notre espace médiatique est malade. Et ce n’est pas une maladie passagère. C’est une dérive profonde, structurelle, presque devenue normale. Chaque jour, les plateaux télé se transforment en arènes de spectacle, où des chroniqueurs autoproclamés débitent à longueur d’émissions des opinions, des jugements partisans, des attaques personnelles, parfois même des injures.
Ce phénomène n’est pas anodin. Il est le symptôme d’un effondrement plus grave : Celui du respect des règles, de la rigueur, et surtout de la neutralité. Car à force de donner la parole à tout le monde sans critères, sans exigence, sans formation les médias ont créé une armée de chroniqueurs sans code et sans limites.
Le plus inquiétant, c’est que certains revendiquent ouvertement leur partisanerie, sans gêne ni retenue. Ils ont un camp, et toutes leurs chroniques sont dirigées contre un autre. Ce n’est plus du journalisme, c’est du combat. Ils parlent au nom de leurs affiliations. Et les télés leur offrent chaque jour un micro pour régler leurs comptes.
Mais ce qui choque le plus, c’est le silence assourdissant des journalistes présents sur ces plateaux. Ceux-là même qui, parfois, ont reçu une vraie formation, qui connaissent les règles, qui savent ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Pourtant, ils se taisent. Ils laissent faire. Ils regardent ailleurs. Ils acquiescent même parfois, rient ou relancent, alors que le métier qu’ils représentent est en train d’être piétiné devant eux. Pourquoi ce silence ? Par peur de perdre leur place ? Par confort ? Par fatigue ?
Les propriétaires de médias ont aussi une lourde part de responsabilité. Ils ont sacrifié l’éthique sur l’autel de l’audimat. Ils ont troqué la crédibilité contre la viralité. Un bon débat posé et équilibré ne fait plus recette : ce qui attire, ce sont les clashs, les invectives, les scènes de chaos. Le sensationnel a remplacé l’essentiel.
Mais ce cynisme a un prix. Et ce prix, c’est la crédibilité de toute une profession. Les vrais journalistes, ceux qui respectent leur déontologie, se retrouvent noyés dans un océan de bavardages, d’improvisations, et de règlements de compte. Leur silence devient pesant. Leur image est éclaboussée. Leur métier, discrédité.
Il est temps que ça cesse. Il est temps que les rédactions reprennent le contrôle. Que les patrons de presse assument leur rôle de garants de l’éthique. Que les journalistes refusent d’être complices de cette dérive, même par passivité. Car on ne peut pas prétendre défendre la démocratie avec des outils qui détruisent la confiance, la nuance et la vérité.
Le journalisme n’est pas une tribune pour militants. Ce n’est pas une scène pour chroniqueurs politisés. Le journalisme, c’est un métier. Un vrai. Avec des règles. Avec des exigences. Avec une responsabilité envers le public.
Aux chroniqueurs, je dis, vous ne parlez pas au nom de la presse. Vous parlez en votre nom propre et pour vos combats.
Par Fatou Abdou Ndiaye, Journaliste