L’identité numérique n’est plus un luxe, mais une nécessité impérieuse pour tout État qui aspire à s’intégrer pleinement dans l’économie numérique mondiale. Or, au Sénégal, ce concept vital semble encore flotter dans les limbes des stratégies non abouties. Si l’on ne s’attaque pas résolument à cette question, les conséquences pour nos politiques publiques risquent d’être dramatiques.
L’identité numérique ne concerne pas uniquement la simplification administrative ou l’accès sécurisé aux services en ligne. Elle est au cœur des transformations majeures de nos sociétés. Sans une identité numérique bien implantée, nous allons assister à une exclusion numérique accrue, une perte de compétitivité et un fossé toujours plus grand entre les citoyens et l’État.
Avant tout, réglons le problème de l’identité tout court
Mais avant de parler d’identité numérique, soyons modestes et réalistes : il faut d’abord régler le problème de l’identité tout court. L’état civil de notre pays, censé garantir à chaque citoyen une existence légale et reconnue, peine encore à être modernisé de façon efficace. Les démarches restent complexes, les archives souvent lacunaires, et l’accès à l’enregistrement des naissances, des mariages, et des décès est loin d’être universel. Tant que nous n’aurons pas gagné cette bataille fondamentale, il sera difficile de bâtir sur des fondations solides un système d’identité numérique.
Il est important de saluer ici les efforts fous consentis par Aliou Ousmane Sall, directeur général de l’Agence Nationale de l’État Civil. Depuis sa nomination, il a entrepris une mission titanesque de modernisation et de digitalisation de l’état civil. Ce sont des pas significatifs, mais il est essentiel de rappeler que le combat est encore devant nous. La modernisation de l’état civil n’est qu’une première étape ; il reste encore de nombreux défis à relever pour garantir que chaque citoyen sénégalais puisse bénéficier d’une identité civile solide, vérifiable et numérique.
Des exemples concrets de succès
Prenons l’exemple de pays comme l’Estonie ou Singapour, où la réussite de l’identité numérique repose en grande partie sur un système d’état civil fiable et centralisé. En Estonie, chaque citoyen est d’abord enregistré avec des données vérifiées et sécurisées, permettant une numérisation fluide et efficace de leur identité. C’est à partir de ces fondements solides que l’Estonie a pu instaurer une identité numérique nationale.
De la même manière, l’Inde, avec son système Aadhaar, a d’abord entrepris un vaste projet d’identification des citoyens, en garantissant que chaque personne soit correctement enregistrée avant de mettre en place sa structure numérique. Sans cette première étape, la digitalisation aurait été vouée à l’échec.
Le coût de l’inaction
Qu’arriverait-il si le Sénégal continuait à traîner les pieds sur la question de l’identité numérique et civile ? En l’absence d’une telle structure fiable, nos politiques de digitalisation risquent de s’enliser dans les promesses non tenues. Le manque d’interopérabilité des systèmes d’information, la prolifération de plateformes disparates, et l’impossibilité d’assurer la traçabilité des actions de l’État pourraient mener à des politiques publiques inefficaces et un mécontentement croissant de la population.
De plus, l’identité numérique est essentielle pour garantir la transparence, notamment dans la gestion des finances publiques, la lutte contre la fraude et la corruption, et la facilitation du commerce. Si nous n’instaurons pas un système sécurisé et fiable, notre pays sera à la merci de dysfonctionnements administratifs, de manœuvres frauduleuses, et d’un manque criant de confiance envers les institutions.
Il est temps d’agir
L’urgence de l’identité numérique est donc claire. Mais elle ne peut s’accomplir que si nous réglons d’abord nos lacunes structurelles au niveau de l’état civil. Ce travail en amont est indispensable si nous voulons que la transformation digitale du Sénégal repose sur des bases solides. Pour que le Sénégal puisse profiter pleinement des bénéfices de la transformation digitale, il doit sans tarder adopter une identité numérique fiable, sûre, et accessible à tous, en s’assurant d’abord que chaque citoyen dispose d’une identité légale vérifiable. C’est une question de souveraineté numérique, mais aussi d’inclusion sociale et d’efficacité administrative.
Le Sénégal ne peut pas se permettre de rester en arrière dans ce domaine crucial. Il est temps que nos dirigeants prennent des mesures décisives et transforment les nombreuses stratégies en actes concrets, comme l’ont fait des pays plus modestes en ressources, mais plus audacieux dans leur vision. L’avenir de notre pays en dépend.