Carte électorale d’au moins 701 bureaux de vote fictifs, 1837 non localisables et 2102 abris provisoires: Au moins 2 262 462 électeurs impactés. 3550 bureaux de vote de moins de 300 électeurs dont 364 de moins de 100.
Introduction
La carte électorale n’a pas donc été publiée par le Ministre chargé des élections conformément aux dispositions de l’article L.66 qui dispose: «La liste des bureaux de vote sur l’ensemble du territoire national est définitivement arrêtée et publiée trente jours avant le scrutin par le Ministre chargé des élections sous la supervision et le contrôle de la C.E.N.A. Elle ne peut faire l’objet d’aucune modification.»
Le Ministre chargé des élections annonce plutôt une consultation par les plénipotentiaires désignés des candidats au niveau des préfectures. Et de fait la carte électorale n’est visible ni sur le site web de la DGE, ni celui de la CENA. Une partie de la presse publie aussi des informations selon lesquelles elle n’est pas encore disponible.
Il est donc à conclure que la carte électorale pour l’élection présidentielle de 2024 n’a pas été publiée. Une violation de la loi electorale mais aussi un manque de transparence qui suscitent légitimement des interrogations sur un document dont le contenu a un impact capital sur l’issue de l’élection présidentielle du 25 février 2024.
La carte électorale peut favoriser l’expression d’un résultat sur un autre en façonnant le nombre d’électeurs, les lieux de vote (LV), les bureaux de vote (BV) et leurs périmètres. Elle est le produit ou le résultat de la méthode employée et de la main qui coupe. Elle peut altérer le résultat d’une élection, sous l’effet de l’action de celui qui le réalise. Son processus d’élaboration, qui est le découpage ou redécoupage électoral, est souvent marqué par la tentation de l’exploiter à des fins partisanes. En effet, il peut camoufler une volonté politique partisane derrière sa réalisation.
La carte électorale est ainsi une arme électorale tributaire de la manière dont le découpage ou redécoupage électoral est encadré et mis en œuvre, soit pour organiser une élection honnête, soit pour organiser des fraudes électorales. La question de la crédibilité de ce processus, en particulier par rapport à son aspect partisan, se pose :
«En tant que découpeur de carte électorale, je peux avoir plus d’impact sur une élection que la campagne électorale… plus d’impact qu’un candidat. Quand, en tant que découpeur de carte électorale, j’ai plus d’impact sur une élection que les électeurs… le système est détraqué. » David Winston, consultant politique américain.
Cette citation fait apparaître que la construction de la carte électorale doit être pensée comme un enjeu crucial pour le processus électoral de toute véritable démocratie. Aussi, étudier le processus du découpage ou redécoupage électoral est indispensable car il consiste à comprendre comment la carte électorale est réalisée. Il s’agit de rechercher concrètement les éventuelles manipulations, leurs potentialités et leurs conséquences sur des résultats qui impactent la légitimité de l’élu ou des élus, donc sur la démocratie. Qu’en est-il du Sénégal?
Afin de répondre à cette question nous avons choisi d’étudier la carte électorale de l’élection présidentielle de 2019. Les résultats de ce scrutin de 2019 suscitent des interrogations, aussi, toutes les étapes de son processus électoral doivent faire l’objet d’une investigation approfondie.
Un processus électoral est un mécanisme politique sujets aux manipulations pour accéder au pouvoir politique ou le conserver. Son élaboration autant que sa modification par des reformes électorales décidées par des acteurs politiques ne sont jamais neutres. Aussi, toutes les étapes d’un processus électorale sont capitales car elles peuvent être sujet à des tripatouillages. En ce sens, les opérations de création ou de modification de la carte électorale peuvent être aussi le moment de prédilection pour engager des manœuvres politiciennes souterraines. La carte électorale serait ainsi réalisée uniquement en fonction de l’anticipation de résultats électoraux futurs, modélisés à partir de projections issues d’élections passées. Le bilan de l’action du découpeur de la carte électorale se mesure donc en termes de gain ou de perte de suffrages pour une élection présidentielle ou de sièges pour une élection législative.
L’objectif d’être élu ou réélu constitue le fondement majeur de l’action politique dans le redécoupage de la carte électorale. En suivant cette logique, la rationalité électorale s’exprime donc en fonction de l’optimisation de son intérêt politique partisan dans la détermination du nombre de lieux de vote (LV) et de bureaux de vote (BV), leur périmètre et localisation dans une élection présidentielle à circonscription unique ou de multiples circonscriptions dans une élection législative. Les effets de distorsion sur la carte électorale sont donc évidents. Pratiques frauduleuses, scandale électoral et atteintes à la démocratie. Qu’en est-il du Sénégal?
L’élection est organisée au Sénégal par l’administration, notamment, le Ministre chargé des élections, qui est aussi Ministre de l’intérieur, elle est contrôlée par la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA), et les résultats sont proclamés par la justice.
Le Ministre chargé des élections a ainsi la haute main sur le redécoupage électoral en vue d’établir une nouvelle carte électorale pour chaque élection. Le Ministre, qui a organisé l’élection présidentielle de 2019 est membre de la coalition politique au pouvoir dont le président était candidat à sa réélection. Il n’était pas apolitique, donc, ni neutre, ni impartial.
Au regard de ce qui précède, il est à se demander si la carte électorale de l’élection présidentielle de 2019 n’a pas fait l’objet d’un « gerrymandering » ou « charcutage électoral » de la part du Ministre chargé des élections afin de faire gagner son candidat, Macky Sall, au 1er tour.
Afin d’explorer cette problématique, il sera d’abord examiné le cadre légal du redécoupage électoral, sa réalisation pour produire une nouvelle carte électorale, et ensuite, il sera sondé ses effets sur le déroulement du vote de l’élection présidentielle de 2019.
L’objectif de cette recherche est d’une part découvrir les éventuelles manipulations de la carte électorale de l’élection présidentielle de 2019, mais aussi, évaluer ses conséquences sur le résultat final, et d’autre part, susciter un intérêt des citoyens sur cet enjeu crucial sur l’issue d’une élection pour qu’ils s’en emparent et se mobilisent pour contrôler la cohérence et l’objectivité de la carte électorale de la présidentielle de 2024, afin d’éviter son « gerrymandering ».
Il est à noter que la carte électorale de l’élection présidentielle de 2024 doit être publiée, le 25 janvier 2024 au plus tard, conformément aux dispositions de l’Article L.66 du code électoral.
Le découpage ou redécoupage électoral
La modification de la carte électorale est effectuée après les opérations d’inscription, de révision et de publication des listes électorales. Elle est réalisée par le redécoupage électoral qui se fait après le découpage électoral.
Le découpage électoral peut, dans une première définition être pense comme les deux phases successives de la réalisation de la carte électorale par la répartition des sièges entre les circonscriptions et leur délimitation ou la fixation du nombre de lieux de vote (LV), de bureaux de vote (BV), leur périmètre et leur localisation au sein desquelles se déroulent les élections. Le résultat est la création de la carte électorale.
Dans une deuxième définition, le découpage électoral peut aussi être considéré en fonction de son objectif, comme le processus par lequel la carte électorale est mise à jour pour égaliser la population entre les circonscriptions ou à assurer un meilleur équilibre d’inscrits par BV dans les communes et une meilleure cohérence géographique. On parle alors plus précisément de redécoupage électoral.
Théoriquement, le redécoupage électoral des communes est indexée, non pas sur le corps électoral, mais sur l’électorat, c’est-à-dire sur l’évolution positive ou négative du nombre d’inscrits sur les listes électorales de chaque commune. Il est effectué après chaque révision des listes électorales afin de rééquilibrer le nombre des inscrits dans les BV et leur répartition dans le territoire communal. Il s’agit de déterminer un nouveau nombre de LV, de BV par commune, leur localisation et leur périmètre et enfin leur affection à des électeurs. Il faut ainsi rattacher des adresses électorales à un nombre BV localisables.
Ce redécoupage peut entraîner un changement de bureau de vote ou de lieu de vote pour des électeurs. Ce qui implique l’impression de nouvelles cartes d’électeurs à distribuer. Les électeurs sont ainsi appelés à voter dans les nouveaux BV qui leur sont désignés. Le produit de ce redécoupage est l’établissement d’une nouvelle carte électorale communale et in fine d’une nouvelle carte électorale nationale qui a des conséquences directes sur les résultats d’une élection.
Le « Gerrymandering » ou « Charcutage électoral »
Le découpage ou redécoupage électoral est autant une science, par les connaissances mobilisées, la technique utilisée, les règles à respecter et les motivations objectives des choix opérés, que d’un art, dont la pratique ressort de considérations parfois politiques et subjectives. Aussi, il est difficile d’avoir un bon découpage ou redécoupage électoral, réalisé suivant un procédé scientifique transparent et inclusif. Ainsi, la réalisation d’une carte électorale parfaite, qui obtient l’assentiment des parties prenantes est contraignante. Toutefois, Il existe des découpages ou redécoupage électoraux réalisés à dessein dans l’opacité et sans cadre légal contraignant, selon des critères non objectifs et qui contreviennent aux principes d’éthiques et règles objectives à respecter, produisant une carte électorale biaisée.
Ainsi donc, le découpage ou redécoupage électoral est plus qu’une simple technique d’ingénierie électorale. Ils sont aussi des outils politiques tributaires de la manière dont ils sont encadrés et réalisés. En ce sens, ils peuvent avoir une incidence substantielle sur le résultat de l’élection sous l’effet de la main qui coupe ou découpe. Le découpage ou redécoupage électoral peut alors être qualifié d’artefact dans le sens où ils peuvent altérer le résultat d’une élection due au procédé technique utilisé. En d’autres termes, ils sont le produit de la méthodologie employée. Ils peuvent affecter d’une manière significative la participation et l’égalité électorale, et in fine le résultat final, sous l’effet de l’action de celui qui coupe ou découpe.
Pour être plus précis, le découpage ou redécoupage électoral peuvent être réalisé pour favoriser l’expression d’un résultat sur un autre pour un parti ou un candidat en façonnant les multiples circonscriptions d’une élection législative, ou le nombre de LV, de BV, leur périmètre et localisation dans une élection à une circonscription unique telle que l’élection présidentielle. Il permet ainsi l’accès au pouvoir politique ou sa conservation.
Grande est alors la tentation d’exploiter le processus de découpage ou de redécoupage électoral à des fins partisanes. En effet, ils peuvent camoufler une main politique partisane derrière sa réalisation. Un découpage ou un redécoupage électoral réalisé selon une volonté politique partisane, opaque et arbitraire est qualifié de « gerrymandering » ou « charcutage électoral ». Ainsi, les limites des circonscriptions électorales ou les périmètres des LV, des BV, leurs nombres, et localisation sont établies pour avantager un candidat ou un parti politique.
Le terme «gerrymandering» s’inspire d’Elbridge Gerry membre du parti démocrate-républicain, gouverneur de l’État du Massachusetts de 1810 à 1812, qui a fait adopter une loi qui a permis le redécoupage des circonscriptions du comté d’Essex de manière à favoriser son parti. Depuis, ce terme désigne une manipulation arbitraire des frontières des circonscriptions électorales, des périmètres des lieux de vote, du nombre de bureaux de vote dans le but de faire gagner une élection à un parti politique, un candidat ou une coalition. Cette pratique politique courante aux États-Unis est possible dans le contexte d’un mode de scrutin majoritaire. Une bonne connaissance des statistiques et des tendances électorales de chaque circonscription contribue également à orienter le découpage ou redécoupage électoral.
Le « gerrymandering » ou « charcutage électoral » peut avoir plusieurs conséquences:
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Manipulation des résultats électoraux : Le découpage partisan peut être utilisé pour favoriser un parti politique ou un candidat. Par exemple, en regroupant les électeurs d’un parti politique adverse dans une seule circonscription, on peut limiter le nombre de sièges que ce parti politique peut gagner à une élection législative ou en affectant des électeurs dans des BV éloignés de leur lieu de résidence ou encore des BV dans des LV non localisables;
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Inégalités entre les électeurs : Le découpage partisan peut entraîner des inégalités entre les électeurs. Par exemple, dans une circonscription ou commune où un parti a une majorité écrasante, les voix pour les autres partis peuvent avoir moins d’impact.
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Changement de bureau de vote : Un nouveau découpage peut entraîner une nouvelle répartition des BV dans de nombreuses communes. En conséquence, nombre de citoyens peuvent devoir changer de lieu de vote ou de bureau de vote;
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Forte incidence sur la participation: Il peut entrainer une hausse du taux de participation en fluidifiant le vote ou sa baisseen désorientant les électeurs et créer la confusion ;
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Peut altérer fortement la capacité des candidats et des observateurs à contrôler et surveiller le scrutin. Par exemple en créant un nombre très élevé de LV et de BV, difficilement localisables ou non localisables ou encore fictifs;
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Perte de confiance dans le système électoral : Si les électeurs et les candidats perçoivent que le redécoupage des LV / BV et des circonscriptions, est arbitraire donc non objectif, cela peut entraîner une perte de confiance et affecter la légitimité de l’élu ou des élus.
Le « gerrymandering » ou « charcutage électoral » se trouvent donc au centre des enjeux du découpage ou redécoupage électoral tant son impact est crucial sur le résultat d’une élection.
En considerant ce qui précède, il est donc crucial de veiller à ce que le découpage ou redécoupage électoral soit effectué de manière transparente en respectant des principes et des règles pour maintenir la confiance dans le système électoral et garantir une élection libre et honnête.
Question de recherche
Malgré, ses conséquences cruciales sur le résultat d’une élection qui peuvent affecter la légitimité des élus ou de l’élu et remettre en cause la démocratie, l’étude du redécoupage électoral est un sujet insuffisamment traité au Sénégal, pour ne pas dire inexistant. Un examen de portée permet de constater une telle lacune de la Science Politique Sénégalaise, bien que le redécoupage électoral constitue l’un des objets d’étude les plus anciens de cette discipline. Tout en étant un objet absent de la recherche des universitaires, le redécoupage électoral n’occupe que rarement le devant de l’actualité, à l’instar du fichier électoral, même en perspective d’une élection.
Dans son rapport sur l’élection présidentielle de 2019, la CENA n’a consacré aucune section, encore moins un chapitre, à la carte électorale, contrairement à l’inscription sur les listes électorales, leur publication et la distribution des cartes d’électeurs. Cette étape cruciale du processus électoral est traitée dans le sous-chapitre «la publication des listes électorales», et seules, 6 phrases lui ont été accordées.
Dans le rapport final de la mission d’observation électorale de l’Union européenne sur l’élection présidentielle de 2019 (page 26), la carte électorale y est abordée dans une sous-section de 13 lignes intitules « Le cas particulier des électeurs relocalisés ». Le rapport y reprend les informations publiées par la Direction Générale des Elections (DGE). Aucune analyse ni de la cohérence de la carte électorale, ni de la transparence du processus de redecoupage qui l’a produit. Tandis que le rapport final 2021 de la mission d’audit du fichier électoral (page 73) fournie des statistiques globales sur le contenu de la carte électorale de 2019. Cependant, aucune analyse n’est faite ni du processus de son élaboration, ni de ses effets sur le vote et les résultats du scrutin.
Enfin, dans le rapport de la mission d’évaluation du processus électoral du Sénégal de juin 2021 les pages 102 à 104 sont consacrés à la carte électorale de 2017 et 2019. Les statistiques par région qui y sont présentées ne permettent pas d’avoir des indicateurs pertinents sur les 552 communes du Sénégal. En outre, l’analyse du processus de redécoupage électoral a été faite dans la sous-rubrique «Comités électoraux» (page 62) pour confirmer une élaboration discrétionnaire de la carte électorale le Ministre chargé des élections.
Il est à tirer de ce constat que la carte électorale et le processus de redécoupage qui l’a produit sont insuffisamment traités au Sénégal. Cette étape fondamentale du processus électoral est ainsi absente des points de vigilance des partis prenantes d’une élection, notamment, les partis et coalitions politiques ainsi les candidats qui ne s’emparent pratiquement jamais de son processus d’élaboration. La carte électorale et le processus de redécoupage demeurent ainsi un inconnu et un mystère pour ceux qui sont directement impactés par ses effets: Les électeurs.
Aussi, à 1 mois de l’élection présidentielle du 25 février 2024, il est opportun et primordial de s’y intéresser suite à la révision exceptionnelle des listes électorales du 6 avril au 6 mai 2023 organisé par ledécret n°2023-464 portant révision exceptionnelle des listes électorales en vue de l’élection présidentielle du 25 février 2024 du O7 mars 2023.
Explorer le processus du redécoupage électoral pour comprendre comment la carte électorale de l’élection présidentielle de 2019 a été réalisée, est indispensable pour éviter le « gerrymandering » ou « charcutage électoral » de la carte électorale de la présidentielle de 2024. Il s’agit de rechercher concrètement les éventuelles manipulations et leurs conséquences sur la carte électorale et sur les résultats de la présidentielle de 2019. Donc, saisir l’éventuel main du politique dans l’opération, car le gouvernement de la coalition politique au pouvoir a organisé une élection présidentielle qui l’intéressait directement.
L’organisateur de l’élection présidentielle de 2019 n’était ni neutre, ni apolitique. En effet, le Ministre chargé des élections est aussi membre de la coalition politique au pouvoir. Un conflit d’intérêt manifeste, un Ministre juge et partie. Il n’a pas ainsi hésité à démontrer publiquement ses intentions de commettre des actes partisans dans l’organisation de l’élection présidentielle de 2019 en faveur de son candidat.
Au cours d’une émission de télévision en date du 25 février 2018, soit 1 an avant le scrutin, il fit la déclaration: « J’ai la ferme intention de travailler pour que le président Macky Sall gagne au 1er tour l’élection présidentielle du 24 février 2019. Pour cela, d’abord, je ferai inscrire tous ceux qui veulent voter pour Macky Sall. Je m’emploierai pour qu’ils récupèrent leur carte d’électeur et je les aiderai à aller voter pour Macky Sall. Et quand je le dis, vous pouvez me croire. Car même si je n’ai pas duré dans le champ politique, je m’engage jamais dans le vide. »
Au regard de ce qui précède, il est à s’interroger sur le processus de redécoupage de la carte électorale de la présidentielle de 2019. A-t-il été réalisé selon la volonté politique du Ministre chargé des élections de faire gagner Macky Sall au 1er tourl’élection présidentielle de 2019 ? Il s’agit en fait d’une interrogation sur la main politique, du Ministre chargé des élections, dans l’élaboration de la carte électorale.
Comment était-elle encadrée ? Qui étaient les acteurs? Qui disposait du pouvoir d’y procéder ? Quels ont été les critères de sélection des LV et du nombre de BV? Comment se fait l’affectation des électeurs à des BV? Quels ont été les conséquences de ce redécoupage électoral?
De ce questionnement apparait la question principale de recherche suivante: Le redécoupage électoral de l’élection présidentielle de 2019, a-t-il été un «gerrymandering» afin de réaliser une carte électorale qui favorise la victoire de Macky Sall au 1er tour ?
Afin de répondre à cette question, il est d’abord examiné le cadre légal du redécoupage électoral, ensuite, son implémentation pour produire une nouvelle carte électorale après celle des législatives de 2017 et enfin ses conséquences sur le déroulement du vote. Cette investigation est effectuée afin de pouvoir évaluer l’impact de la nouvelle carte électorale sur les résultats de l’élection présidentielle de 2019.
L’objectif de cette recherche est d’une part découvrir les éventuelles manipulations de la carte électorale et évaluer ses conséquences sur le résultat de l’élection présidentielle de 2019, et d’autre part, susciter un intérêt sur cet enjeu crucial afin que les citoyens s’en emparent et se mobilisent pour contrôler la cohérence et l’objectivité de la carte électorale de la présidentielle de 2024, afin d’éviter son « gerrymandering » afin que les résultats du scrutin reflètent la volonté de la majorité des Sénégalais.
Méthodologie
Les phénomènes politiques sont embrouillés en sus d’être opaques, peu de transparence, par conséquent, il faut recourir à une démarche holistique pour une description et une explication des événements électoraux et des pratiques des acteurs politiques. Notre étude ayant pour objet la découverte, la compréhension et l’explication du processus et des résultats du redécoupage de la carte électorale de l’élection présidentielle de 2019, nous conduit à adopter la méthode de recherche par étude de cas.
Une étude de cas est une méthode de recherche empirique qui étudie un phénomène en profondeur et dans son contexte réel. Elle consiste en une enquête détaillée dans le but de fournir une analyse du contexte et des processus qui éclairent les questions théoriques étudiées. Elle est appropriée pour la description et l’explication phénomènes sociaux individuels ou collectifs dans leurs contextes. Les résultats de l’étude de cas répondent aux questions «qui, quoi, quand, comment et pourquoi». C’est donc une méthode toute désignée pour saisir les phénomènes électoraux et le point de vue des acteurs politiques et en tenir compte pour comprendre et interpréter les ressorts des évènements électoraux.
A cet effet, l’approche comparative permet de situer le redécoupage électoral de 2019 et son évolution afin de le rendre intelligible, car on ne peut saisir pleinement le redécoupage électoral au Sénégal, en et par lui-même. Il ne peut l’être qu’au regard d’autres redécoupages électoraux.
Aussi, l’approche de l’étude de cas comparative est implémentée car elle permet de clarifier dans quelles mesures la carte électorale issue du redécoupage est attribuable à un mécanisme (facteurs internes à un parti politique) ou à son contexte (politique, électorale, médiatique) ou à leur interaction. Cette approche est faite suivant une perspective historique et contemporaine.
La perspective historique axe l’analyse sur l’évolution du redécoupage électoral au Sénégal, dans sa pratique et ses conséquences électorales, et permet la mise en avant des ruptures et continuités observables sur un temps plus ou moins long. Dans cette étude, les comparaisons sont formées à partir des découpages électoraux ayant eu lieu au Sénégal de 2012 à 2019.
La perspective contemporaine fait des comparaisons avec différents pays avec lesquels, le Sénégal partage le même système électoral et cadre juridique. Le choix des cas d’étude comparée s’est porté principalement sur la France et la Code D’Ivoire.
Sources de données
Face aux difficultés rencontrées dans l’accès aux acteurs du redécoupage, les sources principales de données ont été la carte électorale des législatives de 2017 et celle de la présidentielle de 2019. Celle de 2019 a été arrêtée le mercredi 23 janvier 2019 (arrêté n°001228) et publiée le jeudi 24 janvier 2019, conformément aux dispositions de l’article L.66 du Code électoral.
Le recours aux cartes électorales se justifie pour plusieurs raisons. Premièrement, leur analyse est le seul moyen d’accéder à des données fiables concernant le redécoupage électoral. Deuxièmement, les cartes électorales permettent d’accéder à un certain nombre de données individuelles sur les communes et LV. Il est en outre possible de compléter ces données individuelles avec des données agrégées disponibles à l’échelle des LV et qui pourraient offrir de précieuses indications sur les critères de leur choix et au-delà des BV.
Nous avons eu aussi recours aux données des sources médiatiques dont le traitement et l’analyse permet de saisir les points de vue et les perceptions des acteurs politiques. Ces dernières triangulées permettent d’avoir des données probantes sur des évènements relatifs au redécoupage électoral et a son produit qui est la nouvelle carte électorale de 2019.
Pour répondre aux questionnements sur les conséquences de la nouvelle carte électorale de 2019, les résultats de l’élection législatives de 2017 et ceux de la présidentielle de 2019 ont naturellement été privilégiés et comparées parmi les sources écrites mobilisées. Elles sont les données les plus objectives sur lesquelles fonder l’analyse quantitative et ce par deux moyens complémentaires. Il s’agit des tableaux de contingence pour opérer des comparaisons et liaisons entre variables au niveau des communes, et de l’étude des statistiques descriptives élémentaires en lien avec la problématique pour développer et tester nos hypothèses de recherche.
Résultats
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Un encadrement juridique insuffisant
Des articles de la Constitution contiennent les grands principes de référence que doit respecter un redécoupage électoral. Le principe de l’égalité devant la loi de tous les citoyens et du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple (article 1). D’autres principes fondamentaux sont aussi énoncés à l’article 3, tels que l’exercice de la souveraineté nationale, le suffrage direct ou indirect, universel, égal et secret et enfin, la jouissance de tous les Sénégalais âgés de 18 ans de leurs droits civils et politiques. Le caractère générale et l’imprécision des articles de ces dispositions constitutionnelles les rendent inopérables. Ils forment ainsi un référentiel insuffisant pour réaliser une carte électorale.
Aussi, l’encadrement juridique précis du redécoupage électoral, à l’élection présidentielle de 2019, tient de l’Article L.66 du code électoral Edition 2018, qui dispose:
«Dans chaque commune, le nombre et la localisation des BV sont proposés au Ministre chargé des Élections par les préfets et les sous- préfets, compte tenu des circonstances locales et du nombre des électeurs, et après avoir recueilli l’avis consultatif du comité électoral.
Les demandes de suppression, de modification et de création de LV doivent être dûment motivées et recevoir le visa obligatoire de la C.E.N.A.
Le comité électoral est tenu informé du sort réservé aux propositions de modification de la carte électorale.
Il ne peut y avoir plus de 600 électeurs par bureau de vote dans les communes.
La liste des BV sur l’ensemble du territoire national est définitivement arrêtée et publiée trente (30) jours avant le scrutin par le Ministre chargé des Élections sous la supervision et le contrôle de la C.E.N.A. Elle ne peut faire l’objet d’aucune modification.
Elle est transmise, par l’intermédiaire des autorités administratives, aux maires qui assurent la publication de la liste des BV de leur ressort par voie d’affichage et leur notification aux candidats et listes de candidats.»
En pratique, l’élaboration et la gestion de la carte électorale sont assurées par la Direction Générale des Elections (DGE) sur le fondement de l’article R 1er, alinéa 11 du Décret n° 2017-170 du 27 janvier 2017 portant partie réglementaire du Code électoral.
En dehors de la limitation du nombre d’électeurs à un maximum de 600 par bureau de vote, le Code électoral connait un « vide juridique » concernant les critères concrets pour réaliser un découpage ou redécoupage électoral. Et, le décret n° 2017-170 du 27 janvier 2017 portant partie réglementaire du Code électoral ne précise aucune disposition de l’article L.66.
Le code électoral encadre toutes les étapes du processus électoral. Paradoxalement, il ne contient aucune mesure concrète relative au découpage ou redécoupage pour réaliser une carte électorale en toute transparence et selon des critères objectifs. Aucune mesure ou règle pour y procéder n’est précisée et aucun article qui correspondrait à une contrainte formelle dans sa production n’est formulée. D’ailleurs lexicalement, les termes découpage et redécoupage électoral sont absent du Code électoral. En définitive, l’encadrement du découpage et redécoupage électoral par le Code électoral se révèle donc largement incomplet.
Ainsi donc, il n’existe pas dans le Code Electoral de contraintes qui pourraient restreindre et limiter l’action du découpeur, en l’occurrence le Ministre chargé des élections, si toutefois, il serait tenté par un «gerrymandering». Donc, il n’y a pas de redevabilité qui pèse sur l’action du Ministre chargé des élections (découpeur), et aucune sanction n’est prévue en cas de «gerrymandering».
Certes, un contrôle de la CENA est prévu par le code électoral en son article L.11, alinéa 4, mais son application semble ne pas être effective. L’efficience d’un découpage ou redécoupage électoral se mesure du niveau élevé de contraintes, à leur respect dans les cartes électorales produites, et se vérifie à leur sanction si elles ne sont pas respectées. Tout le contraire du processus de découpage ou de redécoupage électoral au Sénégal.
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Acteurs du redécoupage électoral
Le seul acteur du redécoupage électoral est le gouvernement, notamment, le Ministre chargé des Élections, qui est en même temps, Ministre de l’Intérieur. Conformément à l’alinéa 1 de l’Article L.66 du code électoral Edition 2018, il ne fait que recueillir l’avis consultatif des comités électoraux via les préfets, sous-préfets et les informer de ses décisions.
Ce sont donc des acteurs administratifs tel que le support technique, tel que la DGE et des préfets, sous-préfets qui participent au redécoupage électoral. Les dispositions de la loi électorale en son article L.66 ne contiennent aucune contrainte qui pourrait encadrer strictement leur action. Elles donnent une liberté totale au Ministre chargé des Élections de réaliser une carte électorale selon ses propres critères et choix. Certes, avec un support technique pour l’implémentation de ses décisions politiques.
Dans le cadre du processus de redécoupage électoral, la CENA dispose des prérogatives, après une mise en demeure, d’injonction, de rectification, de dessaisissement, de substitution d’action, en cas de non-respect des dispositions législatives et règlementaires par une autorité administrative. Cependant, il n’apparait pas que la CENA ne se pourvoie pas de ses prérogatives afin que le redécoupage électoral ne soit pas effectué de manière partisane, opaque et arbitraire par le Ministre chargé des élections.
Les acteurs politiques de l’opposition, à travers les partis et les coalitions politiques, n’ont pas été associés au redécoupage de la nouvelle carte électorale. Certes, ils ne sont pas des acteurs décisionnels du processus de redécoupage de par la loi électorale. Ils ne peuvent être que des membres des comités électoraux qui peuvent faire des propositions qui ne lient pas le Ministre chargé des Élections. Toutefois, selon les allégations d’acteurs politiques de l’opposition, les comités électoraux n’ont jamais été mis en place, si bien qu’ils ont été écartés du processus de redécoupage de la carte électorale de l’élection présidentielle de 2019.
Aussi, une partie d’elle regroupée au sein du Front démocratique et social de résistance nationale (FRN), a dénoncé ce manquement par une lettre datée du 31 décembre 2018 adressée à la CENA. Le FRN lui a rappelé ses obligations en vertu de l’article L.11, alinéa 4 du code électoral. Dans sa réponse, la CENA indique que la modification de la carte est discutée au niveau des comités électoraux et que ses antennes départementales y participent. Autrement dit, des comités électoraux existent et fonctionnent contrairement à l’affirmation du FRN. Cependant, la CENA ne précise pas dans quels départements, encore moins les communes, ses démembrements ont participé à la modification de la carte électorale. En sus, elle n’a fourni aucun document d’un comité électoral pour étayer ses dires. En rejetant la plainte du FRN, la CENA s’abstient de mettre en œuvre ses prérogatives en vertu des articles L.5, L.6 et L.13 du code électoral.
En l’absence de données produites par la CENA pour étayer ses affirmations, une recherche dans les données médiatiques sur internet avec les mots «Sénégal, présidentielle 2019, comités électoraux» a été effectuée. Elle n’a pas permis d’obtenir des résultats qui puissent confirmer les dires de la CENA.
Les informations fournies par la CENA dans son rapport sur l’élection présidentielle de 2019 corroborent, notre analyse du cadre légal, d’une élaboration discrétionnaire du redécoupage de la carte électorale de la présidentielle de 2019 par le Ministre chargé des Élections. En effet, la CENA nous apprend que les propositions du comité électoral n’ont pas toujours été validées, des modifications de la carte électorale validées par le comité électoral, mais non suivies d’effets ou changées unilatéralement par le Ministère chargé des Élections (Rapport CENA sur l’élection présidentielle de 2019, page 26). Et fidèle à sa tradition, la CENA reste dans les généralités, elle ne fournit pas de données qui puissent étayer de telles informations.
Il appert de ce qui précède que le redécoupage dont le résultat est la carte électorale nationale et étrangère qui ont été arrêtées le mercredi 23 janvier 2019 (arrêté n°001228) et publiées le jeudi 24 janvier 2019, sont l’œuvre exclusive du Ministre chargé des Élections, par ailleurs, Ministre de l’intérieur. Un homme politique, membre de la coalition politique au pouvoir, qui porte la candidature du Président en exercice du Sénégal, candidat à sa réélection pour un second mandat.
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Données empiriques
La carte électorale nationale et celle de l’étranger issues du redécoupage, effectué de manière discrétionnaire par le Ministre chargé des élections, ont été publiées le jeudi 24 janvier 2019. Au total, il y a 6 919 LV, 15 397 BV pour 6 683 043 électeurs.
Dans la forme, le document de la carte électorale est difficilement exploitable car non seulement c’est un fichier pdf de 1060 pages mais en outre, il y a des pages intercalaires vierges au nombre de 225. Ainsi, un document qui devait être de 835 pages, a été allongé jusqu’à 1060. Néanmoins, le travail nécessaire a été fait pour pouvoir analyser la nouvelle carte électorale, son contenu et ses conséquences sur le vote.
Mbacké avec 62 nouveaux BV pour 24 919 nouveaux électeurs est le département ou le grand nombre de BV a été créé. Des nouveaux électeurs de Mbacké, 17 001 sont de la commune de Touba Mosquée, pour lesquels ont été créés 8 LV et 53 BV supplémentaires. Il ressort de la carte électorale de 2017, que des 548 BV de cette commune, 286 avaient entre 84 et 481 électeurs. Aussi, les 17 001 pouvaient être repartis par groupe de 59 dans ces 286 BV pour avoir une moyenne de 540, qui est toujours inferieur au maximum de 600 électeurs recommandés par l’article L.66 du code électoral.
Le département de Pikine est le 2ème département avec le plus grand nombre de BV créés avec 60. Les communes de Keur Massar et Yeumbeul Nord avec 2558 et 2919 nouveaux électeurs, ont obtenu respectivement 2 LV, 16 BV et 1 LV, 10 BV.
Il peut être affecté dans le dernier BV de chaque LV, un nombre d’électeurs de 650 pour éviter de créer de nouveaux LV et BV. Aussi, chacun des 8 LV de Yeumbeul Nord pouvait l’être, soit 400 électeurs et ensuite rattacher par groupe de 26, le reliquat de 2 519 dans les 95 BV restants. Aussi, il n’était pas nécessaire de créer le LV «Ecole bataillon de la marine» avec 2 BV de 219 et 1 de 220 électeurs.
Dans la carte électorale communale de Keur Massar, non seulement les 2558 nouveaux électeurs pouvaient être repartis dans les 8 LV et 150 BV existants, mais leur nombre d’électeurs a été réduits de 4 802, soit un total 7 360 électeurs à rattacher à de nouveaux BV. A cet effet, les LV «Ecole Camille Basse» (3 BV) et «Lycée zone de recasement» (10 BV) pour un total de 6 542, ensuite, 2 BV abris provisoires (624 électeurs) ont été créés au LV «Ecole Boune», et enfin, 1 BV de 194 électeurs aménagé au LV «Ecole PA Unité 14», qui est finalement délocalisé au LV «Ecole PA unité 15 Salle 6». Ainsi, 16 nouveaux BV non indispensables ont été mis en place pour y affecter 7 360 électeurs.
Le résultat de l’analyse comparée des LV et BV de la carte électorale de 2017 et celle de 2019 dans les 552 communes révèle des pratiques qui visent à ne pas atteindre le maximum de 600 d’électeurs. Le contraire est plutôt recherché, c’est-à-dire, la création du maximum de BV pour le scrutin de 2019.
En ce sens, la commune de Touba Mosquée est un exemple probant de charcutage électoral. Avec 601 BV, elle est la commune qui contient le plus de BV au Sénégal. Son plus grand LV est «Université Touba Darou Khoudoss» avec 95 BV en abri provisoire de 259 à 264 électeurs, soit un total de 29 371 électeurs. Avec 600 électeurs par BV, on aurait obtenu que 49 BV au maximum. Ainsi, 601 BV ont été aménagés plutôt que 465, soit un surplus de 136 BV dans la commune de Touba Mosquée.
Il ressort de ce qui précède que, d’une part augmenter la carte électorale de 763 nouveaux BV n’était pas nécessaire car le nombre de 6 683 043 électeurs pouvaient être répartis entre les 14 634 BV créés aux législatives 2017, et que d’autre part l’objectif visé était de faire du charcutage électoral, soutenu par deux arguments: Décongestionner des LV et rapprocher les électeurs de leurs centres de vote.
Pour rappel jusqu’en 2016, l’article L.66 du code électoral disposait que les BV pouvaient avoir jusqu’a 900 électeurs. La modification de cette disposition a été faite avec le code électoral vote en janvier 2017 qui l’a rabaissé à 600 électeurs par BV. Aucune justification n’a été avancée, d’ailleurs, la baisse du nombre d’électeurs par BV ne figure même pas dans l’exposé des motifs de cette loi.
Par ailleurs, il n’a pas été collecté des données qui soutiennent qu’organiser une élection au Sénégal dans des bureaux de vote de 900, encore moins 600 électeurs, avait un impact négatif sur le déroulement du scrutin. En outre, autant organiser une élection a un coût pour l’Etat, autant, participer à une élection a un coût pour l’électeur. Voter engendre plusieurs coûts économiques et informationnels : le coût de s’inscrire ou se réinscrire sur les listes électorales (l’inscription doit être effectuée par les citoyens eux‐mêmes et doit être actualisée après chaque déménagement), puis de s’informer sur les candidats et les enjeux de l’élection, et enfin de se déplacer jusqu’à son bureau de vote. Et, les coûts induits augmentent avec la mobilité résidentielle.
En conséquence, dans la mise en œuvre du processus de redécoupage électoral, ces deux critères relatifs doivent intervenir afin d’organiser une élection au meilleur coût pour l’Etat tout en facilitant le vote de l’électeur. Le Ministre chargé des élections, en ne choisissant pas une telle démarche, en est arrivé à la création de 15 397 BV dont 3 550 de moins de 300 électeurs, 364 entre 1 et 99, et enfin, 21 BV entre 1 et 19 électeurs.
Parmi ces derniers, on peut citer les communes de Wouro Sidy (Kanel) 1 BV de 5 électeurs, Taïba Ndiaye (Tivaouane) 1 BV de 7 électeurs, Diamnadio (Rufisque) 1 BV de 7 électeurs, Diagane Barka (Foundiougne) 1 BV de 9 électeurs, etc.
En Europe, se remarque l’Italie (Arezzo1 BV avec1 électeur, Prato 2 et Viterbo 9 ), Turquie 1 BV avec 2 électeurs, aux Etats Unis à Nashville 1 BV avec 10 électeurs, etc.
En Afrique, au Mali 1 BV avec 7 électeurs, en Guinée Bissao (Bubaque 1 BV de 8 électeurs et Bissao 9), Mozambique 1 BV de 8 électeurs et Cote D’ivoire 1 BV de 11 électeurs, etc.
La différence de contenu entre la carte électorale de 2017 et celle de 2019 ne se limite à l’augmentation du nombre de BV. Il apparait dans celle de 2019, une nouvelle donnée électorale intitulée «Implantation». Sur cette rubrique sont inscrites des informations qui semblent indiquer soit l’emplacement d’un BV, soit le type d’édifice, par exemple salle de classe ou abri provisoire. Aussi, l’information que contient cette rubrique n’est pas cohérente et ne permet pas de la catégoriser.
La donnée électorale «Implantation» n’existait pas dans la carte électorale des législatives de 2017. Cette dernière avait été réalisée conformément à la nomenclature qui est édictée par l’article L.53 du code électoral et par le décret 2016-1536 portant application de la Loi no 2016-09 du 14 mars 2016 instituant une carte d’identité biométrique CEDEAO. Ces dispositions précisent expressément que les données électorales, en sus, des données d’identification et de localisation pour les électeurs, sont le lieu de vote et le bureau de vote.
En outre, aucune interprétation stricte de l’article L.66 du code électoral qui encadre la réalisation de la carte électorale ne donne des prérogatives au Ministre chargé des élections de créer une nouvelle donnée électorale. Et c’est à juste titre que le Ministre chargé des élections déclare que le lieu d’implantation de chaque BV doit être précisé dans la carte électorale. En effet, une localisation précise du LV avec des données exactes rend superfétatoire celle du BV. Aussi, aucune interprétation abusive ne saurait soutenir la création de cette donnée électorale.
A la lumière de ce qui précède, il èchet de prononcer l’illégalité de l’insertion de la donnée électorale «Implantation» dans la carte électorale de 2019 réalisée par le Ministre chargé des élections, en vue de l’élection présidentielle de 2019.
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Analyse des données empiriques
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15 397 bureaux de vote (BV)
Le Ministre chargé des élections a donc réalisé une carte électorale de 15 397 BV en se fondant sur le critère de la proximité plutôt que du meilleur coût.
Les élections sont un gouffre à milliards au Sénégal. Et selon les données publiées dans la presse, le coût s’est accru de 512,8 millions en 2010 à 4,014 milliards pour la présidentielle de 2012, 9 milliards aux législatives de 2017, 13 milliards pour la présidentielle de 2019 et pour l’année 2024 un budget de 23 145 229 200 est prévu pour la gouvernance électorale.
En l’espèce, faire passer le coût de l’élection de 9 à 13 milliards entre 2017 et 2019, indique que l’objectif d’organiser une élection au meilleur coût n’a pas guidé la décision du Ministre chargé des élections dans le redécoupage de la carte électorale. Abris provisoires, urnes, isoloirs, bulletins des candidats, panneaux d’affichage, frais de personnel, etc. Un matériel électoral coûteux dont le taux de renouvellement est élevé. Aussi, les dépenses sont nombreuses pour assurer la tenue d’une élection. Par conséquent, toute décision d’augmenter le nombre de BV, entraine une hausse substantielle des charges. Il est ainsi à se questionner sur la motivation d’un tel choix, dans un pays aussi pauvre ou l’optimisation budgétaire devrait être la règle afin de garantir que les ressources sont utilisées de manière efficace et efficiente.
Dans toute démocratie, l’observation rigoureuse d’une élection par des candidats, des partis ou coalitions politiques est un travail capital pour sa transparence. Il l’est davantage encore quand l’administration chargée d’organiser les élections, est perçue et considérée comme partisane. Un tel travail vise ainsi à déceler et à prévenir les erreurs suspectes, les tentatives de manipulation et de fraudes électorales.
Toutefois, ce travail de « police électorale » pour s’assurer que les adversaires ne trichent pas, ne se limite pas aux opérations de vote. Il est aussi question d’identifier un représentant de partis ou coalitions politiques, candidats à une élection pour faire valider des fraudes et des manipulations, en étant de connivence avec surtout le parti ou coalition politique au pouvoir. Il est ainsi un risque d’avoir un représentant de l’opposition dans chaque BV plutôt qu’un pour chaque candidat et BV.
La condition sine qua non pour atteindre un tel objectif d’intégrité électorale est d’abord d’avoir des représentants dans tous les BV. Ils devraient être dotés d’une bonne connaissance des opérations de vote mais aussi des compétences avérées dans l’observation électorale. Les représentants des candidats à une élection doivent être présents dans tous les BV sur le territoire national et à l’étranger, et ainsi pouvoir assister au déroulement du vote, jusqu’au dépouillement des bulletins, au ramassage et à l’accompagnement des procès-verbaux jusqu’à la commission de recensement des votes.
Depuis l’indépendance du Sénégal, tous les partis politique au pouvoir ont toujours été suspectés de financer leurs activités de prospection politique avec des fonds publics, sous prétexte d’activités gouvernementales, tandis que les partis politiques d’opposition sont confrontés à d’énormes problèmes financiers pour en faire de même. Une iniquité politique mais surtout électorale. De surcroit, les partis politiques sont caractérisés par leur manque de ressources humaines et leur faiblesse organisationnelle. Enfin, à cause de la pauvreté, le militantisme rétribué est plus développé que le militantisme idéologique au Sénégal, en conséquence, les partis politiques sans moyens financiers éprouvent des difficultés à recruter des volontaires. Afin d’atténuer les effets de cet environnement sociale et politique défavorable, les candidats sont soutenus par des coalitions de partis politiques qui mutualisent leurs ressources.
A l’élection présidentielle de 2019, la représentation des candidats ou listes de candidats et leurs suppléants, était encadrée par les articles 68, 70, et 71 du code électoral Edition 2018. Il ressort de ces dispositions que les cinq (5) candidats pouvaient avoir des représentants et des suppléants dans tous les BV. Malgré ce cadre légal, le contexte questionne sur la disponibilité des ressources financières et humaines des quatre (4) candidats de l’opposition qui permettraient d’avoir des représentants et suppléants dans les 15 397 BV, aussi bien du territoire national qu’à l’étranger.
Le chapitre du rapport de l’Union Africaine sur la présidentielle de 2019, intitulé «Représentants des candidats et observateurs» (page 24) et celui de la déclaration préliminaire de la CEDEAO «Par rapport aux représentants des candidats» (page 4) ne fournissent pas de statistiques qui permettent de savoir si les représentants des candidats étaient présents dans au moins 50% des BV encore moins tous les BV. Celui de l’Union Européenne n’aborde même pas cette question. Les rapports des observateurs internationaux ne permettent pas de saisir la réalité d’une élection car leur observation se limitent à quelques LV et BV.
La CENA affirme dans son rapport (pages 50-57) avoir déployé, sur la base de la carte électorale, 21 978 agents pour superviser et contrôler les 14 651 BV répartis dans 6 549 LV du territoire national, et 746 dans les 746 BV de l’étranger. Elle affirme ainsi avoir assuré un taux de couverture de 100 % du scrutin.
Cependant, la CENA proclame que le traitement de données venant de 14 651 BV est lourd et lent.
Aussi, elle a mis en place un réseau de 939 bureaux de vote de référence (BVR) pour servir d’échantillon représentatif de la totalité des BV au plan national. Et, en se fondant sur les données de cet échantillon, la CENA déclare que les candidats étaient bien représentés dans une très forte majorité des BV: Macky Sall était représenté dans 98,82 % des BVR, Idrissa Seck dans 91,43 %, Ousmane Sonko dans 87,47 %, Madické Niang dans 56 % et El Hadji Sall dans 85,22 %.
Il est d’abord à noter que malgré la présence de ses contrôleurs dans l’ensemble des BV, la CENA ne s’est pas prononcé sur la représentation ou non des candidats sur le vote à l’étranger, et ensuite, sur le territoire national elle n’avait de données que sur 6,40% des BV.
Pour un enjeu aussi important qu’une élection présidentielle, la CENA a travaillé comme un institut de sondage, le contraire de ce qui est attendu d’un organisme chargé de superviser et contrôler un processus électoral. Le résultat du travail de la CENA n’est qu’un aperçu, et encore, il faudrait que les données ne soient pas erronées pour qu’il n’y ai pas de biais. Aussi, les indicateurs de la CENA ne sont ni fiables, ni valides pour saisir la réalité du scrutin, notamment, la représentation des candidats dans l’ensemble des BV.
Il ressort de ce qui précède, que les rapports aussi bien des observateurs internationaux que de la CENA ne permettent pas d’avoir des indicateurs précis et fiables sur la représentation des candidats dans tous les BV. Toutefois, compte tenu des capacités en ressources financières, humaines et organisationnelles limitées des candidats de l’opposition, il est à estimer que les 4 candidats n’étaient pas représentés dans tous les 15 397 BV, et surtout à l’étranger.
Il est donc à conclure, en tenant compte de tout ce qui précède, que l’un des objectifs du charcutage électoral (création d’un nombre excessif de BV estimé à 4031) était de tenir en échec l’observation électorale des candidats de l’opposition qui vise à garantir l’intégrité du scrutin. Un manquement qui favorise les fraudes électorales. Des représentants de candidats l’avaient d’ailleurs compris et dénoncé durant la campagne électorale.
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Effets de la donnée électorale «Implantation»: BV fictifs et BV non localisables
En sus, de l’illégalité de la nouvelle donnée électorale «Implantation», les informations qui s’y trouvent ne sont pas accessibles aux électeurs et ne sont pas non plus disponibles sur des documents relatifs aux opérations de vote.
La carte d’électeur au Sénégal ne contient que le lieu de vote et le numéro du BV. Il n’y existe pas d’informations électorales relatives au lieu d’implantation du BV. Il est aussi à remarquer, qu’il n’est point mentionné «Implantation», dans aucun des documents sur les opérations électorales. Se pose ainsi la question de savoir pourquoi créer cette donnée électorale, si d’une part, les électeurs ne peuvent pas y accéder, et que d’autre part, elle n’est pas non plus utilisée dans les opérations de vote et de dépouillement? Quel est donc la valeur ajoutée d’une information électorale invisible aux partis prenantes, en particulier, les électeurs et les candidats? Afin de pouvoir répondre à ces questions, il convient d’analyser l’information électorale qui se trouve dans «Implantation» pour saisir ses effets.
Notre analyse est faite à partir des informations fournies par la DGE(page 3): «Il y a lieu de signaler que la carte électorale, à la demande des comités électoraux et ce, généralement pour rapprocher les électeurs de leurs centres de vote ou changer des lieux de vote devenus moins fonctionnels, a subi quelques modifications ainsi que je l’ai porté à la connaissance de l’opinion publique depuis le 28 novembre 2018 par communiqué de presse n°11950/MINT/DGE.»
Malgré, ces annonces et celles de la CENA, il n’a pas été collecté des données probantes sur une modification de la carte électorale en se fondant sur les propositions des comités électoraux des 552 communes du Sénégal. Il a été plutôt relevé des allégations de partis politiques d’opposition relatives au refus du Ministre chargé des élections d’installer les comités électoraux, qui ont été portées à l’attention de la CENA le 31 décembre 2018. Compte tenu de ce qui précède, il est donc à considérer que le redécoupage de la carte électorale est le produit du travail du Ministre chargé des élections et de ses collaborateurs, notamment, la DGE.
Les statistiques publiées par la DGE sur les modifications carte électorale, reprises par la CENA, font état 53 362 cartes d’électeurs à rééditer, répartis dans 90 communes et 29 départements. Selon une déclaration du Ministre chargé des élections, il s’agit d’électeurs dont les BV ont été délocalisés, du moins pour la commune de Touba Mosquée.
Il est à noter d’abord que le document ne précise pas s’il s’agit d’électeurs impactés par un rattachement à un nouveau BV ou par la délocalisation de leur LV. Ensuite, la réédition de carte d’électeurs pour la commune de Wakhinane Nimzat a été annulée. Par qui et pourquoi? aucune information n’est fournie sur le motif de l’annulation.
Délocaliser le LV de BV signifie les soustraire du LV de départ, et soit les ajouter aux BV d’un LV existant, en conséquence le nombre de BV augmente, où soit créer un nouveau LV et y aménager les BV. A défaut d’un tel traitement de délocalisation, tous les BV du LV concerné, sont considérés comme fictifs.
En analysant, les changements opérés dans la carte électorale, il est d’abord constaté que les LV délocalisés se trouvent dans la rubrique «Implantation». Or cette dernière est illégale donc les LV qui s’y trouvent n’ont pas d’existence légale. En sus, ce sont des informations inaccessibles aux électeurs car ne se trouvant pas sur leurs cartes d’électeurs mais aussi aux candidats car ne figurant pas sur les documents d’opérations électorales. Enfin, il est observé que les BV des LV délocalisés, ne font pas l’objet d’une soustraction du LV de départ, et non plus d’addition aux LV de destination ou de création d’un nouveau LV de destination.
Dans le département de Dakar, à la commune de Mermoz Sacre cœur, 9 BV, pour un total de 4895 électeurs, ont été délocalisés du LV «Ecole Wore», vers le LV «Ecole Maarif Dkr» qui se trouve dans la rubrique «Implantation». Non seulement, les BV n’ont pas été soustrait du LV «Ecole Wore», mais aucun LV du nom de «Ecole Maarif Dkr» n’a été créé dans la carte électorale sur la rubrique «Lieu de vote». Ainsi, légalement, ce sont les BV de «Ecole Wore» qui se trouve sur la rubrique «Lieu de vote», qui existent. En conséquence, les 9 BV du LV «Ecole Wore» sont transformés en BV fictifs.
Dans la commune de Biscuiterie, toujours dans le département de Dakar, le LV «Ecole Ouagou Niayes 1» comptait 12 BV dans la carte électorale des législatives de 2017. Dans la carte électorale de 2019, 6 BV des 24 que compte le LV «Ecole Biscuiterie», ont été délocalisés vers le LV «Ecole Ouagou Niayes 1», qui devrait en compter 6 de plus, soit au total18 BV. Mais, le nombre de 12 BV du LV «Ecole Ouagou Niayes 1» reste inchangé. Donc, 6 BV soustrait du LV «Ecole Biscuiterie» n’ont pas été ajoutés au LV «Ecole Ouagou Niayes 1». Ils sont ainsi devenus des BV fictifs.
En utilisant de telles techniques d’implantation de LV, 133 BV fictifs ont été créés à Dakar, dans 11 communes (Parcelles Assainies 30 BV, Medina 25 BV, Cambérene 22 BV, Gueule Tapee Fass Colobane 12 BV, Ouakam 11 BV, Mermoz Sacre Cœur 9 BV, Grand Dakar 9 BV, Biscuiterie 6 BV,
Grand Yoff 4 BV, Yoff 3 BV, Plateau 2 BV), pour un total de 76 399 électeurs.
Dans le département de Pikine, il a été identifié la transformation de 205 BV en BV fictifs pour un total de 114 247 électeurs. La commune de Keur Massar de ce département a été la plus affectée avec 39 BV avec 19 872 électeurs.
Tandis que dans le département de Guédiawaye, plus précisément, la commune de Wakhinane Nimzat, dont la demande de réédition de cartes d’électeurs a été annulée selon le document publié par la DGE, un nombre de 19 652 électeurs dans 33 BV ont été impactes. Au total dans cette commune de Wakhinane Nimzat, il y a eu 55 BV fictifs pour 34 057 électeurs.
Dans le département de Mbacké, 91 BV ont été érigés en BV fictifs qui ont concernés 48 809 électeurs dans la commune de Touba Mosquée. Contrairement, a la déclaration du Ministre charge des élections d’environ 15 000 électeurs impactes à Touba, ils sont au moins 48 809.
Par l’utilisation de ces 2 techniques de modification d’implantation de LV, 701 BV ont été transformés en BV fictifs avec 385 508 électeurs dans 25 départements. Par conséquent, le chiffre annoncé le 05 février 2019 par le Ministre chargé des élections de 53 362 électeurs impactés n’est pas conforme à la réalité, si on considère juste la modification de la carte électorale par la délocalisation.
Ainsi donc, l’insertion illégale de la donnée électorale «Implantation» dans la carte électorale de l’élection présidentielle de 2019 avait pour seul objectif de pouvoir créer des bureaux de vote fictifs.
Dès lors, il s’explique qu’une première version de cette nouvelle carte électorale soit disponible en novembre 2018, soit 6 mois après la révision des listes électorales et à 4 mois du scrutin du 24 février 2019. C’était certainement pour tester la réaction des parties prenantes de l’élection à cette carte électorale qui constituait une nouveauté.
Des BV qui passent inaperçus pour les électeurs et les candidats. Pour rappel, le rapport final de la mission d’audit du fichier électoral de 2021 a révélé que 1 114 641 électeurs étaient inscrits illégalement mais selon le rapport provisoire ils sont 1 515 189. Donc, il suffit de rattacher à ces BV fictifs, ces électeurs qualifiables de fictifs (qui n’existent pas réellement), et personne ne viendra demander, encore moins réclamer de voter dans ces BV fictifs. Personne, ni électeurs, ni candidats ne prêtent attention à ces BV fictifs. Les candidats quant à eux, sont obligés de par loi à ne prendre en compte que les BV mentionné sur les LV. En effet, la donnée électorale «Implantation» étant illégale tout LV / BV dans cette rubrique n’existe pas. Les Préfets et Sous-préfets avant de dresser un arrêté portant liste des membres des bureaux de vote ainsi que les représentants des candidats ou listes de candidats et leurs suppléants, doivent au préalable demander à ces derniers par une lettre de les designer. A cet effet, sur le fondement des articles 68 et 71, les autorités administratives leur indiqueront leurs représentants dans les BV des «Lieu de vote» et non «Implantation».
Ainsi, de ces BV fictifs qui échappent à l’observation électorale, on peut fabriquer des procès-verbaux de résultats fictifs. Dans le département de Dakar 133 BV fictifs ont été créés pour un total de 76 399 électeurs, dans celui de Pikine 205 BV fictifs pour un total de 114 247 électeurs. Tandis qu’à Guédiawaye 55 BV fictifs avec 34057 électeurs. Pour rappel à la présidentielle de 2019, avec une augmentation du nombre suffrages valablement exprimés de 115 232 à Dakar, 121 389 à Pikine et 37 578 à Guédiawaye, Macky Sall a obtenu respectivement 97 672, 93 594 et 28 778 suffrages.
L’observation de la carte électorale a également révélé, l’existence de BV non localisables. Comme l’a si bien expliqué le Ministre chargé des élections, dans une commune le lieu d’implantation de chaque BV doit être exactement indiqué dans la carte électorale.
Autrement dit, dans la carte électorale chaque LV doit avoir un lieu d’implantation qui permette de le localiser. Afin de s’assurer que les dires du Ministre chargé des élections sont conformes à la description des LV dans la carte électorale nationale et celle étrangère qu’il a réalisé, nous avons procédé à nouveau à son examen. Et, les résultats de ce travail ont permis de découvrir que dans des communes, des LV avaient des descriptions qui ne permettaient pas de les localiser. Les lieux exacts d’implantation des BV n’étaient pas indiqués pour tous les BV. N’ayant pas une bonne connaissance de la géographie de chaque, nous avons utilisé un seul critère pour les identifier: Quand la description du LV correspondait au nom de la commune.
Dans la commune de Ngaparou (Département de Mbour, région de Thiès), les 10 BV ont comme lieu de vote «Ngaparou», celle de Saly Portudal aussi 11 BV ayant lieu de vote «Saly portudal». A Paris, en France, 55 BV de ses 73 avec 32 766 électeurs, tous ont la même description du LV «Paris», idem à New York avec 8 de ses BV.
Toutefois, tous les BV fictifs et non localisables, ne sont identifiables que par une bonne connaissance de la géographie et des infrastructures de chaque commune. Aussi, ils sont difficiles à implanter dans les grandes villes car ils sont faciles à déceler. En outre, ils feraient l’objet de beaucoup de bruits médiatiques. La connaissance populaire de la géographie des grandes villes et l’environnement médiatique expliquent que des départements tels que Dakar, Guédiawaye, Pikine et Rufisque n’en disposent pas, tandis que d’autres en ont très peu, tels que Saint Louis, Tivaouane, Ziguinchor, etc. Ne disposant pas de connaissances géographiques précises sur les communes, ce travail de recherche est inachevé. Cependant, la tendance qui se dégage des résultats déjà obtenus indiquent qu’il y aurait certainement beaucoup plus de BV fictifs et non localisables à découvrir.
Avec un BV non localisable se pose la question de savoir comment le localiser pour voter le jour du scrutin. Posons autrement la question par un exemple. Un électeur de Paris avec 55 BV de ses 73 BV ont comme LV «Paris», comment peut-il retrouver son BV le jour du scrutin lorsque sur sa carte d’électeur il est mentionné LV «Paris»?
Soit, on reçoit personnellement l’information sur le LV qui abrite le BV dans lequel le nom de l’électeur figure sur les listes électorales, soit on fait le tour des 55 LV de Paris pour chercher dans lequel il y a une BV avec le nom de l’électeur sur les listes électorales. Cette dernière éventualité est impossible. Donc, l’exclusion du scrutin d’un électeur rattache à un BV non localisable est assure, s’il ne reçoit pas la bonne information sur sa localisation. Ainsi, on peut trier, choisir qui peut voter ou non, selon que son opinion politique est favorable ou défavorable. A cet effet, il faut juste créer son propre fichier électoral (base de données) sur ses membres et sympathisants donc électeurs potentiels.
La carte électorale ne contient pas que des BV fictifs et non localisables, il y a aussi les abris provisoires au nombre de 2102 dans lesquels doivent voter 1 080 750 électeurs. Un abri provisoire est un BV non aménagé dans un bâtiment, plutôt avec du matériel mobile et fragile.
Le vote dans les abris provisoires se déroule dans des conditions précaires et de description floue des lieux d’implantation des BV qui favorisent la désorientation des électeurs et en conséquence la confusion qui peuvent priver de vote des milliers d’électeurs. Mais en outre, les abris provisoires sont des niches potentielles de BV fictifs. En effet, un LV non localisable et un BV mobile constitue un environnement propice à la création de BV fictifs. Toutefois, seul un travail d’investigation le jour du scrutin permet de les découvrir.
Dans le cadre de la mise en œuvre du processus de redécoupage électoral, il y a le travail capital de rattachement des électeurs aux BV. Dans les pays de démocratie établie, un tel travail est effectué par une commission ou sous son contrôle. Au Sénégal, c’est le Ministre chargé des élections, un homme politique partisan, qui décide seul. De ses décisions dépendent la participation ou non de millions d’électeurs à une élection. Pour priver de vote des électeurs, il faut juste changer leur LV ou le numéro de leur BV, sans les informer et sans leur octroyer leur nouvel carte d’électeur.
A la présidentielle de 2019, les témoignages sont nombreux d’électeurs n’ayant pu voter à cause de telles modification de la carte électorale à leur insu. De telles conséquences sur le déroulement du vote ont été confirmés par la CENA dans son rapport sur la présidentielle de 2019(page 52):
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La création de nouveaux bureaux et la délocalisation de certains autres (modification de la carte électorale) n’ont pas permis à certains électeurs de retrouver leur lieu de vote ;
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Des électeurs détenteurs de cartes dupliquées n’ont pas pu exercer leur droit de vote (arrondissement des Niayes, Pikine) ;
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Les noms de certains citoyens ont été versés dans des listes d’émargement différentes de celles mentionnées sur leur carte d’électeur;
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Certains électeurs munis de leur carte ne figuraient pas sur les listes d’émargement et n’ont, par conséquent, pas pu voter.
Toutefois, la CENA se garde de donner le nombre d’électeurs, victimes de telles pratiques qui privent des Sénégalais de leur droit de vote. Dans la présentation des faits, elle tenterait plutôt de les minimiser. Dans le cadre de cette étude, il nous est impossible de l’estimer en l’absence d’une carte électorale avec les données électorales des électeurs.
Conclusion
A la lumière des résultats de l’examen de la carte électorale, il apparait d’abord que le redécoupage a été réalisé par un homme politique partisan, sans avoir collaboré avec les partis ou coalitions politiques à travers les comités électoraux. Dès lors, un redécoupage sans transparence et arbitraire car les critères sur lesquels sont fondés les décisions n’étaient pas partagés et inconnus des parties prenantes de l’élection: Un «gerrymandering».
Il en a résulté de ce «gerrymandering» une carte électorale avec un nombre de bureaux de vote excessifs pour empêcher l’opposition d’observer le déroulement du scrutin. Une carte électorale truffée de bureaux de vote fictifs, non localisables et d’abris provisoires qui ont affectés le droit de vote de millions d’électeurs. Avec une telle carte électorale, il est possible de fabriquer des procès-verbaux fictifs de résultats favorables à son candidat et priver de vote des millions d’électeurs afin d’atteindre son objectif électoral de faire gagner à son candidat Macky Sall l’élection présidentielle de 2019 au1er tour.
Aux élections législatives de 2017, la stratégie mise en œuvre pour gagner était la rétention des cartes d’électeurs de 2 798 308 électeurs par une production défectueuse et une mauvaise distribution. En effet, sur un fichier électoral de 6 219 446 inscrits, seuls 3 421 138 électeurs ont reçu leurs cartes (Rapport CENA, page 24). Finalement, le nombre d’électeurs qui ont voté aux législatives 2017 a été de 3 337 494. Il est à rappeler que lors de ce scrutin des électeurs ont été autorisés à voter sans carte d’électeur. Créer des problèmes sur le déroulement du vote et ensuite mettre en place des solutions qui favorisent les fraudes électorales est un levier important de la stratégie électorale de victoire.
A la présidentielle de 2019, la stratégie a changé, ce n’est plus possible la rétention des cartes d’électeurs mais la modification de la carte électorale à l’insu des électeurs. Et pour solutionner les problèmes qui en ont résulté pour les électeurs, un message du Ministère de l’intérieur a été émis le 24 février 2019 à l’attention des autorités administratives pour instruire les présidents de BV d’inviter les victimes de cette situation à se rendre dans le dernier BV du lieu de vote où leur nom figure sur la liste pour voter (Rapport CENA, page 52).
Désormais, l’arme électorale fatale pour gagner une élection mère est le «gerrymandering». Et, depuis 2019, toutes les cartes électorales ont été élaborées suivant le même processus partisan, opaque et arbitraire. Celle des élections législatives de 2022 en est la dernière avec ses BV fictifs, non localisables et abris provisoires, ce qui explique l’abstention record de 3 757 356 électeurs. Aussi, celle de l’élection présidentielle du 25 février 2024 sera conçue suivant la même méthodologie. Dès lors, la carte électorale est la clé des résultats de la présidentielle de 2024.
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Recommandations en vue de la présidentielle de 2024
Dans les pays où l’élection est véritablement démocratique, il est maintenant acquis que la nécessaire neutralité de l’opération de redécoupage électoral interdit qu’elle soit le fait du gouvernement ou même du Parlement où la majorité décide. Le découpage électoral correspond, ainsi, au modèle technocratique, celui du primat des experts sur les acteurs politiques. La carte électorale doit être réalisée par des acteurs aux compétences techniques et le politique se contenter d’exécuter les décisions.
A défaut, d’un tel processus de redécoupage et d’un cadre légal qui rende justiciable le «gerrymandering» au Sénégal, les citoyens se doivent de l’approprier. L’objectif est de les mobiliser aux fins de déceler les manipulations et biais d’une carte électorale réalisée selon des considérations politiques qui rendent possibles les fraudes électorales.
Même si, les citoyens restent en général indifférents aux questions électorales qui les affectent peu dans la vie quotidienne, l’alerte est à faire à 1 mois du scrutin. Il est fondamental que le contrôle citoyen de la nouvelle carte électorale se fasse et sur le terrain. Cela implique concrètement que les citoyens de chaque commune se doivent de procéder à une inspection minutieuse théorique et une vérification sur le terrain de l’existence réelle des LV de leur carte électorale communale aux fins d’abord de découvrir les éventuelles bureaux de vote fictifs, non localisables et abris provisoires suspects, et ensuite informer et communiquer sur les résultats de leur travail.
Que les citoyens s’emparent de cet enjeu et s’assurent que le redécoupage de la carte électorale de l’élection présidentielle du 25 février 2024 a été réalisé en toute transparence et selon des critères objectifs dans chaque commune. Faire échec au «gerrymandering», par une active participation publique. Il est la garantie d’une élection présidentielle 2024 honnête dont les résultats reflètent la volonté de la majorité des Sénégalais. Le contrôle citoyen est un travail de terrain avant et le jour du scrutin dans chaque commune du Sénégal. Désormais, cela ne dépend que de nous citoyens.
Fait à Dakar, le 28 Janvier 2024
Ndiaga Gueye
Doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication
Recherche en Marketing politique, Big data, Élections et Démocratie.
Laboratoire: LARSIC,
École Doctorale: ED-ETHOS
Université Cheikh Anta Diop de Dakar Sénégal