Votre préoccupation concernant les prérequis nécessaires au développement du numérique est légitime. La connectivité, les infrastructures et la puissance de calcul sont des éléments clés d’un écosystème numérique robuste. Cependant, attendre d’avoir tout cela en place avant de s’attaquer à l’Intelligence Artificielle (IA) serait une erreur stratégique.
Les pays en développement ne peuvent pas se permettre de toujours jouer le rôle de suiveurs. L’histoire récente nous a montré qu’il est possible de faire des bonds technologiques, comme nous l’avons fait avec la téléphonie mobile et le mobile money. Ces innovations ont changé la donne, sans que nous ayons eu à suivre les étapes classiques du développement des télécommunications ou de la bancarisation. L’IA représente une opportunité similaire : elle n’est pas seulement une technologie du futur, elle est déjà une réalité qui façonne l’économie mondiale.
Si nous attendons d’avoir une connectivité parfaite et une infrastructure totalement aboutie, nous perdrons un temps précieux et nous serons, une fois de plus, contraints de rattraper notre retard au lieu d’être des acteurs proactifs. L’IA ne doit pas être perçue comme une finalité après avoir comblé toutes nos lacunes, mais comme un levier à activer en parallèle pour accélérer notre transformation numérique.
D’ailleurs, c’est précisément dans les domaines que vous mentionnez – santé, agriculture, éducation – que l’IA peut immédiatement apporter des solutions concrètes. Nous devons commencer dès maintenant à former des talents, à encourager les startups locales à explorer des solutions adaptées à nos réalités et à poser les bases d’un écosystème IA africain.
Le train de l’IA est déjà en marche. Ce n’est pas dans dix ans qu’il faudra le prendre, c’est maintenant. Si nous voulons éviter une dépendance totale aux solutions étrangères et créer de la valeur localement, il est impératif d’agir sans attendre. L’heure est venue de faire un nouveau saut de leapfrog et d’affirmer notre place dans cette révolution technologique.
Cela signifie qu’il ne faut pas opposer les prérequis et l’IA, mais au contraire avancer sur les deux fronts simultanément. Nous devons construire nos infrastructures numériques tout en développant nos capacités en IA. Ce n’est pas un luxe, mais une nécessité stratégique pour l’avenir de notre économie et de notre souveraineté numérique.
Prenons l’exemple de l’Afrique mobile-first : notre continent a su tirer parti des technologies mobiles pour combler le manque d’infrastructures bancaires et télécoms traditionnels. Aujourd’hui, avec l’IA, nous avons une nouvelle opportunité de contourner certains obstacles structurels. Grâce à des modèles d’IA adaptés à nos réalités, nous pouvons optimiser l’accès aux services essentiels, améliorer l’efficacité agricole, renforcer les diagnostics médicaux dans des zones reculées et automatiser certaines tâches administratives pour pallier le manque de ressources humaines qualifiées.
D’ailleurs, le fait que 40 % des Africains n’aient pas encore accès à Internet ne doit pas être une excuse pour retarder notre engagement dans l’IA. Au contraire, c’est une raison de plus pour accélérer : en développant des solutions intelligentes adaptées à des contextes de faible connectivité, nous pouvons rendre l’IA accessible même dans les zones non couvertes. L’IA embarquée, fonctionnant sur des appareils mobiles sans nécessiter de connexion permanente, ou encore les modèles d’IA allégés, entraînés sur des données locales, sont autant de pistes à explorer dès maintenant.
Le véritable risque aujourd’hui n’est pas d’avancer trop vite, mais de rester en arrière et de dépendre totalement des technologies développées ailleurs. Si nous ne créons pas nos propres solutions IA, nous serons contraints d’importer des modèles conçus pour d’autres contextes, avec tous les biais et limitations que cela implique. Nous devons donc investir dès maintenant dans la formation, la recherche et le développement de solutions locales.
L’Afrique a l’opportunité d’être un acteur majeur de l’IA en adaptant cette technologie à ses besoins spécifiques. Mais cela nécessite une volonté politique forte, une vision claire et des investissements stratégiques.
Ce n’est pas en retardant notre entrée dans l’ère de l’IA que nous comblerons nos lacunes numériques. C’est en y entrant de manière audacieuse, avec des solutions pragmatiques et adaptées, que nous créerons le prochain leapfrog dont notre continent a besoin.
Le choix est clair : soit nous agissons maintenant et façonnons notre avenir, soit nous attendons et nous nous contenterons d’utiliser les outils conçus par d’autres. L’Afrique a déjà prouvé sa capacité à innover dans des conditions difficiles. L’IA est une nouvelle frontière à conquérir, et le moment d’agir, c’est maintenant.
Respectueusement,
Babacar LO/ Lamport Lab