L’accès au financement reste un défi majeur pour les startups africaines, en particulier dans l’espace francophone. Entre manque de visibilité, perception de risque élevé et structures d’investissement limitées, de nombreux entrepreneurs peinent à lever les fonds nécessaires pour faire évoluer leurs projets.
Ann C. Ukadike, experte en entrepreneuriat et diplômée de la Haas School of Business à UC Berkeley, est convaincue que le renforcement des connexions entre l’écosystème africain et la Silicon Valley est la clé pour combler ce fossé. À travers l’Africa Gate to Growth Forum (AGGF), elle œuvre pour mettre en relation les startups africaines avec les investisseurs internationaux et les préparer à répondre aux exigences du capital-risque mondial.
Dans cet entretien, elle revient sur son expérience à Haas, les défis du financement en Afrique francophone et l’impact que pourrait avoir l’AGGF sur l’avenir des startups du continent.
Haas School of Business à UC Berkeley est reconnue pour son engagement en faveur de l’entrepreneuriat, surpassant souvent des institutions comme Stanford et le MIT en matière d’incubation de startups. Comment votre expérience à Haas a-t-elle influencé votre vision pour rapprocher les startups africaines du marché américain ?
La Haas School of Business à UC Berkeley n’est pas seulement une institution académique, c’est un véritable tremplin pour les entrepreneurs à l’échelle mondiale. Son ADN entrepreneurial, combiné à ses liens étroits avec la Silicon Valley, le capital-risque international et des accélérateurs innovants, a profondément influencé ma vision sur la connexion des startups africaines avec le marché américain.
La proximité de Haas avec la Silicon Valley offre un accès direct aux investisseurs, fondateurs de startups et incubateurs qui ont bâti des entreprises valorisées à plusieurs milliards de dollars. Grâce à des programmes comme Berkeley SkyDeck, E-Hub et UC Launch, j’ai acquis une vision de première main sur la manière dont les startups à succès évoluent, de la phase d’idéation à l’expansion mondiale. Au-delà de ces programmes, les étudiants de Haas ne se contentent pas d’étudier l’entrepreneuriat, ils le construisent, le testent et l’appliquent dans des contextes réels à travers des cours comme IBD, Search Funds, Haas at Work, qui m’ont permis d’acquérir des compétences pratiques pour aider les startups africaines à bâtir des modèles économiques plus solides.
L’un des principes fondateurs de Haas, “Beyond Yourself”, qui encourage à penser au-delà de sa propre réussite pour créer un impact à grande échelle, est essentiel pour l’écosystème des startups en Afrique. L’entrepreneuriat africain doit se structurer sur la collaboration, le partage des connaissances et la mise en réseau pour assurer une croissance durable. En organisant l’Africa Gate to Growth Forum (AGGF), j’applique ce principe en garantissant que les entrepreneurs africains aient accès au mentorat, aux réseaux et à un soutien à long terme pour s’imposer sur les marchés internationaux.
Mon ambition est d’aider les startups à accéder au marché américain
Grâce à Haas, j’ai pu établir un dialogue direct avec des investisseurs et leaders de startups qui s’intéressent aux marchés émergents africains. Cette immersion m’a permis de comprendre trois éléments essentiels :
1. Un intérêt croissant pour l’innovation africaine – Les investisseurs américains s’intéressent de plus en plus aux secteurs à forte croissance en Afrique comme la FinTech, la HealthTech et l’e-commerce.
2. L’Afrique doit améliorer son storytelling et son engagement avec les investisseurs – De nombreuses startups n’accèdent pas aux financements, non pas par manque de potentiel, mais parce qu’elles ne correspondent pas aux standards et attentes des fonds de capital-risque mondiaux.
3. Réduire le gap en compétences est crucial – Avec le vaste réseau d’anciens élèves de Haas, l’objectif est de faciliter les connexions entre les fondateurs africains et les mentors de la Silicon Valley, pour leur donner l’expertise et l’accompagnement nécessaires à leur expansion.
L’AGGF vise à partager ces insights avec les entrepreneurs africains, en les aidant à adapter les meilleures pratiques de la Silicon Valley aux réalités du marché africain. Mon ambition est d’aider les startups à accéder au marché américain et à développer des partenariats transfrontaliers qui garantiront leur croissance à long terme.
2. Les startups francophones font souvent face à un déficit de financement. Pensez-vous que cela soit dû à un manque de visibilité, à une perception de risque ou à d’autres facteurs ?
Les startups francophones font effectivement face à un déficit de financement, mais c’est un problème multifactoriel plutôt qu’une seule cause isolée. Cela est lié à un manque de visibilité, une perception de risque accrue, une infrastructure locale d’investissement limitée, ainsi qu’à un cadre réglementaire parfois contraignant.
Concernant la visibilité, les startups francophones souffrent d’un manque d’exposition aux investisseurs mondiaux, en particulier ceux de la Silicon Valley, Londres et New York. Contrairement aux startups anglophones, elles n’ont pas toujours accès aux mêmes réseaux internationaux, concours de pitch ou accélérateurs qui renforcent leur notoriété auprès des grands fonds d’investissement. Les barrières linguistiques compliquent également leur intégration aux cercles d’investisseurs internationaux.
Sur le plan de la perception du risque, de nombreux investisseurs ont une connaissance limitée des marchés francophones africains, ce qui crée une perception de risque plus élevé. Ce manque d’informations ne reflète pas toujours la réalité du potentiel économique, mais il est amplifié par le manque de données de marché et d’exemples de success stories bien documentées.
Par ailleurs, les structures de financement locales sont encore peu développées par rapport aux pays anglophones. Contrairement à des pays comme le Nigeria, l’Afrique du Sud ou le Kenya, qui attirent d’importants investissements de firmes comme Tiger Global et Sequoia Capital, les pays francophones comptent moins de fonds de capital-risque locaux et de réseaux d’investisseurs providentiels, ce qui freine l’accès au financement.
Enfin, certains cadres réglementaires complexes rendent l’expansion et l’attraction des financements étrangers plus difficiles. Des marchés comme le Ghana et le Kenya ont adopté des politiques plus favorables aux startups, attirant ainsi davantage d’investissements en capital-risque.
Des initiatives comme l’Africa Gate to Growth Forum (AGGF) sont essentielles pour combler cet écart, en offrant aux startups francophones une exposition directe aux investisseurs internationaux, du mentorat, ainsi qu’un accompagnement stratégique pour structurer leur croissance.
AGGF a pour but de connecter les startups africaines aux investisseurs de la Silicon Valley. Comment cette initiative pourrait-elle redéfinir l’accès au capital-risque pour l’Afrique francophone ?
L’Africa Gate to Growth Forum (AGGF) est un véritable game-changer pour les startups francophones, car il supprime plusieurs barrières qui ont longtemps limité leur accès au financement international.
L’AGGF offre une plateforme unique où les startups peuvent pitcher directement devant des investisseurs mondiaux, des accélérateurs et des partenaires stratégiques qui n’auraient peut-être pas considéré ces marchés auparavant. Cette connexion directe permet de bâtir une relation de confiance entre l’écosystème francophone et les investisseurs internationaux.
Le programme permet également un mentorat de la part d’investisseurs expérimentés et de fondateurs à succès, aidant ainsi les startups à structurer leur approche du fundraising, affiner leur storytelling et adapter leurs stratégies aux attentes des capital-risqueurs mondiaux.
L’immersion en Silicon Valley est un élément clé de cette transformation. En exposant les fondateurs à l’environnement des grandes entreprises technologiques, aux modèles de croissance des licornes américaines et aux stratégies de levée de fonds réussies, l’AGGF aide ces entrepreneurs à renforcer leur attractivité auprès des investisseurs internationaux.
Aujourd’hui, les investisseurs ont tendance à se concentrer sur des marchés comme le Nigeria, le Kenya ou l’Afrique du Sud, en raison des success stories comme Flutterwave, Chipper Cash et Paystack. En mettant en avant les meilleures startups francophones et en leur donnant une visibilité accrue auprès des investisseurs américains, l’AGGF crée un pipeline structuré qui facilitera les futurs financements.
L’objectif est simple : faire de l’Afrique francophone une destination viable et incontournable pour les investisseurs en capital-risque.