Tribune– Baisser de rideaux d’une présidentielle riche en rebondissement, et qui aura tenu en haleine tout un peuple et au-delà des frontières sénégalaises. Bassirou Diomaye Faye présidera aux destinées du Sénégal pour les cinq prochaines années. Une surprise de taille, sachant qu’il a été élargi de prison moins de deux semaines avant l’élection du 24 mars 2024.
Qui dit élection, dit communication sur les plateformes numériques. Bilan de la communication digitale d’une élection pas comme les autres.
Mais avant de poser un regard sur la communication numérique politique déclinée durant la campagne électorale, attardons-nous sur l’impact des réseaux sociaux en matière de communication politique.
Une communication politique plus centrée sur la spontanéité et la personnalisation
L’élection présidentielle américaine de 1960, opposant Richard Nixon à John F. Kennedy marque un tournant décisif pour la communication politique. Cette joute électorale est synonyme de nouveauté. En effet, elle sanctionne pour la première fois l’insertion de la télévision en période d’élection, symbolisé par le premier débat télévisé de l’histoire de la politique américaine. Le candidat démocrate en l’occurrence Kennedy, clairement plus à l’aise que le candidat républicain, prend vite ses marques, ouvrant ainsi l’ère de la « séduction cathodique ». D’ailleurs, ce débat sera décisif dans la victoire du camp démocrate. Ainsi, face à l’outil télévisuel, les hommes politiques commencent à ciseler leur image pour paraitre plus télégénique.
Début des années 2000, un nouveau tournant redessine les modalités de la communication politique avec l’émergence des nouveaux médias avec Facebook comme tête de gondole, suivi de X (anciennement Twitter), Instagram, etc. Toutefois. Ces plateformes numériques ont insufflé à la communication politique un aggiornamento, une démocratisation de la prise de parole. Désormais on passe de l’ère du « One to many » (l’homme politique s’adressant au public) à celle du « One to One » où n’importe quel citoyen peut prendre la parole grâce au digital. Dorénavant, la prise de parole publique n’est plus réservée à l’homme politique.
Les codes préconisés par la télévision ne se diluent pas avec ceux des réseaux sociaux. Pourquoi ? Pour l’homme politique, apparaitre dans le grand écran, appelle à une communication formelle, léchée, et surtout très encadrée par le biais de l’exercice du média training. A l’inverse. Un vent disruptif souffle du côté des réseaux sociaux. Sur ces plateformes, pas de place à l’artificiel, les vieilles ficelles de la « com’pol » sont honnies. Les internautes veulent du spontané, de l’émotion, de l’authenticité, de l’affectivité, de la personnalisation. Après la « séduction cathodique », voici venu le temps de la « séduction numérique ». La télé c’est la verticalité, les réseaux sociaux, l’horizontalité.
Parmi les références de la communication numérique politique, on peut citer Alexandria Occasio-Cortez (AOC), représentante au Congrès américain. Celle-ci a construit son pathos par l’entremise d’une communication digitale ultra efficace et Gabriel Attal, l’actuel Premier ministre français. Ils ont parfaitement intégré l’essence des réseaux sociaux, et s’en servent pour véhiculer leurs idées et se construire une image axée sur la proximité. Ils mettent en récit leurs parcours politiques, n’hésitent pas à parler de choses personnelles afin d’humaniser leur communication.
Après ce survol de l’impact des réseaux sociaux sur la communication politique, penchons-nous maintenant sur l’usage du numérique par les candidats au fauteuil présidentiel.
Anta Babacar Ngom, palme d’or de la communication digitale (mais peut encore mieux faire)
Pour sa première expérience électorale, Mme Ngom n’a pas démérité. Au contraire. Elle est la révélation de ce scrutin. Elle a passé haut la main le filtre des parrainages. Seule femme présente dans les « starting block », elle trahissait la très forte coloration masculine de la cohorte de candidats.
Son positionnement était le suivant : éradiquer la politique politicienne en réenchantant la volonté citoyenne. La rupture en somme. Renforcer son positionnement invitait à la cohérence tant au niveau politique, mais aussi communicationnel. Pour ce dernier aspect, nous lui tirons le chapeau. D’abord, sa communication numérique s’est illustrée par un respect scrupuleux de la charte graphique à travers les visuels, les vidéos. Elle a compris l’importance de la vidéo « face cam » dans la stratégie social média. Sauf erreur de ma part, elle est la seule candidate ayant recouru à ce type de vidéo.
Si l’idée des vidéos « face cam » est à saluer, elles sont aussi une faiblesse, au niveau de la forme. Rappelez-vous, plus haut, nous indiquions que les réseaux sociaux encourageaient une communication informelle, plus authentique. Les images des « face cam » de Mme Ngom étaient léchées, ultra soignées, il y’avait quelqu’un derrière la caméra. Si elle compte poursuivre l’avenir politique, je lui prodiguerai les conseils suivants : élaborer une communication numérique beaucoup plus intime, plus interactive. Ses « face cam », elle doit les faire seule en privilégiant les vidéos à la verticale, filmées à l’iPhone et sans filtre, en adoptant un ton plus informel, plus personnel. Ces vidéos doivent être naturelles, sachez-le, ce sont leurs imperfections et leur authenticité qui trouvent un écho au sein de la communauté en ligne. Ensuite, pourquoi pas faire un « Q and A » (Questions-Réponses) sur Instagram, Facebook pour revenir sur sa première expérience politique (les hauts et les bas). Maintenir le lien avec sa communauté passera par une communication type « Build in public ».
Boubacar Camara s’appuie sur l’influence pour amplifier son message
C’est un constat frappant. Les hommes et femmes politique sénégalais, ne font quasiment pas appel aux influenceurs pour donner plus d’écho à leurs messages. Dans une époque où la parole politique ne raisonne plus comme auparavant, où les gens submergeaient par les tracas du quotidien, deviennent de plus en plus indifférents à la chose publique, recourir aux influenceurs peut avoir des vertus positives.
Du fait d’une audience assez limitée en général sur les réseaux sociaux, les acteurs politiques doivent trouver des moyens pour élargir leur communauté. Parmi les solutions disponibles, nous avons les influenceurs. Ce qu’a parfaitement compris, le candidat Boubacar Camara. En effet, il était invité sur la chaine YouTube de l’influenceur « Macdi », qui culmine à plus de 800 000 abonnées. Profitant de cette audience considérable, il a décliné son programme, sa vision. Bien trouvé.
Le gouvernement français a régulièrement recours aux influenceurs pour faire passer des messages à une cible, hors de portée des canaux traditionnels de l’information. Durant la présidentielle de 2022, la quasi-totalité des candidats (Macron y compris) se sont faits « interviewés » par le « youtubeur » Hugo Travers plus connu sous le surnom « HugoDécrypte ». Sa chaine YouTube avoisine les 2,5 millions d’abonnés. Ce média est à destination des jeunes, et souhaite donner un caractère journalistique à l’actualité à travers de courtes vidéos (snack content).
Attention. La collaboration avec un influenceur relève d’une réflexion bien mûrie. Au risque de nuire à la crédibilité de l’acteur politique, il est recommandé de s’attarder sur les points suivants :
- Quelle est sa ligne éditoriale, ses thématiques
- Son audience (âge, sociologie, etc.)
- Sur quelle plateforme évolue-t-il (Instagram, Twitch, YouTube, Facebook, etc.) ? Afin d’en appréhender les codes.
L’efficacité redoutable de « l’armée numérique » de PASTEF
En même temps qu’il investissait le champ politique, PASTEF opérait avec dextérité un maillage de la toile. Facebook, X (anciennement Twitter), Instagram, YouTube, partout où il est question de défendre la fibre « patriote », vous pouvez compter sur eux. La bataille numérique, ça fait belles lurettes qu’ils l’ont remporté. La toile, ils s’en servent aussi pour organiser des levées de fonds, pour faire montrer un hastag (trending) comme #FreeSenegal, pour diffuser les idées de leur leader et, organiser des opérations de terrain. En termes de militantisme 3.0, difficile de faire mieux. « Un candidat ne peut pas gagner en misant seulement sur le web, mais il ne peut pas être élu s’il ne gagne pas la bataille de l’internet. », selon Nicolas Baygert, Docteur en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris-Sorbonne (CELSA).
Dans réseau social, il y a « social »
Une photographie de la quasi majorité des plateformes numériques des candidats démontre une chose. Leurs réseaux sociaux ressemblent plus à des journaux de bord voir à des agendas. Les contenus publiés n’incitent à aucune interaction. C’est simple. Ils y publient leur passage dans les médias, des images de leur caravane, meetings. Avec ce modèle de publication, leurs plateformes ne différent guère des médias traditionnels où l’information est à sens unique. Investir les réseaux sociaux relève d’une volonté d’interaction avec son audience, et non pas d’y être parce que c’est tendance.
Ces contenus sont unidirectionnels sont contraire à l’esprit des réseaux sociaux, qui prône une communication qui se veut bidirectionnelle, qui facilité l’interaction. Proposer des contenus interactifs comme les Live Instagram ou Facebook (Sonko le fait très bien), des séances questions-réponses, et votre audience vous en remerciera. Avec Internet, l’ère du citoyen passif est révolue, désormais il faudra compter sur un citoyen engagé, partie prenante de la vie publique, et n’hésitant pas à donner son avis derrière son clavier. Ce citoyen-consommateur est plus que jamais à la recherche de lien émotionnel.
Les acteurs politique (candidats y compris) ont ce réflexe : publier des visuels pour annoncer leur passage dans les médias. Désolé mais ceci n’est pas un message. A moins que le spectateur soit un militant chevronné ou un passionné de politique, ça m’étonnerait qu’il regarde la totalité de l’émission, peut-être juste jeter un coup d’œil. A la place de ces visuels, vous pourriez faire un tweet (pour les politiques doués à l’écrit) ou une courte vidéo (pour ceux à l’aise devant l’objectif) sur le message que vous allez délivrer, et ce de façon originale.
Pour finir
Dans l’ensemble, les réseaux sociaux des candidats s’inscrivaient dans le même registre. Des photos parfaitement soignées par-là, des vidéos de caravane par-ci. En somme. Rien d’assez originale, à part les éclaircies de Mme Ngom. Leurs contenus étaient purement informationnels, et non conversationnels.
Maintenant que la présidentielle fait partie du passé, il est fort probable que la majorité d’entre eux, déserte le terrain numérique. Si certains d’entre eux croient toujours en leur avenir politique, je leur recommande d’être régulier et d’essayer de maintenir le lien avec leur communauté.
Avec la postmodernité, fini les discours doctrinaux de parti. Aujourd’hui, ce sont les discours personnels qui trouvent une caisse de résonnance. Les réseaux sociaux ont démystifié la politique. L’acteur politique est devenu une marque, d’où le néologisme « citoyen consommateur ». Pour gagner des voix, il doit construire un récit (storytelling), se « brander » (branding). La personnification, l’émotion, l’affectivité ont pris le pas sur le message.
Par Amadou Dia