dimanche, janvier 12, 2025

Réponse à Abdou Lahad Diakhaté : Pour une gouvernance numérique cohérente et durable

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Je tiens tout d’abord à saluer la profondeur de votre analyse et la pertinence des points soulevés. Votre contribution éclaire des enjeux stratégiques essentiels pour le développement numérique du Sénégal et ouvre un débat nécessaire pour orienter ce secteur clé vers une trajectoire durable et cohérente.

Sur le contrôle et la taxation des appels entrants

Votre analyse sur le retour de la surtaxe des appels entrants est d’une grande importance, mais elle mérite d’être complétée, notamment en ce qui concerne la distinction entre taxation et contrôle. Beaucoup d’acteurs semblent réduire la problématique à une simple question de recettes fiscales, oubliant le rôle fondamental du contrôle dans un écosystème numérique sécurisé et efficace.
Le contrôle des appels entrants constitue un levier stratégique pour :
Protéger les citoyens : Lutter contre les fraudes, les appels indésirables (spams), et les cyberattaques qui utilisent souvent les réseaux de télécommunications.
Préserver les revenus des opérateurs : Contrer les pratiques de bypass (fraude télécom) qui contournent les circuits officiels et engendrent des pertes significatives pour les opérateurs et l’État.
Garantir une traçabilité optimale : Permettre une meilleure identification des flux de communication pour anticiper et prévenir les abus.
Concernant la taxation, vous rappelez à juste titre que le trafic entrant générait autrefois des recettes substantielles : entre 3,5 et 5 milliards FCFA par mois, soit environ 50 milliards FCFA par an. Ces chiffres, en partie dus à un trafic de 90 à 100 millions de minutes par an à l’époque, doivent être contextualisés aujourd’hui avec la montée des OTT (WhatsApp, Viber, Messenger, etc.) et la transformation des usages.
Cependant, il est essentiel de noter que :
Le trafic entrant reste pertinent, même en 2019, où il représentait encore 77 millions de minutes (malgré l’absence récente de rapports actualisés de l’ARTP).
Avec plus de 22 millions d’abonnés en 2023, le potentiel d’un trafic entrant significatif demeure, notamment dans les zones non couvertes par la 3G/4G. Selon le FDSUT, environ 3000 localités sont encore déconnectées, ce qui confirme la dépendance de nombreuses régions au trafic voix classique.
Enfin, les études évoquant une contribution des OTT à hauteur de 300 milliards FCFA pour le Sénégal méritent une réflexion approfondie sur les moyens de capter une partie de cette valeur sans imposer de charges additionnelles aux abonnés. Cela passe par des politiques fiscales adaptées, tout en veillant à ne pas décourager l’innovation numérique.

Sur la prolifération et la redondance des projets numériques

Vous mettez en lumière un défi central : la fragmentation et le manque de coordination des projets numériques. L’exemple des 6000 km de fibre optique, qui auraient pu être rationalisés en collaborant avec les opérateurs, illustre bien ce problème. Il est primordial que l’État adopte une approche stratégique pour :
Optimiser les investissements publics : Éviter les chevauchements inutiles qui mobilisent des ressources sans apporter de valeur ajoutée significative.
Garantir l’interopérabilité des infrastructures : Assurer une connectivité fluide entre les différentes institutions et plateformes numériques.
Instaurer un cadre normatif clair : Définir des règles communes pour guider le déploiement des infrastructures et garantir leur cohérence avec les objectifs nationaux.
Le rôle du ministère des Télécommunications doit être renforcé en tant que gestionnaire stratégique, capable de superviser et d’aligner les initiatives des différents acteurs publics (SENUM, ARTP, FDSUT, etc.) et privés.

Sur la gouvernance et la coordination

Vous soulignez avec justesse la nécessité d’une gouvernance unifiée pour recentrer chaque acteur sur ses missions essentielles. Les conflits de prérogatives entre institutions comme SENUM, Senelec, ARTP ou FDSUT affaiblissent l’efficacité globale du secteur. Une gouvernance cohérente implique :
La clarification des responsabilités : Définir clairement les rôles de chaque entité pour éviter les duplications coûteuses.
Une coordination public-privé efficace : Encourager des partenariats pour mutualiser les ressources et maximiser l’impact des investissements.
Une évaluation périodique des projets : Mesurer leur contribution réelle à l’amélioration de la qualité de vie des citoyens et à la compétitivité économique du Sénégal.

Vers une transformation numérique inclusive et durable

Le numérique ne doit pas être uniquement perçu comme un vecteur économique, mais également comme un outil de souveraineté nationale et d’inclusion sociale. Dans le cadre du référentiel Sénégal 2050, plusieurs priorités s’imposent :
Combler la fracture numérique : Garantir l’accès universel aux infrastructures de base (fibre optique, 3G/4G) pour toutes les localités.
Renforcer la cybersécurité : Protéger les données des citoyens et les infrastructures critiques contre les cybermenaces.
Stimuler l’innovation locale : Soutenir les start-ups et les entreprises numériques sénégalaises pour qu’elles participent activement à l’essor du secteur.

Conclusion

Votre contribution, M. Diakhaté, pose des bases solides pour un débat structuré sur l’avenir numérique du Sénégal. Elle souligne l’urgence de revoir nos priorités stratégiques, en adoptant une vision globale et cohérente qui privilégie le contrôle, la rationalisation des projets et une gouvernance renforcée.
Le Sénégal dispose des ressources et des talents nécessaires pour se positionner comme un leader de la transformation digitale en Afrique. Toutefois, cela nécessite une volonté politique forte et une mobilisation de tous les acteurs, publics et privés. Merci encore pour vos réflexions enrichissantes, qui inspirent une action collective en faveur d’un avenir numérique prometteur.
Par Ibrahima SALL 
Commissaire Scientifique en charge du numérique du parti PASTEF