mardi, décembre 17, 2024

Quand le crime prend la mer, l’avènement d’une thalassocratie criminelle transnationale

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La criminalité organisée s’adapte à l’objet même du trafic comme à ses contraintes logistiques et sécuritaires. Ainsi, intermédiaire obligé du narcotrafic, l’environnement maritime et portuaire a façonné un milieu criminel spécifique parfaitement connecté aux structures terrestres . De plus, il apparaît qu’une authentique thalassocratie criminelle se lance, masquée, à la conquête des océans et des ports maritimes .

Structure pyramidale et caisse à outils criminels, les réalités des ressources humaines. Ces entreprises illicites révèlent une architecture criminelle complexe qui témoigne d’une certaine diversité adaptée au « terrain » des affaires. De manière générale, elle prend la forme d’une pyramide. Le sommet est occupé par les commanditaires, les « barons de la drogue », les chefs de cartel, qui organisent ou, plus exactement, font organiser ce commerce prospère. Par sécurité, physique comme juridique, ils prennent de la distance et laissent leurs proches collaborateurs « les mains dans la poudre ».

Pour ce faire, ils s’appuient sur des relais, des lieutenants – au sens propre du terme, qui « tiennent lieu » de chefs, chargés de mettre en mouvement l’organisation. Enfin, la base de forme plus ou moins élargie est constituée des manœuvres, des exécutants qui mettent en œuvre des savoir-faire qui, associés les uns aux autres, contribuent à l’acheminement des substances tout au long de la chaîne logistique. Il s’agit, souvent, de techniciens et de logisticiens en charge de la préparation ou de la transformation des matières premières, de conducteurs, de guetteurs, de fournisseurs de moyens matériels ou de mobilité, d’agents de renseignement comprenant des fonctionnaires corrompus au sein des autorités ou exploitants portuaires, des compagnies de transport, des douanes ou des services de police. Des marins, de métier ou de fortune, complètent la galerie afin d’armer les embarcations dédiées. Ils peuvent, aussi, être « recrutés » au sein d’équipages déjà constitués, agissant tels des relais de l’organisation criminelle au sein des armements. L’exemple du MSC Gayane  est, à ce titre, illustratif des capacités des cartels à identifier, cibler, corrompre et fidéliser les ressources humaines indispensables à la bonne marche du trafic.

Ils sont rémunérés à la tâche en numéraire ou en nature sous la forme de quantité de produits stupéfiants. 20 tonnes de cocaïne ont été découvertes, le 17 juin 2019, à bord de ce porte-conteneurs lors d’une opération logistique au port de Philadelphie, aux États-Unis. Cette saisie record est évaluée à 1,3 milliard de dollars. En provenance de Colombie, il faisait escale aux États-Unis avant de rallier Rotterdam (Pays-Bas). Les membres d’équipage de nationalité monténégrine ont été approchés avant le départ du navire, recevant des sommes d’argent supérieur à 55 000 dollars en échange de leur complicité.

Aux côtés de cette pyramide

les commanditaires se sont constitués une « caisse à outils criminels » dans laquelle ils actionnent des compétences rares, à haute valeur ajoutée, et, bien souvent, de nature hybride. Il s’agit de prestataires de service (ou «  service provider »). On y trouve, par exemple, des skippers de multicoque et des « architectes navals » en mesure de concevoir l’aménagement de caches au sein de voiliers ou, même, des «  Narco-Sub », ces sous-marins artisanaux transocéaniques. Ces talents peuvent travailler pour plusieurs types de trafic. Ainsi, les galiciens d’Espagne produisent des embarcations, « Narcolanchas  », à la fois au profit des trafics de drogue comme de migrants en mer Méditerranée. Des « financiers » sont à même d’effectuer des transactions en vue d’acquérir les substances stupéfiantes auprès des fournisseurs ainsi que des moyens. Ils sont, aussi, dédiés à la conduite d’opérations de blanchiment de fonds dans des réseaux internationaux, maitrisant la géo-économie mondiale de la « non-compliance » des établissements financiers comme des autorités publiques. Agiles et forts d’un large réseau, ils exploitent opportunément leurs connaissances juridiques et les mécanismes de la finance internationale. Parmi d’autres talents dévoyés, figurent de véritables digital officer en charge de faciliter et de sécuriser les communications entre acteurs clés du trafic. Ils ont recours à des solutions numériques chiffrées comme l’actualité judiciaire l’a récemment illustré avec le démantèlement des solutions ENCROCHAT et Sky ECC respectivement par la gendarmerie et la police françaises. Cette structure pyramidale repose sur le cloisonnement entre les différents maillons d’une chaîne criminelle souvent très autonome : chacun ignore l’activité et l’identité du maillon précédent. Cette mesure organisationnelle d’opacification absolue s’inscrit dans une recherche permanente de sécurité des opérations, facteur majeur de la réussite. Elle a vocation à mettre en échec les services répressifs.

La réalité des trafics

Cependant, opérés de manière transcontinentale impose un schéma caractérisé par une juxtaposition de plusieurs pyramides criminelles chacune en charge d’un segment de l’opération. Seules les organisations les plus solides seraient, en effet, en mesure d’assurer en autonomie l’ensemble. Le Primeiro Comando da Capital assure un suivi de bout en bout depuis l’achat de la matière première, sa transformation, son acheminement jusqu’aux ports brésiliens (notamment São Paulo), les ports de rebond voire la mise sur les marchés de consommation. Ces différents segments relèvent notamment d’aires géographiques distinctes qui correspondent, in fine, à des séquences du trafic (récolte/ préparation, transformation, conditionnement/ acheminement logistique multimodal/ récupération de la cargaison illicite à destination du marché de revente/ reconditionnement/ ventilation/ mise en vente sur le marché). La coordination entre ces différentes pyramides est, de fait, une tâche sensible au vu des enjeux financiers encourus. Comment se faire confiance entre acteurs particulièrement méfiants et soupçonneux ? Tel n’est pas le moindre paradoxe de cette activité commerciale.

Les organisations criminelles adaptent en permanence leurs dispositifs en créant des « bureaux locaux » ou « narco-comptoirs » sur de nouveaux hubs. Ainsi, il semblerait que les groupes criminels brésiliens (PCC), mexicains (Cártel de Sinaloa), organisations balkaniques (Albanais notamment) ou encore la mafia italienne aient pris pied dans le Cône Sud ou sur les rebonds africains (Afrique de l’Ouest, Mozambique). Elles s’appuient aussi sur des recrutements locaux qui « ouvrent » des portes notamment dans la chaîne logistique portuaire.

Néanmoins, les tendances actuelles font émerger un mode d’organisation alternatif fondé sur le modèle de l’auto-entrepreneur. Le metteur sur le marché s’efforce de limiter au maximum le nombre d’intermédiaires, se rendant sur les lieux de production. Privilégiant le contact direct, il s’affranchit – autant que possible – du recours à une organisation criminelle régionale. Il s’agit, pour ainsi dire, d’une application à l’écosystème criminel du principe d’uberisation.

La thalassocratie criminelle à la conquête des océans et des ports maritimes

Les organisations criminelles sont dans l’obligation de sous-traiter à des experts certaines phases de leurs opérations illicites. Le volet logistique de l’expédition de stupéfiants nécessite de rassembler des compétences particulières. Aussi en est-il des savoir-faire en matière de navigation et d’affrètement maritime. Les équipages de la plaisance, de la pêche maritime ou du commerce représentent une plus-value majeure dans la sécurisation des exportations de substances illicites. Fortement sollicités, ils sont l’objet de séduction, de pression, de menaces voire d’actes de violence.

La situation singulière de l’Équateur  est très illustrative des mesures prises par des organisations afin d’acheminer la cocaïne colombienne ou péruvienne sur le marché nord-américain. Pour conduire des opérations de grande envergure, les flottilles de pêche ont été ciblées comme fournissant une dissimulation parfaite du commerce illicite en affichant une raison sociale indiscutable parfaitement intégrée dans l‘économie bleue régionale. Parfois, des licences de pêche falsifiées donnent le change aux Affaires maritimes. En outre, ces vecteurs offrent une capacité d’emport importante ainsi qu’un comportement à la mer endurant et sécurisant. Des équipages dédiés sont constitués usant d’intimidation, de violence physique voire armée ou au regard de la promesse d’une alléchante rémunération. Selon les propos rapportés par des journalistes , le commandant des opérations Nord des forces armées équatoriennes estimerait que plus de 300 pêcheurs des provinces  d’Esmeraldas, Manabí, Guayas, Santa Elena et El Oro ont été interpellés dans des opérations de narcotrafic et sont détenus aux États-Unis. Après une navigation fluviale, les navires de pêche ou des embarcations semi-rigides appareillent vers les îles Galapagos , sur une distance de 15 000 milles nautiques où ils sont recomplétés en carburant et  ou transbordent leur chargement illicite vers d’autres embarcations qui rallient directement les ports du Guatemala, du Costa-Rica et du Salvador. Toutefois, le fret peut, de nouveau, être redistribué sur des navires-fille plus discrets avant de gagner les ports d’Amérique centrale. Dans ce contexte, les marins des ports côtiers comme Jaramiló sont très courtisés du fait de leur connaissance précise des courants et de la topographie marine.

Un voyage est ainsi rémunéré près de 30 000 dollars.

Certains équipages en font 3 à 4 par semaine. Précisons que le salaire moyen mensuel s’élève à environ 500 dollars. Un réseau de complicité est régulièrement mis à l’eau, le long de la route maritime. Simulant une campagne de pêche, cette flottille de navires assure des fonctions de renseignement, d’alerte et de coordination opérationnelle prévenant toute présence suspecte sur l’itinéraire. En cas de suspicion avérée, le fret illicite est mis à l’eau et suivi à l’aide de balises GPS insérées dans les ballots étanches. Manœuvre maritime d’exportation de la cocaïne depuis l’Équateur vers les marchés nord-américains

Des ports maritimes infiltrés par des narco-organisations ?

Plus grave encore, les comités de direction des ports maritimes d’Anvers (Belgique), Rotterdam (Pays-Bas) et Hambourg-Bremerhaven (Allemagne) associés à l’Agence européenne de Police EUROPOL  ont mis à jour des mécanismes d’infiltration des organisations portuaires par des structures criminelles. Le mode opératoire démontre une maitrise des procédures portuaires et une exploitation des vulnérabilités propres au système de gestion des conteneurs dans les emprises. L’organisation criminelle s’appuie sur des « insiders » ou agents infiltrés dans la structure portuaire soit du fait d’une manœuvre de corruption des acteurs licites soit par projection de membres du réseau criminel au sein des acteurs portuaires. Ces derniers agissent comme le ferait une équipe d’extraction des conteneurs contaminés hors des emprises sécurisées du port. Ils pénètrent physiquement ces enceintes de manière dissimulée à l’image d’un scénario type « conteneur-cheval de Troie ».Un complice, sous couvert d’une entreprise légitime, achemine un conteneur spécialement aménagé pour accueillir l’équipe d’infiltration. En effet, la chaîne logistique maritime repose sur plusieurs intervenants aux missions bien définies. Le maillon essentiel qui relie l’expéditeur et le destinataire est le transitaire maritime dont la mission est d’organiser l’acheminement de la cargaison. Au delà de l’organisation matérielle et conformément aux normes internationales, Incoterms, il prend en charge les formalités administratives liées au transport à savoir les attestations d’assurance, les formalités juridiques et douanières, le dossier export (connaissement, colisage, certificat d’origine, factures commerciales). Le « Bill of Lading  » est Le choix de la formulation dépendra du contexte précis dans lequel cette phrase est utilisée et du niveau de détail souhaité. Si vous souhaitez une formulation simple et directe, la première option est la plus adaptée. Si vous souhaitez insister sur la nature juridique du document et ses différentes fonctions, la dernière option est plus pertinente. Il est déclaratif («  said to be declared  »). Ainsi, la compagnie maritime attribue au conteneur un code unique matérialisé par un code PIN ou QRCode qui assure la traçabilité mais aussi la légitimité des acteurs à manipuler ce fret. Les «  insiders  » ont alors pour objectif de partager ce code d’identification avec l’organisation criminelle.

Au total, la maritimisation irrésistible du narcotrafic a façonné une main d’œuvre criminelle.

Parfaitement adaptée aux contraintes maritimes et portuaires. Structurée et évolutive, elle s’intègre dans les réalités d’une thalassocratie criminelle internationalisée qui contribue, de manière décisive, à la prospérité des chaînes de valeurs au sein d’une géo-économie illicite. La logistique portuaire offre, certes, l’efficacité du commerce international mais aussi l’opacification et les sécurisations des flux commerciaux noyés dans le gigantisme d’une mondialisation fortement maritimisée.

Les impacts désormais documentés du narcotrafic sur l’ordre public et sur les relations internationales appellent une mobilisation internationale structurée car les États sont interdépendants au sein de ces chaînes de valeurs. Alors comment agir avec efficacité dans le brouillard généré par le gigantisme de la flotte de commerce mondial qui achemine – par millions – ces amphores du XXI siècle que sont les conteneurs ? Comment « connaître » la réalité des flux maritimes sur les deux tiers de la surface du globe qu’occupent les espaces maritimes ? Comment imposer, enfin, le respect du droit international aux multinationales du crime non-signataires des Conventions et générant un chiffre d’affaire exponentiel ?

Copyright novembre 2024/Manet/Diploweb.com

Par Florian MANET

L’auteur s’exprime à titre personnel. Colonel de la gendarmerie nationale, Florian Manet est essayiste, expert en sûreté globale, chercheur associé à la Chaire « Mers, Maritimités et Maritimisation du monde » de Sciences Po Rennes. Auteur du « Crime en bleu. Essai de Thalassopolitique » publié aux éditions Nuvis (2018), il publie un nouvel ouvrage intitulé « Thalassopolitique du narcotrafic international, la face cachée de la mondialisation » aux éditions EMS avec le soutien financier et scientifique de la Fondation de prospective maritime et portuaire SEFACIL et avec le partenariat opérationnel d’IRENA GROUP et de « Global Initiative Against Transnational Organized Crime » (GI-TOC)