Ce n’est pas de la cocaïne, mais le parifoot est bien une drogue. Il a, en un rien de temps, enrôler énormément de jeunes sénégalais qui ne semblent plus pouvoir s’en départir, hélas ! Dans un contexte social difficile, le phénomène prend l’ampleur et mène à une sorte de déperdition qui ne dit pas nom. Xalima est allé fouiller dans l’univers de ces accros au tout nouveau jeu…populaire.
Il est dix heures passées au quartier de Dalifort. Le marché, situé non loin du Croisement Cambérène, renoue petit à petit avec son ambiance habituelle. Entre étals à même la route, des camions stationnés un peu n’importe comment, les clients sont obligés de redoubler de vigilance pour se frayer un passage. Non loin de l’allée principale, un grand magasin. Il grouille de monde en cette matinée de samedi. Ici, la plupart des occupants sont des jeunes.
Chacun a les yeux, soit rivés sur son téléphone ou sur le guichet. Le décor est le même un peu partout dans plusieurs endroits de Dakar.
Le parifoot est devenu une partie intégrante du quotidien de plusieurs Dakarois. Et la plupart préfèrent le pari en ligne. « C’est plus discret et plus pratique », reconnaît Younouss. Étudiant en télécommunications, il n’a jamais été passionné de football. Mais sur son téléphone, curieusement, une application, montrant les résultats de tous les championnats, est bien visible sur la page d’accueil.
« Je ne suis pas un grand joueur. Ma plus grosse mise était de 5000 FCFA », dit-il, tout sourire. Il faut dire que, comme Younouss, plusieurs jeunes sont devenus accrocs au parifoot.
Madani est élève en classe de terminale dans un lycée privé de la banlieue. Sa mésaventure avec ses frais de scolarité lui a causé plusieurs nuits blanches, mais hors de question de laisser tomber. « J’ai dépassé l’événement qui devait me faire abandonner le parifoot », dit-il, sur un ton étonnement sérieux. Avant de narrer sa mésaventure.
Un jour, raconte-t-il, son père a perçu son salaire plus tôt que d’habitude. Il lui remet des frais de scolarité. Madani hésite à aller payer dès le lendemain. C’était un jeudi. Il décide d’attendre la semaine suivante. Le week-end qui suivra lui sera fatal. Il décide de prendre une partie de sa scolarité pour jouer au parifoot. Le témoignage qui suit en dit beaucoup sur l’addiction.
« Au début, je me disais qu’avec 5 mille francs, je ne pouvais pas ne pas gagner. Mais j’ai fini par dépenser l’intégralité », dit-il. Il ne le cache pas : le parifoot est devenu une drogue. « Je ne m’imagine pas arrêter », dit-il.
M. Manga, ancien policier à la retraite dit être amer quand il voit comment les jeunes sont devenus accrocs. Il estime que la responsabilité est partagée. D’un côté, dit-il, les parents n’ont pas éduqué leurs enfants de sorte qu’ils se désintéressent de l’argent facile. D’un autre, les pouvoirs publics ont failli, à son avis. « Il est écrit partout interdit au moins de 18 ans dans les magasins de parifoot mais on sait tous que ce n’est pas respecté. Le pire est le fait de l’avoir ouvert en ligne », dénonce-t-il.
M. Manga est catégorique, c’est comme si les autorités avaient décidé de baisser les bras. Selon lui, il est incompréhensible que les cantines laissent le phénomène perdurer. « Il y a des kiosques devant ou non loin des écoles. Vous pensez que ça laisse les enfants indifférents. C’est un grand facteur d’influence. Et puis est ce que vous avez une fois entendu qu’un parieur de 18 ans a été arrêté pour une affaire d’âge autorisé ? Il n’y a plus de contrôle », poursuit-il.
Tous accros
Chez Diwaan J, Mame Mor vend du café Touba. Sa place ne désemplit presque jamais. Mais le constat qu’il vient de faire c’est que la plupart d’entre eux, après leur café, restent longtemps scotchés à leur téléphone. « C’est par la suite que j’ai découvert qu’ils jouaient au parifoot. Il y’en a qui passent presque toute la matinée. Les gens sont de plus en plus obnubilés par le gain facile », témoigne le vendeur de café.
Mamoudou, pour sa part, ne s’en cache pas. Selon ce livreur établi à Seras, c’est devenu une drogue. Le café du matin est toujours accompagné d’un coup d’œil sur les matchs du jour. « La première course de la journée sert à miser. C’est systématique. Il m’est arrivé de miser toute ma recette journalière et de ne rien gagner. Tout comme il m’est arrivé de gagner beaucoup avec un seul ticket », dit-il, comme s’il s’agissait d’une chose ordinaire. Et pourtant, il dit ne rien connaître au football. « Mais je connais des connaisseurs qui m’aident sur les pronostics », ironise-t-il.
Quand les médias font la promotion
Il y a quelques mois, un grand combat de lutte a failli être diffusé par Pay Per View. Mais à quelques jours de l’événement, une grosse entreprise de pari sportif décide « d’acheter » les droits de retransmission pour les offrir aux Sénégalais. Un fait inédit. Alors que la publicité, sans doute conformément aux règlements, indique que le jeu est interdit aux jeunes de moins de 18 ans. Les images de l’entreprise font le tour des plateaux.
« Les médias sont les premiers responsables de la déperdition des jeunes. Dans nos sociétés, ce qui passe couramment à la télévision est très souvent perçu comme quelque chose qui est bon et normal. Alors plusieurs jeunes commencent à penser que ce n’est pas grave », explique M. Dieng, sociologue.
Aujourd’hui, seul un message en très petit caractère et en bas de page rappelle que le jeu est interdit aux moins de 18 ans. « Ce qui est plus problématique, c’est que ce n’est plus une affaire de jeunes. De plus en plus, des personnes de tout âge sont enrôlées. C’est une drogue et on a le sentiment que les pouvoirs publics sont consentants », a indiqué le sociologue.
Soure -XALIMANEWS