mardi, juillet 16, 2024

En matière de souveraineté, le Sénégal ne peut pas faire l’économie d’une protection des industries naissantes.

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Le président de la République a lors du dernier Conseil des ministres, demandé l’évaluation de la stratégie d’industrialisation. Selon vous, quels sont les problèmes de l’industrie au Sénégal ?

Je me réjouis de cette décision qui est en parfaite adéquation avec le pari du gouvernement de promouvoir la souveraineté économique aux plans alimentaire et pharmaceutique. Dans le secteur industriel particulièrement, il est crucial de retenir les leçons apprises pour bâtir une nouvelle offre.

S’agissant des problèmes que vous soulevez, les analyses qui se sont succédé depuis plus de 50 ans laissent apparaître des difficultés d’accès au financement, à l’énergie et même au capital humain dans certains segments sans oublier l’accès au foncier qui constitue le principal obstacle à l’investissement de manière générale. J’ajoute que quand dans un pays, il subsiste des contraintes de financement de l’économie, c’est généralement le secteur industriel qui en souffre le plus, compte tenu de son intensité en capital réputée plus grande. En particulier l’industrialisation du Sénégal se ressent du prix élevé du kilowatt heure à 0,153 dollar contre une moyenne mondiale de 0,139 dollar.

Mais de mon point de vue, ces écueils ne doivent pas occulter les contraintes de politique économique. En effet, le Sénégal qui est un des pays africains les plus engagés dans la libéralisation de son secteur productif, semble avoir du mal à instaurer un protectionnisme réellement opératoire, suivant le modèle historique des pays industrialisés. C’est une règle immuable de l’industrialisation : les jeunes industries livrées à la concurrence des multinationales ont une probabilité de durée très faible.

Suivant cette logique, des pans entiers de notre industrie ont été démantelés avec l’ouverture commerciale qui a permis l’entrée dans nos marchés de produits importés plus compétitifs, même si des problèmes de gouvernance n’ont pas manqué. Les faillites de la SOTIBA, de la SEIB, de la SOTEXKA et de la SIV sont les cas les plus emblématiques de cet état de fait. Du reste, la Direction des PME nous indiquait dans une étude récente que près 65% des entreprises font faillite au Sénégal avant la fin de l’année de leur création.

L’appétence des commerçants sénégalais pour l’importation de produits substituables par l’offre domestique est problématique de ce point de vue. Pour toutes ces raisons, le Sénégal ne peut pas, dans le cadre de sa quête de souveraineté économique, faire l’économie de la protection des industries naissantes. Cette exigence est renforcée par le fait que la protection constitue un facteur essentiel

d’attractivité de l’investissement privé. De plus, sous les éclairages de l’économiste allemand LIST théoricien du protectionnisme éducateur, les pays industrialisés ont mis cette pratique au cœur de leur politique économique au 19ème siècle.

2) Est ce qu’on ne pêche pas par manque de soutien à nos champions ?

Il y’a un secteur industriel qui tire son épingle du jeu par son inventivité, son sens de l’innovation ainsi que la faible concurrence dans sa branche d’activité. Pour les autres, les attentes légitimes vis-à-vis de l’Etat, c’est la protection au sens du « protectionnisme éducateur» née en Allemagne, qui a été mise en œuvre dans les pays riches membres du G7.
L’autre modalité de soutien c’est une politique vertueuse portée par des réformes de l’environnement des affaires incluant l’accès au foncier, une fiscalité rationalisée et une meilleure efficacité dans le dispositif d’appui au secteur privé. Il reste entendu que tous ces facteurs doivent s’accompagner de la compétitivité notamment par des infrastructures de qualité ainsi qu’une culture de norme et de qualité.

3) Que doit on faire concrètement pour booster le secteur ? Est ce qu’il n’y a pas de problème de marketing ?

Dans sa conception, le volet industriel du PSE réaffirmé dans le PAP II A, ouvre des perspectives prometteuses à travers le programme de déploiement de plateformes industrielles, les Agropoles, le pôle Pharmapolis pour l’industrie du médicament et le hub minier régional. Si les Agropoles peuvent être un puissant vecteur d’industrialisation et d’autosuffisance alimentaire, ils constituent une réponse structurelle à long terme et ne pourront pas juguler les tensions liées à la conjoncture difficile que nous vivons.
Le Sénégal dispose déjà de trois plateformes industrielles sous le régime de zone économique spéciale, traduisant une réelle avancée. Au demeurant,
il serait vain de bâtir un appareil industriel par la seule industrie. Toute ambition d’industrialisation inclut des aspects commerciaux, de capital humain et la disponibilité les matières premières (produits agricoles, de la pêche et des mines). À cet égard, nous disposons de quasiment toutes les ressources minérales pour bâtir une industrie sur l’écosystème de la construction afin de diminuer drastiquement les importations. L’énergie électrique étant un déterminant important de l’investissement industriel au Sénégal, il serait utile d’aligner l’exploitation future de nos hydrocarbures sur l’exigence d’industrialisation en offrant une carte énergétique sur l’ensemble du territoire. Outre les effets positifs en matière d’attractivité industrielle, cela permettrait de créer de la valeur ajoutée et d’éviter l’exportation des produits bruts, qui correspond à des renoncements à l’emploi.
Pour le financement de l’industrie, le secteur privé a déjà formulé des offres de projets dont la réalisation est tributaire des réformes requises particulièrement dans la branche pharmaceutique qui est encore régie par des textes surannés.