“La grande menace, c’est la colonisation par l’IA.” Tel est l’avertissement lancé par le professeur sénégalais Seydina Ndiaye, l’un des 38 experts sélectionnés par l’ONU pour intégrer un groupe de réflexion sur l’intelligence artificielle. Cette alerte prend une dimension particulièrement sérieuse à la lumière des événements actuels au Sénégal avec la France.
Notre pays se trouve potentiellement face à une nouvelle forme de colonisation dans le cadre du développement de l’intelligence artificielle (IA), une technologie cruciale pour notre transformation en une puissance significative.
Depuis quelques mois, la France a lancé une stratégie de financement ciblant tous les projets liés au développement de l’IA et des données au Sénégal. Cette collaboration, bien qu’ancienne, a récemment été renforcée par le soutien à l’organisation du Salon International des Algorithmes, des Sciences-Technologies et de l’Innovation au Sénégal (SALTIS) en décembre 2022 et novembre 2023, un événement dédié à l’IA. Par la suite, en collaboration avec le ministère des télécommunications, la France a contribué à l’élaboration de la stratégie nationale sénégalaise sur l’IA et de sa feuille de route.
Le gouvernement français a récemment annoncé un programme substantiel de 655 millions de FCFA, nommé “SEN HUB IA”, pour promouvoir le développement de l’IA. Avant cette initiative, le Ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, par l’intermédiaire de l’Ambassade de France, avait déjà lancé quatre projets majeurs, qui pourraient être interprétés comme une forme de colonisation numérique du Sénégal dans le domaine de l’IA : “Lions Tech Invest”, en partenariat avec la DER/FJ ; “Sen Spatial”, avec Sénégal Numérique S.A et le Ministère de l’Économie numérique ; “Go Taouey – Supercalculateur”, avec le Ministère de l’Enseignement supérieur ; et “Game Hub Sénégal – Studio Kayfo et Masseka”. Ces projets s’ajoutent aux critiques précédemment émises concernant le projet de digitalisation des états civils confié à l’Union européenne, suscitant des inquiétudes quant à la souveraineté future du Sénégal.
Certains acteurs du secteur voient dans ce programme une colonisation numérique, surtout que la France ne démontre pas encore l’expertise d’autres nations dans ce domaine. L’IA est un domaine plein d’opportunités, particulièrement pour les pays africains qui ne devraient pas manquer cette révolution technologique comme cela a été le cas avec le numérique. L’État sénégalais devrait, par conséquent, reconsidérer et renégocier les termes de ces partenariats, s’appuyant sur des experts en IA pour guider et améliorer la stratégie nationale déjà en place. Sinon, la France, avidement à la recherche de données, pourrait aisément avancer ses projets sous couvert de financements.
L’IA représente une formidable opportunité de création d’emplois dans les domaines de la santé, de l’éducation et dans tous les secteurs économiques. Le Sénégal devrait saisir cette chance car, selon certaines études et statistiques, l’IA pourrait générer plus de 230 millions d’emplois pour les jeunes d’ici 2030, dans un continent qui compte 1,4 milliard de personnes de moins de 30 ans en Afrique subsaharienne
Par Bassirou Niang
Expert en télécoms et consultant