L’équipe de football anglaise avait son Calamity James, le célèbre gardien de but. La presse sénégalaise et le secteur des télécoms ont désormais leur calamity Moussa, le ministre de la censure.
Depuis son arrivée à la tête du département de la communication et de l’économie numérique, les Sénégalais ont découvert un personnage hors norme. Aujourd’hui encore, invité de Rfm Matin, le ministre pense que les vendeurs de poulets (Anta Babacar Ngom) et ceux qui s’identifient à l’école coranique (Serigne Mboup) n’ont pas droit de cité à une élection présidentielle.
En d’autres termes, quand vous êtes capitaines d’industrie (Sédima et Ccbm) avec des milliers d’emplois, vous ne méritez pas de diriger le pays. Mais quand vous êtes un bon parleur avec zéro emploi à votre actif ou un fonctionnaire milliardaire, vous avez le profil de l’emploi. Anta Babacar Ngom et Serigne Mboup n’ont qu’à aller s’occuper de leur poulet et du matériel électroménager, le pays doit être dirigé par des chercheurs d’emploi, selon M.Thiam.
Mais le plus grave chez lui n’est certainement pas ses appréciations sur le champ politique, mais plutôt sa gestion du département de la communication. A lui seul, Me Moussa Bocar Thiam fait mieux que tous les comités de censure mis en place par le régime de Senghor. Ses menaces contre la presse font que toutes les télévisions se sont pliées.
A l’heure des évènements importants, surtout des tensions politiques, les principales chaînes d’information diffusent de la musique, de la lutte, de la rediffusion de débat, alors que d’autres proposent des plateaux spéciaux, presque dépourvues d’images de ce qui se passe sur le terrain. Les télés sont devenues plus des radios que des supports audiovisuels.
Selon Moussa Bocar Thiam, lorsque la police nationale fait une communication pour donner une version officielle d’un fait, aucune télévision (Ici France 24) n’a le droit de diffuser des éléments qui prouvent que la police a raconté des contrevérités. Même si France 24 dispose d’éléments tangibles (les télés sénégalaises ont capitulé), la chaîne française doit se contenter de servir de caisse de résonance ou se taire, si on suit la logique du ministre de l’Incommunication du Sénégal,… pardon, de Monsieur le ministre de la Communication, son éminence Me Moussa Bocar Thiam.
Voilà le profit du ministre de tutelle des médias au Sénégal en 2023. Depuis qu’il est à la tête du département, l’avocat ne cesse de faire parler de lui. Le communiqué mettant en garde France 24 pour traitement ‘’tendancieux de l’information politique’’ sur le Sénégal a été son dernier coup d’éclat avant la nouvelle fermeture de walf. Le ministre reproche même à France 24 d’avoir donné la parole à l’opposant Ousmane Sonko au lendemain d’une adresse du président Macky Sall à la nation qu’il a jugée historique.
Là où son prédécesseur Abdoulaye Diop était effacé au point que des journalistes en arrivaient à ne pas se rappeler le nom du ministre de tutelle, Moussa Bocar Thiam, lui, se montre un peu trop agité. « C’est une calamité intellectuelle », regrette un confrère. Le plus inquiétant avec lui, c’est qu’il semble être une menace pour la liberté de la presse. C’est sous son magistère que le signal de Walf a été coupé pour un mois et que la décision ne soit notifiée à la direction du groupe qu’au bout d’une semaine.
Moussa Bocar Thiam s’arroge les pouvoirs du Cnra et se substitue à cet organe de régulation. Il est vrai que depuis l’avènement de la Tnt, couper le signal d’une télévision est devenu un jeu d’enfant au Sénégal : il suffit juste d’appuyer sur un bouton… et c’est le noir. L’actuel Directeur de l’Artp Abdou Karim Sall n’a pas eu besoin de se déplacer sous escorte au siège du groupe Walf (comme il l’avait fait avant) pour couper le signal de la télé de Sidy Lamine Niass.
A coup sûr, Me Moussa Bocar Thiam a marqué son passage à la tête du ministère, mais de bien triste manière. Pourtant, il ne manque pas d’idées généreuses et pertinentes pour la profession, notamment permettre au journaliste de vivre de son métier. Son combat, dit-il, est de mettre fin à la précarité des jeunes reporters, un sujet prioritaire dans les médias.
La carte de presse a également été appliquée sous son magistère. Il s’ ajoute que le ministre avait, dans une note rendue publique, invité les entreprises de presse à se faire enregistrer à la Direction de la communication du ministère avant le 31 janvier 2023. Elles devaient indiquer les noms des responsables et des collaborateurs, les adresses, les volumes de tirage… Un exercice qui devrait permettre de savoir qui fait quoi, un premier pas vers l’assainissement. Tout cela relève certes de bonnes intentions jusqu’ici, mais c’est moins que rien.
Parmi ses idées, la dissolution du Cored et la création d’une structure beaucoup plus puissante. La Haute autorité de régulation des communications audiovisuelles est morte avant d’être née !
En fait, le ministre semble parfois ne pas bien comprendre son rôle de ministre de la communication. Il est dans l’agitation permanente. Même dans ses interventions publiques, il a du mal à maîtriser sa gestuelle, le b-a-ba de la communication.
Ainsi, lorsque la presse sort un édito commun pour dénoncer la restriction des libertés, notamment la liberté de presse, il se sent dans l’obligation de sortir une déclaration écrite en guise de réplique. En fait, non seulement le ministre méconnait le fonctionnement de la presse, mais il lui manque parfois de la retenue. Quand Pape Alé Niang a été envoyé en prison, le ministre a été interpellé lors d’un passage à l’Assemblée nationale, alors que le dossier était en cours.
Là où d’autres ministres auraient été peu bavards sous prétexte que l’affaire est devant la justice, lui choisit de faire le procès à la place des magistrats. « On n’a même pas besoin d’un tribunal pour juger le cas de Pape Alé Niang. Tous les Sénégalais ont été témoins, depuis des années, de l’entendre dire ce qu’il veut (sic), en ternissant l’image du pays, l’image de nos forces de sécurité et de défense. Donc, il est le seul responsable de l’infraction qui lui a été imputée ».
Papa Alé Niang étant souvent présenté comme un journaliste d’investigation, Moussa Bocar Thiam en a une autre appréciation, assez étrange d’ailleurs. « Une investigation basée uniquement sur la critique. Une investigation qui influence les populations, une investigation qui nuit aux actions du pouvoir ce n’en est pas une. C’est plutôt de la manipulation », déclare le ministre.
Le mot est lâché ! Le chef de l’Etat serait certainement bien inspiré de faire de lui le ministre de la propagande. Il serait certainement l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Enfin ! Peut-être aussi que son vrai bilan viendra de l’autre côté du département ministériel, les télécommunications. Les acteurs de ce secteur ne manqueront pas un jour de livrer leur appréciation. La suspension des données mobiles en fera partie à coup sûr !
Par Mbaye Sadikh sur Seneweb.com