samedi, novembre 16, 2024

Regard théorique sur l’entrepreneuriat : les clés de la réussite

0 commentaire

Comme chaque année, au mois de novembre, près de 200 pays célèbrent la semaine mondiale de l’entrepreneuriat, une initiative du Global Entrepreneurship Network (GEW). Des milliers d’événements sont organisés au cours de cette semaine pour célébrer les entrepreneurs, les inspirer et les sensibiliser au monde de l’entrepreneuriat.

Ces dernières années, l’entrepreneuriat a évolué parallèlement à la technologie et à la numérisation, créant ainsi de nouvelles opportunités et de nouveaux défis pour les entrepreneurs. Dans cette perspective, il devient crucial d’explorer les différentes contributions des chercheurs et des praticiens pour mieux appréhender le paysage entrepreneurial contemporain.

Comprendre son environnement pour construire

Parmi les grands théoriciens de l’entrepreneuriat, il y a ceux qui soutiennent une approche économique de l’entrepreneuriat. Ainsi, l’agronome Olivier de Serres (1539-1619), l’un des premiers à étudier les pratiques entrepreneuriales dans les années 1600, accorde une importance significative à l’idée qu’une personne décide de devenir entrepreneur. Par exemple, en matière d’agriculture, cette décision découle principalement  de la vision de l’entrepreneur, de la compréhension de son environnement et du potentiel inhérent à la ferme. Il pense que le succès réside davantage dans ce que l’entrepreneur peut construire que dans son talent inné.
D’après les considérations de l’agronome qui analyse les questions agricoles de façon scientifique, le savoir permettant à l’entrepreneur de gérer sa ferme est important. Cela engendre la façon de gérer, par conséquent, d’optimiser les ressources « qui sont à sa disposition ».

Risquer et transformer pour réussir

Richard Cantillon (1680-1784), père fondateur des réflexions en entrepreneuriat, sa « vision du domaine peut se résumer  à  travers  l’idée  que  l’entrepreneuriat correspond  à  la  transformation  d’un  produit  ou  d’un  service  dans  le  but  de  le  vendre  tout  en assumant les risques liés à cette transformation. Transformation et risque apparaissent comme les deux piliers de l’entrepreneuriat » (Schmitt, 2019). Ce financier place l’entrepreneuriat, avec sa nécessité inhérente de prendre des risques.

Prendre et assumer des risques

D’autre part, Jean-Baptiste Say (1767-1832) a placé l’entrepreneur au cœur de l’économie, qui s’articule autour de la production, de la distribution et de la consommation.
Homme de terrain, acteur dans le domaine industriel, il soutient que « l’entrepreneur est celui qui prend et assume des risques. » Il est le premier à nous faire comprendre que nous n’avons pas besoin forcément d’avoir des moyens financiers pour se lancer.

Innover pour créer de la valeur

Différemment à ses prédécesseurs, Joseph Aloïs Schumpeter (1883-1950), est le précurseur du lien entre l’innovation et l’entrepreneuriat. Il considère que l’entrepreneur a un rôle à jouer en termes d’innovation. En effet, le cœur de l’entrepreneuriat réside dans la perception et l’exploitation de nouvelles opportunités dans le domaine de l’entreprise.
L’entrepreneur, selon Schumpeter, n’est pas nécessairement un créateur d’entreprise, mais plutôt celui qui apporte de l’innovation sur le marché, créant ainsi une nouvelle valeur. C’est cette innovation qui permet aux entreprises de se démarquer de leurs concurrents sur les marchés actuels. Dans la vision de Schumpeter, l’innovation est « le moteur principal  de l’économie d’un pays », et elle est de nature matérielle.

S’informer pour repérer des opportunités

Israël M. Kirzner (né en 1930) quant à lui, est le premier à soutenir la place importante de l’entrepreneuriat dans la société. Kirzner estime que les entrepreneurs doivent être vigilants et ouverts à leur environnement pour repérer ces opportunités. Les travaux de Kirzner permettent de retenir que toute personne a le potentiel d’être entrepreneur, car la capacité de repérer des opportunités d’affaires découle de l’information détenue. En ce sens, l’entrepreneur est celui qui a su identifier une opportunité d’affaires.

L’entrepreneur voit ce que les autres ne voient pas, il fait ce que les autres ne font pas.

Les recherches menées par ces universitaires nous permettent de déterminer, dans un premier temps, la vision libérale de l’entrepreneuriat.
« La différence entre un entrepreneur et les autres se situe essentiellement dans sa capacité à puiser l’information dans son environnement et à prendre la bonne décision. La doctrine libérale qui lui est sous-jacente renvoie  à  l’idée d’une  liberté  économique  amenant l’individu  à  mobiliser  des ressources pour développer des initiatives privées » (Schmitt, 2019).
Par ailleurs, on peut en déduire que l’entrepreneuriat est régi par la logique de l’offre. En effet, les perspectives d’un secteur particulier donnent « un poids important à l’entrepreneur » en stimulant la demande tout en offrant une gamme diversifiée de produits et de services aux consommateurs. Grâce à l’entrepreneuriat, l’équilibre du marché peut être atteint.
S’il y a beaucoup d’entrepreneurs, les produits et services proposés seront diversifiés.
« Dans cette perspective, la croissance est le corollaire de cette logique de l’offre », qui constitue le levier de développement de l’économie d’un pays.
Nous avons aussi l’entrepreneur comme processeur d’information.  Ce qui distingue l’entrepreneur aux autres, c’est sa capacité de « de collecter exhaustivement les informations dont il a besoin pour prendre des décisions. »
En réalité, c’est cette idée selon laquelle l’entrepreneur peut déceler des signaux faibles de l’environnement, imperceptibles pour d’autres, renforce la vision de l’entrepreneur en tant que héros contemporain. « Il voit ce que les autres ne voient pas, il fait ce que les autres ne font pas. »

Planifier pour atteindre des objectifs

La théorie de la causation, d’après Sarasvathy (2001), offre une perspective novatrice sur l’entrepreneuriat en contrastant avec l’approche traditionnelle. Selon cette dernière, l’entrepreneur est souvent perçu comme un acteur rationnel qui établit d’abord des objectifs clairs, pour ensuite identifier et sélectionner les moyens et ressources nécessaires à leur réalisation. Cette vision traditionnelle conçoit l’entrepreneuriat comme un processus linéaire, où la volonté de l’entrepreneur guide la planification et la gestion des activités. « La théorie de la causation est, notamment, le cadre théorique de référence de la démarche de planification, incarnée par le business plan » (Fayolle, 2017).

Changer d’objectifs face à des incertitudes

S’agissant de la théorie de l’effectuation, décrite par Sarasvathy (2008), suggère que lorsque les entrepreneurs font face à un niveau élevé d’incertitude, ils adoptent une logique de pensée, de décision et d’action qui diffère de celle décrite dans un modèle traditionnel, plus rationnel, de prise de décision entrepreneuriale.

« Effectuation et causation sont des théories complémentaires, la première postule que dans des environnements dynamiques et à degré élevé d’incertitude, les clients cibles peuvent être définis seulement a posteriori à partir du moment où des clients s’intéressent au produit ou au service et l’achètent » (Fayolle, 2017).

L’auteur explique dans ce sens que lorsque l’incertitude est élevée, les objectifs subissent des changements, se façonnent et se construisent au fur et à mesure, pouvant parfois dépendre du hasard. Plutôt que de se concentrer sur les buts, l’entrepreneur s’efforce de maîtriser le processus en se concentrant sur les moyens et les ressources disponibles et sous son contrôle. Ces ressources incluent, au niveau individuel, des connaissances, des compétences et des relations. Au niveau de l’entreprise, les moyens disponibles englobent des ressources physiques, humaines et organisationnelles.

Se débrouiller avec les ressources disponibles

De nos jours, nous considérons que la théorie du bricolage est en vogue. Rappelons que le concept de bricolage a été formulé par Claude Levi-Strauss (Stinchfield et al., 2013) lorsqu’il s’est penché sur les activités de deux catégories d’acteurs qu’il a identifiées comme « ingénieur » et « bricoleur ».
D’après Fayolle (2017), alors que l’ingénieur est guidé par une logique rationnelle le conduisant à rechercher les techniques/outils et matériel en vue d’une conception intentionnelle, le bricoleur choisit de faire avec le matériel qu’il a en mains.

Baker et Nelson (2005) définissent le concept de bricolage par making do by applying combinations of resources at hand to new problems and opportunities. Autrement, le bricolage entrepreneurial consiste à se débrouiller avec les moyens du bord, avec les ressources disponibles pour relever de nouveaux défis, qu’il s’agisse de problèmes, d’opportunités ou de dilemmes.

La théorie du bricolage s’appuie sur l’idée d’un détournement des ressources existantes et sur le refus de limiter l’usage de ces ressources à leurs fonctions originales. Cette façon de repenser des usages, de transposer, de recombiner peut être considérée comme une forme de réinvention créative. Pour reprendre les termes de Baker et Nelson, dans le contexte de l’entrepreneuriat, le bricolage consiste à créer quelque chose à partir de rien, en se débrouillant avec ce qu’on a entre les mains ou à proximité pour résoudre des problèmes et révéler des opportunités.

Par conséquent, le bricolage présente l’avantage d’aider les entrepreneurs à surmonter les contraintes liées aux ressources qu’ils n’ont pas ou qui sont difficiles à obtenir, surtout dans des environnements caractérisés par une pénurie ou une rareté de ressources utiles.

Innover pour une destruction créatrice

L’innovation dans l’entrepreneuriat est ce que Schumpeter appelle la destruction créatrice. C’est aussi « l’innovation de rupture ou l’innovation disruptive ». Une telle innovation remet en cause « le fonctionnement, le modèle d’affaires ou encore les modes de financement du projet. Ce type d’innovation est différent de l’innovation incrémentale, qui améliore le fonctionnement du système existant sans le modifier.
Néanmoins, n’oublions pas que  « l’innovation s’organise, se planifie et se  mesure  notamment  à  travers  les  budgets  de  recherche  et  de développement que les entreprises mobilisent pour innover » (Schmitt, 2019). Dès lors, l’innovation n’est pas un simple coup de génie soudain, mais elle résulte d’un effort bien planifié et surtout  organisé permettant ainsi de créer quelque chose de nouveau et de précieux.

 

Références

About GEN. (s. d.). GENglobal. Consulté 15 novembre 2023, à l’adresse https://www.genglobal.org/about

Doganova, L. (2013). Chapitre 1. L’entrepreneuriat : Un processus d’exploration collective. In Valoriser la science : Les partenariats des start-up technologiques (p. 25‑51). 

Fayolle, A. (2017). Chapitre 2. L’entrepreneuriat : Conception et cadre théorique. In Entrepreneuriat: Vol. 3e ed. (p. 49‑74). Dunod. 

Schmitt, C. (2019). Aide- mémoire : Entrepreneuriat.

Crédit Photo: La Délégation Générale à l’Entreprenariat Rapide des Femmes et des Jeunes – DERFJ