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Alors que les grandes puissances mondiales accélèrent leur transition vers l’intelligence artificielle, l’Afrique ne doit pas rester à la traîne. C’est l’appel lancé par Jean Aloïse Ndiaye, expert de l’Unesco sur l’IA dans le cadre judiciaire et conseiller à la Cour suprême du Sénégal.
En marge d’une conférence sur l’IA et la justice tenue à Dakar, il souligne l’urgence pour le continent d’intégrer cette technologie dans ses systèmes judiciaires afin de pallier ses nombreuses lacunes.
Aujourd’hui, l’usage de l’intelligence artificielle dans les systèmes judiciaires africains reste embryonnaire. « Nous en sommes encore à la phase de digitalisation des procédures, mais l’IA en tant que telle n’est pas encore intégrée », explique Jean Aloïse Ndiaye. Néanmoins, quelques initiatives commencent à émerger, à l’image du Conseil constitutionnel du Sénégal, qui a utilisé un logiciel pour contrôler le système de parrainage lors de la dernière élection présidentielle.
Si le secteur public avance timidement, le privé, lui, ne ménage pas ses efforts. De nombreuses startups africaines développent des solutions basées sur l’intelligence artificielle adaptées aux réalités locales. Ces innovations pourraient bien révolutionner le secteur judiciaire en apportant des réponses aux défis majeurs auxquels il fait face.
L’IA, une solution pour désengorger les tribunaux
L’Afrique souffre de systèmes judiciaires surchargés : lenteur des procédures, déficit de personnel, budgets limités. L’intelligence artificielle offre des solutions concrètes pour alléger ces contraintes. « En Inde, l’IA est utilisée pour traduire et résumer des décisions judiciaires en langues locales. Pourquoi ne pas en faire autant en Afrique ? », propose Jean Aloïse Ndiaye.
L’expert plaide aussi pour le recours à des plateformes automatisées afin de gérer des procédures administratives simples comme la délivrance des casiers judiciaires, les certificats de nationalité ou encore les divorces à l’amiable. Ces avancées permettraient aux juges de se concentrer sur des affaires plus complexes, rendant ainsi la justice plus efficace et accessible.
L’Union africaine l’a bien compris en adoptant récemment sa première stratégie sur l’intelligence artificielle, intégrant une approche centrée sur l’humain. « Il est crucial que nous ne rations pas cette transition, comme nous avons raté celle du numérique », alerte Jean Aloïse Ndiaye.
L’émergence de centres d’intelligence artificielle à Kinshasa, Dakar et dans d’autres capitales africaines témoigne d’une prise de conscience progressive. Mais la route est encore longue, notamment pour assurer une appropriation locale de ces technologies.
Défis éthiques et souveraineté des données
Si l’IA représente une opportunité, elle pose aussi des défis majeurs. Pour l’expert, le premier danger est celui de la dépendance technologique : « Nous ne devons pas être colonisés par l’IA ». Il alerte sur le risque de modèles formés sur des données étrangères, inadaptés aux contextes africains.
L’accès aux données reste un défi crucial. « Il nous faut constituer des bases de données africaines, bien sélectionnées et indexées, pour éviter les biais et discriminations qui pourraient fausser les décisions de justice », insiste-t-il. Une IA adaptée aux réalités africaines est donc indispensable pour garantir l’équité et la protection des libertés fondamentales.
Vers une régulation adaptée à l’IA
Pour que l’intelligence artificielle trouve sa place dans un État de droit, une réglementation stricte est nécessaire. « L’IA n’est pas une zone de non-droit, mais les textes actuels restent insuffisants », souligne Jean Aloïse Ndiaye. Une mise à jour des cadres législatifs s’impose pour encadrer l’usage de ces technologies et prévenir les dérives.
L’Afrique a une opportunité unique de façonner une intelligence artificielle qui lui ressemble, en phase avec ses valeurs et ses réalités. À condition de ne pas manquer le train en marche.