Le Sénégal vient de lancer une nouvelle stratégie numérique ambitieuse : le New Deal Technologique. Une très bonne nouvelle. Cette initiative vise à faire du pays un leader du numérique en Afrique grâce à la modernisation des services publics, au renforcement de la souveraineté numérique et à la création d’un écosystème dynamique pour l’innovation et l’intelligence artificielle (IA). Cependant, le succès de cette transformation repose sur un élément fondamental : la confiance numérique.
À l’échelle mondiale, la question de la confiance numérique, y compris celle liée à l’IA, est au cœur des préoccupations des gouvernements et des entreprises, car elle conditionne l’adoption et l’impact des nouvelles technologies. Face à la prolifération des deepfakes, à la manipulation de l’information et aux menaces croissantes en cybersécurité, il devient essentiel d’instaurer un cadre de gouvernance clair et sécurisé.
Dans la strategie « New Deal Technologique », la « Confiance Numérique » est évoquée dans l’Axe 1 : Souveraineté Numérique, plus précisément dans l’Orientation Stratégique (OS) OS- 1.4. Cet axe vise à mettre en place des politiques de protection des données sensibles, des services et infrastructures critiques. En intégrant la confiance numérique dans le New Deal Technologique, le Sénégal se positionne ainsi comme un acteur clé de cette dynamique mondiale.
1. De la SN2025 au New Deal Technologique : une évolution nécessaire
La Stratégie Numérique Sénégal 2025 (SN2025) avait déjà posé les bases d’un cadre de confiance numérique essentiel à la transformation digitale du pays. Ses principaux piliers incluaient la protection des données personnelles, la cybersécurité, l’identité numérique sécurisée, l’éducation aux bonnes pratiques numériques et une gouvernance transparente. Cependant, l’évolution rapide des technologies, notamment l’essor de l’intelligence artificielle (IA), a fait émerger de nouvelles menaces qui exigent un renforcement de ces dispositifs.
Avec le New Deal Technologique, le Sénégal ambitionne de devenir un leader africain du numérique en adoptant une approche stratégique centrée sur la souveraineté numérique, la transformation digitale des services publics et le développement d’une économie numérique inclusive et sécurisée.
2. Confiance numérique et IA : de nouvelles menaces, un enjeu accru
L’avènement de l’IA a intensifié les risques en matière de confiance numérique. Plusieurs phénomènes perturbateurs apparaissent :
- Explosion des deepfakes : des contenus manipulés réalistes qui fragilisent la confiance dans les médias et les institutions.
- Propagation des fake news : l’IA générative facilite la diffusion de fausses informations, compliquant la distinction entre vérité et manipulation.
- Cyberattaques sophistiquées : des hackers utilisent l’IA pour concevoir des attaques plus ciblées et difficiles à détecter.
- Usurpation d’identité avancée : des technologies exploitent l’IA pour imiter des voix et des comportements, posant un risque majeur pour l’authentification et la protection des données.
- Disparition de certains métiers et montée de l’automatisation : la peur d’un remplacement massif par des machines alimente un sentiment d’incertitude socio-économique.
- Manipulation cognitive et surveillance renforcée : l’IA permet de personnaliser les contenus de manière si avancée qu’elle peut influencer l’opinion publique et accentuer la polarisation.
Ces phénomènes alimentent des craintes légitimes et un climat d’incertitude. La confiance numérique apparaît ainsi comme une condition essentielle pour une adoption sereine et efficace des nouvelles technologies. Sans un cadre de confiance robuste, l’adoption de ces technologies par les citoyens et les entreprises pourrait être compromise, réduisant l’impact positif du numérique sur l’économie et la société.
3. Les nouveaux piliers de la confiance numérique
Dans le cadre du New Deal Technologique, la confiance numérique repose sur des bases renforcées : a) Transparence algorithmique et explicabilité
Les algorithmes d’IA doivent être transparents et compréhensibles pour les utilisateurs. Cela implique la mise en place de normes sur l’explicabilité des décisions automatisées et l’obligation pour les fournisseurs de technologies de justifier leurs modèles d’IA.
b) Souveraineté et protection des données
Le Sénégal doit assurer le stockage et la protection de ses données sensibles sur des infrastructures locales (cloud souverain, data centers nationaux) afin de minimiser la dépendance aux fournisseurs étrangers et garantir la maîtrise des flux de données.
c) Cybersécurité adaptative
L’IA doit être exploitée pour renforcer la cybersécurité : détection des menaces en temps réel, prévention des attaques et amélioration de la résilience des systèmes critiques.
d) Identité numérique et authentification avancée
Le New Deal Technologique prévoit le déploiement d’une identité numérique unique et sécurisée,
garantissant une meilleure traçabilité et une protection contre l’usurpation d’identité.
e) Un cadre juridique et éthique adapté
D’abord renforcer le cadre juridique et institutionnel de la cybersécurité au Sénégal comme l’avait prévu la STRATÉGIE NATIONALE DE CYBERSÉCURITÉ DU SÉNÉGAL (SNC2022). A l’ère du chiffrement post-quantique il est plus que nécessaire de se pencher sur le cadre juridique face aux multiples menaces. Les régulations doivent également évoluer pour inclure des lois sur l’IA responsable, la protection contre les deepfakes et la régulation des plateformes numériques. La mise en place d’une Autorité de supervision de l’IA pourrait être une solution pour garantir le respect de ces normes.
4. Restaurer la confiance des citoyens : un engagement collectif
L’adoption du numérique et de l’IA repose sur la confiance des citoyens. Pour cela, plusieurs actions sont indispensables :
- Renforcer l’éducation numérique et l’esprit critique : Former les citoyens à identifier les fakenews, comprendre les mécanismes de manipulation numérique et utiliser les outils de vérification d’informations.
- Mettre en place un système de certification des contenus : Un label d’authentification des médias numériques et des sources fiables pourrait contribuer à rétablir la confiance.
- Favoriser la coopération internationale : Face à des menaces transnationales, une
collaboration entre les États africains et les organismes internationaux est essentielle pour un partage d’expertise et de solutions technologiques sécurisées.
5. Conclusion : vers un contrat social numérique
Dans l’écosystème du New Deal Technologique, la confiance numérique n’est plus seulement une question technique, mais un véritable contrat social entre l’État, les entreprises technologiques et les citoyens. La transparence, la protection des données, l’éthique et la cybersécurité doivent devenir des priorités nationales pour garantir une adoption massive et sécurisée des innovations technologiques. C’est à cette condition que le Sénégal pourra tirer pleinement parti du potentiel de l’IA tout en préservant ses valeurs et sa souveraineté numérique.
Aboubacar Sadikh Ndiaye
Expert/Consultant en stratégie de Transformation digitale et Intelligence Artificielle
Membre de l’Association Africaine des Droits Numériques