Le monde entier célèbre les 100 ans de la naissance de Cheikh Anta Diop. Un jour commémoratif. En l’honneur de Cheikh Anta Diop (CAD). « Grand pharaon du savoir » . Les titres ne manquent pas pour célébrer ce savant africain et précurseur ayant tant apporté à l’Afrique et aux africains. Un moment aussi pour interroger un lourd héritage politique et scientifique du savant ayant travaillé dans des conditions très difficiles et dans sa phase de recherche et dans celle de l’affirmation. L’UCAD est en effervescence ainsi que les médias. En analysant les acteurs en jeu dans cette bataille de légitimité, nous semblons avoir d’un côté des « idéologues » qui pour l’essentiel simplifient le fonds de sa pensée en la réduisant à la promotion de la langue. D’un autre des « héritiers » politiques qui ont enterré le combat panafricaniste et qui ont accepté des compromissions au point de s’allier aux anciens UPS – PS (et sa tentacule libérale). L’impression qui se dégage est que ceux qui maintiennent la flamme sont en dehors de notre grand Sénégal.
Ces idéologues et héritiers auraient pu avoir en 2024 un large front panafricaniste et nationaliste pour faire bloc contre les assauts des héritiers de Senghor celui qui posera tous et tous les actes devant étouffer et sa pensée scientifique et son expression politique. En réalité, Cheikh ne voulait pas créer un « parti » mais plutôt des « fronts » solides et vastes, des rassemblements et des blocs. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la dénomination et la composition de toutes les cellules politiques initiées. L’éclatement du RND à la mort de Cheikh montre aussi les limites d’une convergence politique centrée sur le leader charismatique. Ceci mérite une profonde réflexion sereine au sein des partis qui fonctionnent presque sur ce même modèle messianique. De toute façon, les sénégalais aiment et attendent toujours le messie, une formule pour se décharger de leurs propres responsabilités.
Que retenir en 2024 à l’occasion des 100 ans de la naissance de Cheikh Anta ? On peut déjà se souvenir qu’il a refusé l’exil (scientifique) et l’entrisme sur la pointe des pieds et l’exil doré comme forme prédominante de leur action politique. Cheikh a aussi accepté la « pauvreté » dans une grande dignité à l’image d’autres leaders de la gauche morts dans le dénuement total et l’indifférence générale. CAD aimait rappeler un point important. L’intellectualité ne va pas sans engagement politique et moral. Il insistait beaucoup sur l’éthique. D’ailleurs c’est de là que vient le sigle de l’aigle du RND. L’aigle ne mange pas de charogne. Il a toujours voulu être cohérent avec ses principes et dans son esprit et dans ses actions. Malheureusement, aujourd’hui, on nous exhibe un principe terrible. L’ubiquité : on peut ainsi être un intellectuel de haute facture, et être tortueux sur le plan politique. La posture intellectuelle doit éclairer la position politique. De plus en plus c’est le contraire. Il n’est pas étonnant, dans ces circonstances que nos icônes intellectuelles « tombent » et entrent dans un discrédit généralisé et définitivement scellé. La boutade de CAD en wolof résume ce chaos moral : « Les sénégalais sont tellement habitués aux tromperies que si tu les convies à un projet limpide et transparent ils n’y adhèrent pas ».
Au-delà de cette ténacité, que reste-t-il réellement de son héritage? Où sont nos égyptologues ? Qu’est devenu le labo de carbone 14 ? Quelle œuvre magistrale peut-on osé citer ou écrite par un sénégalais depuis la mort de CAD ? Au-delà des étudiants qui ont repris ses thèses ? En plus de toutes les questions terribles qui secouent l’Afrique : la question énergétique, les frontières, les ethnies, l’ingérence étrangère, la question culturelle, etc. Où sont les produits des Cheikh Antaistes ? Heureusement qu’aujourd’hui, on voit des lueurs au Maroc sur la question énergétique qui va installer la plus grande centrale solaire du monde dans le désert. Ou en sommes-nous au Sénégal et plus globalement en Afrique ? En réalité, nous avons souvent « fossilisé » sa pensée alors qu’il fallait partir de l’esprit de son combat pour le continent.
Valoriser le symbole d’un homme très tenace qui voulait trouver des solutions endogènes et qui voulait montrer que l’Afrique avait une légitimité historique pour réclamer une place et une voie telle devait être la grande cause de ceux qui prétendent perpétuer son œuvre. Ainsi le mimétisme a pris le dessus sur une approche plus intelligente et contextualisée de la pensée d’un Cheikh qui a toujours mis en garde contre les essentialismes. Beaucoup se sont comportés et se comportent encore comme des « talibés » restituant mimétiquement une pensée pourtant très féconde à achever. Cette tétanisation intellectuelle a plombé les élites panafricanistes qui se sont progressivement recroquevillées sur sa pensée en créant des espaces communautaristes où la critique même constructive n’est pas admise.
Sans partager nécessairement les idées de Jean Paul Pougala, il est intéressant de rappeler ce qu’il dit dans ses Chroniques acerbes pour fouetter nos certitudes. Dans une démarche ironique il note : « Cela a-t-il un sens pour la Grèce d’aujourd’hui de passer son temps à revendiquer la paternité de la démocratie si elle croule sous les dettes et ce sont les financiers des marchés boursiers à gérer de fait le pays ? De même, quel sens cela a-t-il pour les intellectuels africains de magnifier les pyramides de l’Egypte antique pour ensuite aller mendier la construction d’une minable salle de classe dans le Sahel ». Pougala pousse encore plus loin l’ironie en montrant qu’en réalité nos références sont européennes. Notre diplomatie, notre système de corruption, nos programmes scolaires, nos horaires de travail, nos repos hebdomadaires judéo-chrétiens sont tous européens. Certains objecteront qu’il n’est pas une référence et qu’il est même un comédien. Soit ! Cependant, il met à nue ces formes de « tétanisation » qui ont « fossilisé » notamment la pensée de Cheikh qui restera un homme ayant eu le courage intellectuel, et l’audace politique de porter, le grand projet des nations d’Afrique.
En ce jour anniversaire de la naissance de Cheikh, le meilleur hommage que nous pouvons lui rendre est de contextualiser ses travaux. Ces héritiers n’ont plus le droit de poursuivre cette révolue posture mimétique alors qu’ils ont un boulevard pour produire des ouvrages de références contextualisés. Répéter depuis des décennies ce que Cheikh a dit dans des formules et slogans désuets, c’est sans doute poursuivre une œuvre de discrédit d’une posture intellectuelle dynamique de Cheikh qui n’a jamais été dogmatique.
Alors se reposent des questions de fonds : comment transformer les certitudes/postures scientifiques en projet politique mobilisateur ? Le discours n’est-il pas resté trop ésotérique ? Quelle solution, car cette notion est absolument importante ? A ce grand fils de l’Afrique, il devait revenir à chacun de se poser la grande question de perpétuation de son œuvre afin que, il revienne aux générations futures ce dont il a rêvé jusqu’à son dernier souffle : Une grande Afrique politiquement et économiquement libre et unie. Comment introduire ses enseignements dans une didactique intelligente qui facilite la réappropriation des idées de Cheikh ? Où en sommes-nous ? Ainsi, il se reposera.