Il est des hommes qui ont marqué d’une pierre blanche leur existence. Pour ces raisons, ils ne doivent pas tomber dans l’oubli. En baptisant du nom du regretté Abdoul Aziz Wane, le Lycée scientifique d’excellence de Diourbel, l’ancien président de la République a voulu donner en exemple aux pensionnaires de cet établissement un modèle de patriotisme, un brillant esprit qui hélas a rejoint très tôt l’au-delà. Parcours d’un brillantissime ingénieur.
Premier africain à avoir été admis à la prestigieuse École centrale de Paris, Abdoul Aziz Wane a été choisi le 21 mars dernier par le Président Macky Sall comme parrain du Lycée scientifique d’excellence de Diourbel. Il est né en 1928 à Kanel, Cheflieu du Canton du Damnga, à 30 km de Matam. Fils de Yaya Ibra Abdoul Wane et de Marième Thierno Mollé Ly, Abdoul Aziz Wane se classait toujours premier et passait pour l’un des meilleurs élèves des lycées du Sénégal. Le 30 juin 1946, il passe la première partie du Baccalauréat Série A avec la mention Très Bien. Au vu de ce résultat, les colons décident de l’envoyer en France pour préparer la deuxième partie du Baccalauréat. Il est ainsi boursier au Lycée Amyot de Melun. Il décide de changer de série et s’inscrit en Mathématiques élémentaires. Le 10 juillet 1947, il obtient le baccalauréat complet avec la mention Très bien. Son cursus scolaire hors norme lui a permis de se présenter aux concours d’entrée aux classes préparatoires. Il est admis au Lycée Saint-Louis de Paris et y séjourna 3 années consacrées aux mathématiques spéciales et appliquées. A la rentrée de 1948-1949, alors qu’il était en maths spéciales, il prépare la 2ème partie du Bac Philo pour garnir sa collection de diplômes. Il eut donc 2 bacs complets. Abdoul Aziz Wane se présente ensuite et avec succès au Concours des mines (Ecole nationale supérieure des mines, d’aéronautique, du génie maritime), au concours d’admission à l’Ecole supérieure de chimie de Nancy, et au Concours d’entrée à l’Ecole centrale des arts et manufactures de Paris. 1er étudiant africain à avoir brillamment intégré ce prestigieux établissement, dont les postulants sont admis par voie de concours très sélectifs, Abdoul Aziz Wane y fait son entrée en novembre 1951 en se classant 25ème sur 210 admis, dont presque tous des Français issus des meilleurs lycées de France. Abdoul Aziz Wane fait une année de spécialisation en Angleterre et en 1956, il est recruté par la Caisse centrale de la France d’Outre-mer, organisme monétaire français chargé à l’époque (entre 1941 et 1959) de l’émission monétaire dans les colonies françaises.
Cheikh Hamidou Kane raconte le tragique accident de Wane
Wane est ensuite muté au Sénégal. Par décision du 13 juillet 1957, il intègre l’équipe de Mamadou Dia, Vice-président du Conseil du Gouvernement, en tant que chef de cabinet. Suite à sa prise de position par rapport au référendum du 28 septembre 1958 (il opta et fit campagne pour le «NON»), il est limogé et affecté comme Conseiller technique du Directeur général de la Régie des chemins de fer du Sénégal (Rcfs). Vers la fin de l’année 1958, Abdoul Aziz Wane devient Directeur de l’Industrie et de l’artisanat. Il décède le 1er mai 1963 dans un tragique accident de la circulation, à la sortie de Dagana, à 36 ans. Dans un hommage qui lui avait été rendu, le Président Senghor écrivait que «le Sénégal venait de perdre un de ses plus grands serviteurs». Un bel hommage à Abdoul Aziz Wane dans le second roman de Cheikh Hamidou Kane «Les gardiens du temple», Wane y apparaît sous le nom «Abdourahim Ly». Il écrit : «Après avoir défrayé la chronique du lycée Gallieni en s’adjugeant tous les premiers prix, classe après classe, et les baccalauréats avec la mention ‘’Très Bien’’, il avait été envoyé à Paris, au lycée Saint- Louis. Un matin, alors qu’il se rendait de Tamarine au pays des Diallobé où il passait la fête de Tabaski comme chaque année avec ses parents, sa voiture avait fait un tonneau sur la ‘’piste de latérite et lui avait brisé la nuque’’».
Sa passion profonde et son amour pour sa terre natale
Un hommage lui sera rendu dans la revue Arts et manufactures, 1964, mai, Vol 142, p.26 en ces termes : «Héritier des apports d’une double civilisation, il devait à la tradition orale autant qu’au savoir livresque. L’assurance où s’entremêlaient le raisonnement ordonné et méthodique de l’ingénieur qualifié et l’intuitive préhension des choses et des êtres que possèdent parfois ceux qui ont vécu en toute sérénité, loin des foules et des charges quotidiennes, était un de ses atouts maîtres qui conduisait inévitablement son interlocuteur à comprendre aisément sa passion profonde et son amour pour sa terre natale. Sorti de l’Ecole Centrale en 1954 après de brillantes études secondaires (baccalauréat mention « très bien ») effectuées à Dakar, Wane avait pris tout de suite une part importante dans la vie économique et politique de son Pays. Dès son retour sur le sol africain, sans prendre le recul que certains s’imposent dans l’action, mais sans doute poussé par la pression des données locales et le désir d’appliquer et réaliser vite l’essentiel de sa mission technique et sociale, Wane avait créé et dirigé la Société africaine pour le développement des industries alimentaires (Sadia). Poursuivant son ascension, il fut ensuite Chargé de mission à la Caisse Centrale de la France d’Outre-Mer, Attaché au Groupe des Régies ferroviaires d’Outre-Mer, enfin, nommé Chef de Cabinet du Président du Conseil Dia.
Bocar Dia, son neveu : Wane, chef de cabinet de Mamadou Dia
Son neveu Bocar Dia, ancien maitre-assistant, à l’Université de Montréal, confie au téléphone : «C’est l’élégance dans la sobriété. Qui dit Abdoul Aziz Wane, dit ordre, méthode, sérénité. C’était un génie. Il avait un handicap. C’était le plus jeune parmi les Africains mais aussi le plus brillant. Si Mamadou Dia a eu une aura, c’est parce qu’il a accepté d’être son chef de cabinet. Lorsqu’il est sorti en 1955, on lui a offert un poste pour monter une usine de chaine de montage à Kano, au Nigeria. On n’est venus le chercher. Il est parti à Kaedi pour voir sa mère Youhanidou Diallo. Il était pétri de traditions mais pas conservateur. Il est de ce que les économistes appellent ‘’la race des bâtisseurs’’. Il cherchait toujours à émettre et diffuser des idées novatrices pour leur applicabilité. On peut écrire une encyclopédie sur lui. Il est mort au mois de mai en 1963. Le journal Paris-Dakar lui avait réservé un témoignage. Il avait réussi au moins cinq concours. Mais, il a choisi Central pour sortir ingénieur des arts et manufactures, l’une des branches les plus difficiles.»
Wane et le PRA-Sénégal
A sa suite Elhadji Boubou Sanghott dit de Abdoul Aziz Wane ceci : «Le 13 juillet 1957, il a travaillé avec Mamadou Dia comme chef de cabinet, il a été conseiller technique du directeur général des chemins de fer du Sénégal. Il sera ensuite directeur de l’industrie et de l’artisanat du Sénégal.» Au plan politique, Abdoul Aziz Wane fait partie des créateurs du PRA-Sénégal, porté sur les fonts baptismaux le 20 septembre 1958 par Abdoulaye Ly, Latyr Camara, Abdoulaye Guèye «Cabri», Assane Seck, Thierno Ba, AmadouMakhtar Mbow, Aly Bocar Kane, Fadilou Diop, Serge Benoit. Ils se séparent ainsi de l’Union progressiste sénégalaise (Ups) de Léopold Sédar Senghor, Lamine Coura Guèye et Mamadou Dia. En le choisissant comme parrain du Lycée scientifique d’excellence de Diourbel (Lsed), le Président Macky immortalise une référence.
Par Malick SY, Bés Bi le Jour