jeudi, novembre 7, 2024

Utiliser les données pour orienter les politiques d’aide aux personnes déplacées internes…

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Après des décennies de division et de conflits, la République centrafricaine (RCA) se trouve confrontée à de graves défis de développement ainsi qu’à une pauvreté chronique au sein de sa population. Près de 7 habitants sur 10 y vivent avec moins de 2,15 dollars par jour, et plus de la moitié des Centrafricains n’ont pas les moyens de se nourrir convenablement, même en consacrant l’intégralité du budget de leur ménage à l’alimentation.

Les politiques de développement doivent venir en aide aux populations les plus vulnérables, particulièrement celles déplacées de force par les conflits.  En 2012, le déclenchement du conflit a entraîné le déplacement de près d’un million de Centrafricains à l’intérieur du pays. Malgré une certaine stabilisation de la situation sécuritaire depuis lors, des violences sporadiques amènent encore les habitants de certaines parties du pays à fuir. On compte aujourd’hui environ 500 000 personnes déplacées à l’intérieur de leur pays (PDI) en République centrafricaine – soit plus de 8 % de la population. Parmi ces personnes déplacées, environ 3 sur 10 vivent dans des camps officiels conçus pour les accueillir.

Figure 1. Conflits et déplacement en République centrafricaine, 2009-2022

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Figure 1. Conflits et déplacement en République centrafricaine, 2009-2022

Note : Dans le graphique A, la courbe bleue « Tous les événements » comprend les batailles, les explosions/la violence à distance, les manifestations, les émeutes, les développements stratégiques et la violence contre les civils. Le graphique comptabilise le nombre d’événements de ce type qui ont eu lieu au cours d’un mois donné. Les « décès » (courbe orange) représentent le nombre total de décès enregistrés au cours de ce mois. Source : Projet sur la collecte et l’analyse de données relatives à la localisation et aux faits de conflits armés (ACLED) et estimations de la Banque mondiale pour le graphique A. Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC) et estimations de la Banque mondiale pour le graphique B.

Les politiques permettant d’atténuer les difficultés auxquelles les différents types de PDI peuvent être confrontées jouent donc un rôle essentiel. Cependant, la collecte de données fiables relatives aux PDI pour guider de telles politiques est difficile. Par définition, les populations déplacées sont en mouvement, il est donc nécessaire de disposer de méthodes innovantes pour établir des échantillons, ainsi que des questionnaires adaptés afin de recueillir pleinement la diversité de leurs expériences.

En RCA, l’Institut centrafricain des Statistiques et des Études économiques et sociales (ICASEES) a massivement investi dans la collecte de microdonnées nécessaires à l’évaluation de la pauvreté et des conditions de vie, notamment pour l’importante population déplacée à l’intérieur du pays. En 2021, l’ICASSES a mis en œuvre l’Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (EHCVM), avec l’appui de la Banque mondiale et de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Cette opération est emblématique de la collaboration croissante entre la Banque mondiale et l’UNHCR, développée à travers le centre commun de données sur les déplacements forcés, afin de répondre au besoin mondial urgent en matière de données sur les déplacements (a).

Grâce à des méthodes innovantes, l’édition 2021 de l’EHCVM intègre explicitement les PDI vivant dans les camps officiels à l’échantillon global. L’enquête comprenait également un questionnaire spécialisé – suivant les recommandations du groupe d’experts sur les statistiques relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées internes (EGRIS) – afin d’identifier également les PDI vivant en dehors des camps officiels.

S’appuyant sur cet effort sans précédent de collecte de données, l’édition 2023 de l’évaluation de la pauvreté en RCA offre des perspectives importantes sur les défis spécifiques auxquels sont confrontés les différents types de PDI.

Dans l’ensemble, le taux de pauvreté au seuil national pour les Centrafricains déplacés vivant dans les camps est de 76,3 % ; un taux significativement plus élevé que celui des ménages non PDI (68,6 %) ainsi que pour les PDI vivant en dehors des camps (68 %)  – c’est-à-dire, les ménages vivant en dehors des camps où résident les PDI. Ainsi, si les personnes vivant dans les camps sont clairement défavorisées, l’expérience des PDI n’est pas uniforme. Des tendances similaires se retrouvent pour la part de la population en situation de pauvreté alimentaire – qui regroupe les personnes vivant dans des ménages dont le budget n’offre pas assez de calories même s’il est dédié en intégralité à l’alimentation.

Figure 2. Taux de pauvreté en RCA par statut de déplacement des ménages

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Figure 2. Poverty in the Central African Republic split by household displacement status

Note : La consommation est déflatée dans le temps et dans l’espace de manière à pouvoir être comparée aux seuils de pauvreté nationaux. Le seuil de pauvreté global est de 263 485 francs CFA par personne et par an. Le seuil de pauvreté alimentaire est de 197 990 francs CFA par personne et par an. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale

La situation apparaît différente pour la pauvreté non monétaire (a). À l’image des conclusions sur la pauvreté monétaire, la part de la population défavorisée en ce qui concerne la scolarisation, le niveau d’instruction et l’accès à l’électricité est plus élevée pour les personnes vivant dans les camps. Cependant, l’inverse est vrai pour l’eau et l’assainissement – les personnes vivant dans les camps ont un meilleur accès à ces services que les ménages non PDI et PDI vivant en dehors des camps.

Figure 3. Indicateurs de pauvreté non monétaire en République centrafricaine, par statut de déplacement

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Figure 3. Indicators of non-monetary poverty in the Central African Republic by household displacement status

Note : Pauvreté monétaire calculée en comparant l’agrégat de consommation déflaté dans le temps et dans l’espace avec le seuil de pauvreté national de 263 485 francs CFA par personne et par an. Les privations liées à la pauvreté non monétaire suivent les définitions du rapport 2022 de la Banque mondiale sur la pauvreté et la prospérité partagée. Source : EHCVM 2021 et estimations de la Banque mondiale

Les ménages vivant dans des camps sont également bien plus susceptibles de recevoir certains services de protection sociale, notamment une assistance alimentaire et des soins pour les enfants en bas âge et les femmes enceintes. Si la vie dans les camps est généralement associée à une plus forte incidence de la pauvreté et de moins bons résultats en matière de capital humain, certains services y sont cependant plus facilement accessibles et fournis directement dans ce cadre.

Si les PDI vivant dans les camps peuvent avoir accès à certains services, pourquoi leur pauvreté monétaire ressort-elle plus importante ?

D’une part, les PDI dans les camps ont connu une plus importante exposition non seulement aux chocs liés au conflit mais aussi aux chocs des prix et aux chocs climatiques – cela pourrait faire partie des raisons qui les ont amenés à se déplacer. Quelque 94,5 % des Centrafricains vivant dans des camps ont déclaré avoir été affectés par un choc au cours des trois années précédant l’enquête. Ces chocs entrainent des stratégies négatives d’adaptation, notamment la réduction de la consommation alimentaire, tandis que le fait d’être contraint au déplacement entraine la perte d’actifs (a) des PDI.

Pourtant, même après leur déplacement, les PDI vivant dans les camps disposent d’opportunité de moyens de subsistance bien inférieures à celles des personnes non PDI ainsi que des PDI vivant en dehors des camps. Les Centrafricains vivant dans des camps sont moins susceptibles de travailler et ceux qui travaillent sont moins susceptibles d’exercer une activité dans le secteur agricole, principal secteur d’emploi du pays. Ainsi, il apparaît prioritaire de trouver des moyens de s’attaquer aux contraintes disproportionnées sur les intrants et les actifs nécessaires à la subsistance des populations déplacées vivant dans des camps.

L’édition 2021 de l’EHCVM et de l’évaluation de la pauvreté montrent le pouvoir de données fiables et à jour pour guider les politiques d’aide aux PDI. Reconnaissant que toutes les personnes déplacées internes ne sont pas confrontées aux mêmes défis, les mesures politiques doivent être adaptées en fonction de ces données.

De plus, ce plan peut aider à développer des systèmes durables afin d’assurer l’inclusion systématique des populations déplacées dans les futures collectes de données en RCA, ainsi que dans d’autres pays. Cet aspect s’avère particulièrement important étant donné les efforts croissants – notamment à travers la deuxième phase du projet ouest et centrafricain d’harmonisation et d’amélioration de la statistique – afin d’améliorer le paysage des données à travers la région Afrique de l’Ouest et du Centre. Mieux comprendre les défis spécifiques et les opportunités que rencontrent les PDI, permet de mieux adapter les politiques et de les rendre ainsi plus efficaces pour améliorer la vie des personnes déplacées internes et aider à les sortir de la pauvreté.

 

 

Source: worldbank

Par

HARRIET KASIDI MUGERA

GERVAIS CHAMBERLIN YAMA

JONATHAN LAIN