L’élection présidentielle de février 2024 s’annonce comme l’une des plus intéressantes et les plus importantes dans le domaine du numérique au Sénégal.
Un petit retour en arrière. Depuis l’expérience extrêmement enrichissante acquise au sein de Desirdavenir de la socialiste Ségolène Royal en 2006, une participation à un bootcamp d’Obama en 2007, de Me Abdoulaye Wade également en 2007 avec Macky Sall comme directeur de campagne. Élection qui a vu la proclamation de la victoire de Me Abdoulaye Wade dès le premier tour avec 1.914.400 voix, je peux en toute modestie avoir un œil d’expert sur ces élections à l’ère du « numérique. » dix-sept années plus tard.
Beaucoup de sénégalais étaient persuadés que les djinns avaient voté pour Abdoulaye Wade mais que cela ne reflétait pas les intentions de vote de la population à l’époque. Certains journalistes s’empressaient même d’écrire que Karim Wade avait fait venir un crack en informatique depuis Paris et c’est lui qui a trafiqué les résultats, car c’était impossible qu’Abdoulaye Wade sorte vainqueur de cette élection, et surtout au premier tour, car il était honni par les Sénégalais. Que nenni.
On avait tout simplement une très bonne équipe, des moyens et surtout le fichier (les data) mis à disposition a été exploité pour faire gagner le président Abdoulaye Wade en utilisant déjà à l’époque les données (data) électorales avec un ciblage et une segmentation démographique très précise de tous les électeurs dans l’analyse des données numériques via la psychologie comportementale. Le site internet mis en place pour la campagne présidentielle s’occupait du reste en enrichissant naturellement la base de données. On avait entre les mains des données de millions de sénégalais à exploiter. Ni plus, ni moins.
Sans le savoir on était en avance à l’époque, on utilisait déjà les capacités de l’intelligence artificielle sans celle-ci. Cette dernière n’avait pas encore pris le pas sur l’intelligence humaine. On mettait la main à la pâte sans répit, le temps nous était compté. Aucune erreur, bug ou tâtonnement n’était permise encore moins autorisée. Une obligation de résultats, rien d’autre.
J’ai aussi très vite compris ce qu’on pouvait faire avec nos données personnelles lors d’une élection. C’était fascinant et inquiétant, le tout à l’insu de notre plein gré.
Refaire la même chose en 2024 serait quasi impossible avec la redoutable Mafia Kacc Kacci. Une jeunesse nourrie au biberon numérique avec un sens de l’humour hors du commun.
Sur les quatre-vingt-treize candidats à la candidature déposés au Conseil Constitutionnel seuls quelques-uns ont réussi leur qualification. Parmi ces candidats, Mme Anta Babacar Ngom Diack a beaucoup surpris en franchissant le parrainage citoyen.
Personnellement, je ne suis pas surpris par cette qualification car Mme Anta Babacar NGOM-DIACK a su fédérer autour d’elle les plus grands spécialistes en intelligence artificielle actuellement au Sénégal en leur donnant les moyens et des objectifs.
Et pour la première fois dans l’histoire politique du Sénégal l’intelligence artificielle (IA) a été utilisée dans une campagne électorale.
Tout le monde se souvient du scandale de l’affaire de la fuite de données personnelles de 87 millions d’utilisateurs Facebook-Cambridge Analytica qui a révélé au monde l’ampleur des risques associés à l’exploitation des données personnelles dans le paysage politique.
Par conséquent, il est important de noter tout d’abord que l’IA seule ne peut garantir à aucun candidat une victoire électorale, cependant, elle peut y jouer un rôle significatif dont je vais essayer d’en analyser les principaux qui pourraient potentiellement influencer l’élection présidentielle de février 2024 au Sénégal.
Ce que l’Intelligence Artificielle pourra permettre de faire pour cette élection :
– L’analyse des données électorales, à condition d’avoir le bon fichier, les préférences des électeurs, les tendances démographiques, les nouveaux inscrits, les régions avec le maximum de nouveaux inscrits, des sondages en dehors du Sénégal (les sondages étant interdits au Sénégal) … Cela peut aider les campagnes à cibler plus efficacement leurs efforts.
– Les tendances politiques pour mieux comprendre les préoccupations des électeurs.
– Adapter les discours en fonction des besoins des populations visées.
L’Intelligence Artificielle pourra également contribuer à segmenter l’électorat en groupes démographiques spécifiques avec une personnalisation plus efficace des messages de campagne.
L’IA peut aider à surveiller et analyser les réseaux sociaux pour évaluer les sentiments et les opinions des électeurs. Cela peut permettre aux candidats d’ajuster leur message en fonction des tendances émergentes et d’interagir de manière plus ciblée avec les électeurs.
L’Intelligence Artificielle pourra aider à optimiser les campagnes pour analyser les réponses aux campagnes publicitaires on line, les équipes de campagne pourront ajuster leurs stratégies pour cibler plus efficacement leur public jusqu’à l’heure H.
L’Intelligence Artificielle pourra aider à analyser les discours en identifiant les principaux thèmes et les réactions du public, notamment la jeunesse, omniprésente sur les réseaux sociaux. Cela peut aider à affiner les messages de campagne et à adapter la communication en temps réel.
L’IA peut contribuer à optimiser les stratégies de communication des candidats en identifiant les messages les plus efficaces pour les différents segments de la population de 18 à 78 ans. Elle peut également aider à personnaliser les messages pour maximiser leur impact selon le vivier électoral le plus important en sachant que 75 % de la population sénégalaise a moins de 35 ans et la population âgée de 65 ans et plus constitue 3,8 % de la totalité des 17 millions de sénégalais. De surcroit, plus de 21 millions d’abonnements à la téléphonie mobile sont enregistrés.
Grâce au progrès du big data, les logiciels de stratégie électorale peuvent désormais amasser une énorme quantité de données sur les plus de 21 millions d’abonnés pour se faire une idée des zones géographiques les plus susceptibles d’être influencées, en sachant exactement où ils doivent aller et avec qui ils doivent faire un discours et dans quelle langue (locale, nationale ou en français).
Cette nouvelle approche boostée par l’intelligence artificielle semble bien porter ses fruits si l’on s’intéresse aux anciennes élections présidentielles qui ont eu lieu aux États-Unis. A titre d’exemple, en 2008 et en 2012, Barack Obama s’est servi de l’outil Blue State Digital. En 2016, Donald Trump en a fait de même avec l’outil de gestion intelligent Nation Builder.
L’Intelligence Artificielle pourra aussi être employée pour surveiller et gérer la présence en ligne du candidat, en identifiant les tendances, en répondant aux préoccupations des électeurs et en gérant les crises de communication, les VAR et les waxx waxeet.
Des chatbots pourront être utilisés alimentés par L’Intelligence Artificielle pour engager les électeurs, répondre à leurs questions fréquentes et légitimes et les informer sur les politiques du candidat en tenant compte des VAR pour les déclarations antérieures du candidat (c’était en pratique déjà en 2007 avec Abdoulaye Wade)
L’Intelligence Artificielle pourra être utilisée pour éviter la manipulation ou la diffusion de fakes news, les candidats et leurs équipes doivent jouer au maximum la transparence quant à l’utilisation de l’IA et garantir une communication honnête avec le public. Gare au retour de bâtons.
On remarque depuis quelques années au Sénégal, la facilité avec laquelle les fausses nouvelles peuvent être diffusées et amplifiées ce qui présente un défi majeur pour la démocratie, car elle peut influencer l’opinion publique de manière significative et pour longtemps. La rapidité avec laquelle l’information circule rend crucial le besoin d’une éducation des électeurs sur la détection des fausses nouvelles, la vérification des sources et la compréhension des stratégies de manipulation en ligne. L’équilibre entre l’utilisation de la technologie pour améliorer la participation démocratique et la nécessité de protéger l’intégrité des élections reste un défi majeur.
A noter que l’utilisation de l’IA dans le contexte politique actuel au Sénégal soulève des questions éthiques, notamment en ce qui concerne la confidentialité des données et la manipulation de l’opinion publique alors que le Sénégal dispose d’une Commission Nationale de Protection des Données Personnelles (CDP)
On a vu lors de la récolte des parrainages que les données de nombreux électeurs ont été utilisées pour parrainer un candidat à leur insu et cela pose des questions sur la protection de la vie privée et la possibilité d’une manipulation ciblée des électeurs en fonction de leurs données personnelles avec des fichiers différents dans les administrations devant organiser cette élection.
On l’a vu aussi à l’étranger avec les soutiens de Javier Milei et de Sergio Massa utilisés l’intelligence artificielle durant la campagne pour propager des fakes news ou des spots à base d’IA qui ressemblent à s’y méprendre à du réel.
L’Intelligence Artificielle peut encore être utilisée par les candidats ou le CENA pour renforcer la sécurité électorale en détectant et en prévenant les fraudes électorales potentielles, ce qui contribue à garantir la sincérité et l’intégrité du processus électoral, même si le Sénégal est bien logé pour un déroulement correct du scrutin avec la proclamation en temps réels des résultats ainsi qu’une copie des PV publiée sur les réseaux sociaux dès la proclamation des résultats bureau de vote par bureau de vote même dans les régions les plus reculées. A tous les candidats de s’assurer qu’ils auront au moins un représentant par bureau de vote partout au Sénégal et dans la diaspora.
L’informatique est binaire (0 et 1) c’est donc très facile de ne pouvoir parrainer qu’une seule personne si les autorités le veulent bien. On a même vu des candidats dire qu’ils ne sont pas dans le fichier électoral, alors que la DGE leur a délivré des fiches de parrainage ce qui est à priori, impossible.
En résumé, bien que l’IA puisse jouer un rôle dans divers aspects d’une campagne électorale, la victoire dépend de nombreux facteurs tels que le leadership, la pertinence des politiques proposées, la confiance du public au projet et d’autres éléments non technologiques qui ont court au Sénégal.
Seul l’ex parti Pastef Les patriotes qui utilise l’(IHC) l’Intelligence Humaine Collective n’aurait pas eu besoin d’utiliser l’IA pour gagner cette élection.
Lamine NDAW