La question de la fuite des cerveaux se pose toujours dans le cadre des partenariats bilatéraux entre le continent africain et d’autres pays. De nombreux étudiants et élèves, à l’aide de bourses d’excellence, partent à l’étranger pour poursuivre leurs études. Si certains reviennent dans leur pays d’origine après leurs études, d’autres préfèrent rester et contribuer au développement de leur pays d’accueil. Cette problématique préoccupe particulièrement Dr. Massamba Guèye, conteur, écrivain, dramaturge et producteur.
En abordant la question des relations culturelles entre la France et le Sénégal, le Directeur de la Maison de l’Oralité et du Patrimoine du Sénégal, “Kër Leyti”, estime qu’il est nécessaire de les renégocier pour qu’elles soient plus équitables. Massamba Guèye nous offre dans cet entretien une immersion au cœur du patrimoine culturel sénégalais, marqué par une relation ambivalente avec son ancien colonisateur.
Que pensez-vous de la France et de sa relation avec le Sénégal dans le domaine culturel ?
Je pense que c’est une relation difficile à définir en un mot. Elle est séculaire et repose sur deux politiques différentes. Le fait qu’il existe des Instituts français et des Alliances dans un sens unique montre un déséquilibre. Les relations sont cordiales et des échanges formels comme informels continuent de se tenir, mais ils ont aujourd’hui moins d’impact sur la vie des Sénégalais. À mon avis, il faut secouer le cocotier et faire bouger les lignes. Cette relation doit être renégociée.
Peut-on aujourd’hui parler d’une colonisation culturelle de la France au Sénégal ?
Non, ce n’est pas mon avis. Certes, certains “penseurs” ont été façonnés par la France, qui les invite partout et leur offre ses supports de diffusion. Mais le Sénégal est un pays carrefour, très ouvert à la coopération culturelle.
Ceux qui agissent réellement sur le terrain culturel le savent : la majorité des acteurs culturels sénégalais ne subissent plus le joug de la France. Ce n’est pas la France qui décide de notre action culturelle, ni des langues utilisées dans nos créations théâtrales, cinématographiques, etc. Celui qui se sent encore colonisé en 2021 devrait se regarder dans une glace et s’interroger sur ses propres limites.
Les coopérations allemande, chinoise, arabe, suisse, espagnole et italienne, sans oublier la coopération Sud-Sud, contribuent aussi fortement au financement de nos activités culturelles, en complément des efforts considérables déployés par l’État du Sénégal.
Comment le Sénégal, à travers son patrimoine, doit-il se positionner vis-à-vis de la France ?
Le Sénégal est indépendant depuis 1960 et n’a pas besoin de se définir par rapport à la France, mais plutôt par rapport aux besoins de ses populations.
La véritable question est de savoir ce que nous voulons faire avec notre patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel. Ce patrimoine doit être au cœur de notre projet humain, de nos politiques d’éducation et de développement.
Si le Sénégal devait réfléchir à la France – et je n’en vois pas la raison –, ce serait pour déconstruire les lectures biaisées faites par certains anthropologues français sur nos civilisations. Il s’agirait également de reconquérir nos imaginaires, sans l’accompagnement de parrains visibles ou invisibles.
Avez-vous constaté une réciprocité dans le partage des connaissances entre les deux pays ?
Les échanges existent, mais ils sont à sens unique. Ce sont surtout nos jeunes qui partent en France pour chercher des diplômes, ce qui est regrettable. Un bachelier français viendrait-il faire ses études supérieures à Dakar ? Non. Il n’y a pas de réciprocité à ce niveau. La France bénéficie davantage de cette dynamique, attirant une bonne partie de nos meilleurs élèves, dont certains ne reviennent pas. C’est ce qu’on appelle la fuite des cerveaux, mais elle se fait exclusivement dans le sens Sud-Nord.
Que faut-il faire pour enrayer ce phénomène ?
La fuite des cerveaux constitue une perte importante, qu’il faut compenser par une amélioration continue de la qualité de notre offre de formation. Nous ne pouvons pas aspirer à un développement maîtrisé en nous reposant uniquement sur des universités françaises. Il faut continuer à permettre à ceux qui le souhaitent d’aller se former à l’étranger, mais cela doit rester un choix, pas une obligation. Les modèles de réussite endogène sont nombreux, et c’est sur nos propres forces que nous devons compter. C’est la voie à suivre si nous voulons survivre. L’État du Sénégal y travaille, mais il est crucial de donner aux détenteurs de bourses d’excellence des raisons objectives de ne pas quitter le pays.
Propos recueillis par Basile NIANE