Résumé
Le parti politique au pouvoir a annoncé pourvoir gagner l’élection présidentielle de 2024 au 1er tour avec 3 000 000 d’électeurs. A cet effet, en sus de son électorat confirmé de 1500000 électeurs, il a annoncé une campagne de vente de cartes de membre pour enrôler les 1500000 électeurs. Toutefois, ce parti inorganisé depuis sa création en 2008, ne dispose des capacités organisationnelles et ressources humains nécessaires pour atteindre son objectif en 80 jours. Aussi, les électeurs dont ce parti est à la recherche ne peuvent provenir que du fichier électoral.
L’examen du fichier électoral guidé par les principes d’exactitude, d’exhaustivité, de mises à jour régulière, de sincérité, de transparence, de sécurité a conduit à la conclusion qu’il n’est pas fiable.
Ce fichier électoral est d’autant plus préoccupant, que 1 114 641 électeurs inscrits illégalement selon le rapport final de la mission d’audit de 2021 ou 1 515 189 selon celui provisoire, y sont toujours présents. Ces électeurs qui n’ont pas été formellement identifiés et localisés par aucune enquête de terrain pourraient bien être le réservoir des 1 500 000 électeurs dont la coalition au pouvoir est à la recherche pour gagner l’élection présidentielle de 2024 au 1er tour.
Aussi, il est légitime d’avoir de sérieux doutes sur la crédibilité des listes électorales en vue de l’élection présidentielle de 2024. Pire encore, l’État du Sénégal ne fait montre d’aucune transparence afin de créer la confiance nécessaire pour garantir un scrutin dans la paix, avant, pendant et après les élections de 2024.
Il est ainsi recommandé à l’État du Sénégal d’assumer ses responsabilités régaliennes telles qu’elles sont proclamées dans le préambule de la constitution du Sénégal, notamment, « l’inaltérabilité de la souveraineté nationale qui s’exprime à travers des procédures et consultations transparentes et démocratiques ».
Nonobstant l’adoption de cette recommandation par l’État du Sénégal, tout parti politique ou candidat doit saisir, en procédure accélérée, la Cour de justice de la CEDEAO d’une requête pour violation des droits de l’homme en raison d’un manque de fiabilité du fichier électoral élaboré dans l’opacité sans aucune transparence.
À défaut, de la saisine de la Cour de justice de la CEDEAO, le président élu à l’élection du 25 février 2024, n’accédera pas au pouvoir par une élection libre, honnête et transparente conformément à l’article 1 (b) du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance.
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L’impossible quête par le démarchage électoral de 1 500 000 électeurs
Les résultats des élections municipales et législatives de 2022, respectivement de 1 532 920 suffrages et 1 518 137 suffrages, ont révélé que ce parti disposait d’environ de 1 500 000 électeurs confirmés. Aussi, pour obtenir les 1 500 000 électeurs supplémentaires, ce parti politique a lancé une opération de vente de carte de membre dans les 46 départements du Sénégal et les 8 de la diaspora, du12 novembre 2022 au 30 janvier 2023, soit 80 jours.
Ce parti projette ainsi par un démarchage électoral d’enrôler chaque jour 18 750 nouveaux membres, déjà électeurs ou les inscrire lors de la révision des listes électorales, sur une période de 80 jours. Envisager de recruter autant de nouveaux membres sur cette courte période suscite un questionnement sur sa faisabilité.
La collecte à l’échelle nationale de données personnelles par un travail de terrain pour pouvoir créer une base de données de qualité sur des électeurs, implique la mobilisation de ressources financières, humaines, techniques, et organisationnelles très importantes, sans compter la durée. Aussi, dans les démocraties établies, vu qu’un tel travail est titanesque, le raccourci et le moyen le plus simple pour les partis politiques de créer des bases de données sur les électeurs consiste à exploiter les listes électorales. Elles sont alors enrichies avec les données collectées sur les réseaux sociaux et celles provenant de bases de données commerciales achetées. Le travail de porte à porte pour convaincre les électeurs à voter pour le candidat d’un parti politique démarre après la création de la base de données. Ainsi donc, dans une démocratie la quête de l’adhésion de l’électorat par la persuasion pour une assurer une victoire électorale est un travail ardu sur plusieurs années.
La clé de voûte d’un tel travail est un appareil politique très organisé, centralisé, hiérarchisé mais aussi décentralisé. Or, depuis sa création en 2008 jusqu’en 2022, le parti politique au pouvoir au Sénégal n’a pas été restructuré. Aussi, il est légitime de s’interroger sur ses capacités organisationnelles et ses ressources humaines disponibles pour mener de telles activités de collecte de données à l’échelle nationale.
D’ailleurs, depuis les quelques activités de lancement de cette opération de vente de carte de membre hyper médiatisées, il n’a pas été constaté d’informations dans la presse sur sa poursuite. Il est à noter que de telles activités à l’échelle d’un pays et sa diaspora ne peuvent pas, se dérouler à l’insu de l’opinion publique.
Les résultats de recherches de données médiatiques ne permettent pas d’obtenir des données empiriques qui permettent de confirmer la réalisation du démarchage électorale annoncée à l’échelle nationale et dans la diaspora.
En effet, une recherche directe sur le site web du parti politique au pouvoir n’a pas permis d’avoir des données, ni sur la collecte de parrains, ni sur le porte à porte. Une recherche indirecte effectuée sur les moteurs de recherche généralistes, n’a pas non plus permis d’obtenir des données empiriques qui attestent que le travail de terrain planifié a été effectué et que l’objectif de création de 130 000 comités de 50 membres a été atteint.
Ainsi, se pose la question de savoir pourquoi élaborer et médiatiser un projet électoral dont la réalisation s’arrête aux activités de lancement. Nous estimons que deux objectifs peuvent être poursuivis. D’abord, préparer l’opinion publique nationale à la victoire à la présidentielle de 2024, tout en informant que le travail pour, est en train d’être fait, et ensuite, la détourner de ce qu’ils ont planifié de faire pour obtenir la victoire à la présidentielle de 2024.
A cet égard, il est important de rappeler, qu’en perspective de la présidentielle de 2019, une campagne de communication similaire avait été déroulée pratiquement un an avant le scrutin, en médiatisant à outrance l’annonce d’une victoire au 1er tour à 57% au minimum. En outre, le parti politique au pouvoir et sa coalition avaient aussi beaucoup communiqué sur leur adoption des pratiques d’une campagne électorale moderne à l’américaine fondée sur le «Big data»: Collecte massive de données sur des électeurs, notamment, celles de plus de 3 500 000 parrains, le recours aux technologies numériques et le travail de terrain par le porte à porte, sur fond de méga meetings.
Toutefois, une recherche directe sur le site web de la coalition au pouvoir n’a pas permis d’avoir des données, ni sur la collecte de parrains, ni sur le porte à porte. Une recherche indirecte effectuée sur le moteur de recherche généraliste Google n’a pas abouti à la collecte de données empiriques suffisantes sur ces pratiques de campagnes électorales en 2019. Enfin, l’examen de leur programme de campagne électorale à la présidentielle de 2019 révèle que cette coalition avait implémentée une campagne électorale classique plutôt que celle déclinée via leur campagne de communication.
Il est ainsi déduit de ce qui précède, que le parti au pouvoir ne peut pas enrôler 1 500 000 électeurs en 80 jours. Dès lors, se pose la question de savoir comment peut-il les obtenir afin d’avoir les 3 000 000 d’électeurs qui permettront, en privant de vote environ 4 000 000 d’électeurs sur des listes électorales de 7 400 000 inscrits, de gagner au 1er tour la présidentielle de 2024.
Afin d’investir cette question de recherche, nous commençons par poser l’hypothèse que le parti au pouvoir se procurera les 1 500 000 électeurs nécessaires à la victoire au 1er tour en 2024 par des inscriptions irrégulières de nouveaux électeurs et parmi les inscrits dans le fichier électoral.
Dans le cadre de cette recherche, nous adoptons l’approche philosophique du réalisme critique et la méthode de l’étude de cas. La méthode de recherche par étude de cas guidée par le réalisme critique est bien adaptée à la recherche explicative qui aborde les questions du « comment » et du « pourquoi », tout en visant à explorer les événements sociaux dans un contexte donné pour révéler les mécanismes causals.
La philosophie de recherche du réalisme critique a une approche très œcuménique de la collecte de données. Aussi, nous avons opté de faire des données médiatiques, la source de nos données empiriques afin de pouvoir répondre à notre question de recherche. Les données médiatiques sont, au sens large, celles provenant des médias électroniques, presse écrite, télévision, réseaux sociaux et messagerie électronique.
Il est d’abord à faire remarquer que, quel que soit l’influence qu’on a sur un électeur, il devient incontrôlable dès qu’il entre dans le bureau vote et l’isoloir, donc, l’obtention de son suffrage n’est pas assurée à 100%, et ensuite, sa capacité à l’exprimer valablement, n’est pas aussi exempte de risques d’erreurs. Ainsi, un électeur est faillible et par conséquent, son suffrage valablement exprimé n’est garantie pas pour la victoire au scrutin de 2024. Aussi, le vote alternatif qui garantit la victoire électorale est celui de l’électeur fictif. En effet, son vote est sous contrôle total et son suffrage est certifié car il n’existe pas réellement ou il est décédé. Cependant, pour pouvoir obtenir un tél suffrage, il faut d’abord l’inscrire sur les listes électorales.
La probabilité d’un tel scenario interroge sur les possibilités d’inscriptions irrégulières d’électeurs dans le fichier électoral du Sénégal. Autrement dit, des électeurs fictifs peuvent-ils être inscrits dans le fichier électoral? L’investigation de la fiabilité du fichier électoral duquel seront tirées les listes électorales définitives qui seront utilisées dans les bureaux de vote de l’élection présidentielle de 2024, nous permettra de répondre à cette question.
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Examen de la fiabilité du fichier électoral en vue de la présidentielle de 2024
Avant de commencer l’exercice, il est à rappeler que le fichier électoral duquel seront extraites les listes électorales de l’élection présidentielle de 2024 est issu de la refonte partielle du fichier général des électeurs de 2016.
Cette refonte partielle a été organisée par l’État du Sénégal en le justifiant par des motifs contraires aux conclusions du rapport de la mission d’audit du fichier électoral de 2010 (pages 7, 8, 9) dont les plus remarquables étaient les suivantes : 75% de la population majeure sénégalaise est inscrite sur les listes électorales, 97,8% des inscrits ont pu être formellement identifiés, 2,3% des inscrits (soit 115 000 individus) sont aujourd’hui décédés, aucun cas de dénonciation d’étrangers sur les listes électorales. En tenant compte des résultats de cet audit de 2010, le fichier électoral était fiable jusqu’en 2016. Aussi, les motifs de cette refonte du fichier électoral de 2016 étaient autres que le manque de fiabilité évoqué par l’État du Sénégal.
Depuis cette refonte partielle du fichier électoral de 2016, les taux d’abstention sont toujours élevés, alors que son objectif principal était d’améliorer la participation: Législatives de 2017, 46,33 %, Présidentielle 2019, 33,73%. Aux élections municipales de 2022, 3 439 559 n’ont pas voté, soit un taux d’abstention record de 52,01 %, tandis qu’aux législatives de 2022, 3 757 356 électeurs n’ont pas voté sur un fichier électoral de de 7 036 466 inscrits, soit un autre taux d’abstention record de 53,4 %. Fort de ces constats, il est légitime de se poser des questions sur la fiabilité du fichier électoral actuel duquel seront extraites les listes électorales de l’élection présidentielle de 2024.
Un fichier électoral fiable est la clé de voûte pour garantir des élections libres, honnêtes dont les résultats ne peuvent pas être contestés. Aussi, l’étroite surveillance et l’application strictes des procédures d’inscription électorale applicables sont essentielles à l’intégrité d’une élection. En effet, l’inscription des électeurs est une des étapes du processus électoral où il existe de nombreuses possibilités pour manipuler les résultats de l’élection bien avant le jour du scrutin. Par conséquent, des efforts particuliers sont à déployer pour veiller à la fiabilité des listes électorales.
Des listes électorales sont qualifiées de fiables au regard de leur respect des 6 principes suivants :
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Exactitude : Elles reflètent la situation réelle des électeurs, sans comporter de doublons, d’inscriptions irrégulières, d’électeurs fictifs, d’erreurs ou d’omissions ;
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Exhaustivité : Elles comprennent tous les citoyens qui remplissent les conditions pour être électeurs, sans en exclure aucun pour des raisons arbitraires ou discriminatoires ;
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Sincérité: Elles représentent fidèlement la réalité. Que les électeurs inscrits sur les listes électorales ne sont pas fictifs et qu’ils peuvent être formellement identifiés comme des personnes physiques résidant ou ayant résidé dans la commune indiquée ;
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Transparence : Elles sont accessibles au public, aux citoyens, aux candidats et aux observateurs, qui peuvent les consulter et les vérifier ;
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Mises à jour régulière : Elles prennent en compte les changements de situation des électeurs, comme les nouvelles adresses de résidence, les changements de statuts, les pertes et les acquisitions de droits civils et politiques et enfin les décès;
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Sécurité : Elles sont protégées contre les manipulations frauduleuses et les piratages.
L’examen de ce fichier électoral est guidé par les principes énoncés ci-dessus à la lumière des résultats de la dernière mission d’audit de 2021. Pour rappel, il est la résultante de la refonte partielle du fichier électoral de 2016 et des révisions exceptionnelles de 2018, de 2021, de 2022 et de 2023. En outre, il est à faire observer que parmi les paramètres définis par cette mission d’audit de 2021 pour qualifier un fichier électoral de fiable (Page 20), il en manque deux (2) qui sont essentielles et incontournables: Celui de sincérité et de transparence.
Enfin, Il est à noter qu’un audit est une analyse d’un système à un instant donné. Un fichier électoral étant une base de données dynamique en constante évolution, les résultats de l’audit de 2021 ne sont peut-être plus des données probantes en 2023. Toutefois, ils peuvent fournir des indicateurs pour évaluer le fichier électoral en vue de la présidentielle de 2024.
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Exactitude
La mission d’audit a constaté qu’un effectif de 214 199 électeurs, soit 3,2% du fichier total des électeurs a été inscrit sans empreintes non disponibles ou empreintes non exploitables (Rapport final, page 87). Aucune donnée probante n’est produite pour étayer que les empreintes de ces électeurs ne sont pas disponibles ou exploitables. Pire encore, l’absence d’empreintes digitales de 22 560 électeurs est justifiée par la motif «Demandeur absent» (Rapport final, page 87). Ainsi donc, il est possible d’inscrire des électeurs dans les listes électorales sans la présence physique du demandeur. Le recours au système AFIS est ainsi sans objet car la capture des empreintes digitales est censée, d’abord étayer que le demandeur est une personne physique, et ensuite, de garantir l’unicité de l’électeur.
En outre, la mission d’audit a indiqué que 900 442 électeurs ont été inscrits avec un extrait de naissance de 2016 à 2018 (Rapport final, page 78). Des électeurs au nombre de 635 136 ont été inscrits illégalement lors de la refonte partielle des listes électorales de 2016, et 265 306, l’ont été lors de la révision exceptionnelle de 2018 en vue de la présidentielle de 2019.
En effet, l’article 1.1 du décret n°2016-2034 du 19 Décembre 2016 modifiant le décret n°2016-1535 portant refonte partielle listes électorales (Voir page 88) n’est pas conforme à l’article L40 du code électoral. Tandis que l‘art.4.1 du décret n°2018-476, portant révision exceptionnelle des listes électorales en vue de l’élection présidentielle du 24 février 2019, dispose que l’inscription est faite sur présentation de la carte d’identité biométrique CEDEAO ou d’un récépissé de demande de carte d’identité biométrique. Le dernier alinéa de cette disposition n’est pas conforme à l’article L40 du code électoral.
Ces inscriptions illégales faites sur la base d’un extrait de naissance datant d’au moins un (1) an, accompagné d’un certificat de résidence, avaient déjà été signalées par la Commission Électorale Nationale Autonome dans son rapport sur les élections législatives de 2017 (Voir page 20). Non seulement les inscriptions étaient illégales mais l’authenticité des documents était sujette à caution.
En outre, la mission d’audit du fichier électoral de 2018 avait indiqué dans son rapport (Voir page 35) l’utilisation de certificats de résidence de complaisance et de faux extraits de naissance pour s’inscrire sur les listes électorales ou opérer des transferts d’électeurs fictifs. De telles manœuvres frauduleuses dans plusieurs circonscriptions pourraient influencer les résultats des élections locales prévues en 2019.
Enfin, des demandes suspectes de changement du lieu de vote, représentent 8,5% des demandes d’inscription, soit 568 071 électeurs, ont été enregistrés sur le fondement de la compétence nationale des commissions administratives. Des opérations de modification illégales car l’article 1 du décret n°2016-35 du 29 Septembre 2016 portant refonte partielle des listes électorales (Voir page 78) n’est pas conforme à l’article L.39 de la Loi n° 2014-18 du 15 avril 2014 abrogeant et remplaçant la loi n° 2012-01 du 03 janvier 2012 portant code électoral qui dispose que les commissions administratives des communes sont compétentes dans leur ressort.
Pour rappel, la compétence nationale ne permet pas un contrôle efficace de la véracité des liens de l’inscrit avec l’adresse électorale présentée. En sus, il y a l’impossibilité de vérifier l’authenticité des actes de résidence présentés aux commissions administratives. Ainsi, la mission d’audit du fichier électoral de 2010 avait recommandé l’abrogation de la compétence nationale du code électoral (Voir page 69). Depuis lors, elle a été retirée aux commissions administratives dans les versions du Code électoral de 2012, 2014, 2017 et 2021. Par conséquent, toute opération effectuée en vertu de la compétence nationale est illégale.
Dans son rapport provisoire, la mission d’audit a révélé la production de 400 548 cartes avec données électorales sur la période du 25 février 2019 au 25 février 2021 (Voir page 12). Il est à rappeler que la dernière révision des listes électorales date de 2018. Aussi, de nouvelles cartes d’identité avec données électorales ne peuvent être produites à cause d’un changement d’adresse électorale ou de statut d’un électeur. A moins qu’elles ne soient des duplicata suite à une perte, ce qui serait encore beaucoup plus suspect vu le nombre de cartes produites. Enfin, il est à observer que cette constatation a disparu du rapport final de la mission d’audit et aucune explication n’est donnée (Rapport final, page 14).
Tous ces constats de la mission d’audit sont alignées d’une part, sur les accusations de l’ancien président du Sénégal contre le candidat Macky Sall d’avoir fait inscrire dans les listes électorales 352 420 faux électeurs avant l’élection présidentielle de 2019, et d’autre part après ce scrutin, celles d’un autre homme politique qui informe de l’inscription de prés d’1 000 000 d’électeurs fictifs dans le fichier électoral avec des actes d’états civils non valables.
Nous n’avons pas pu constater de démenti de l’intéressé sur ces accusations. Il a plutôt déclaré lors du dialogue national après sa victoire au 1er tour à l’élection présidentielle de 2019: «Je ne suis pas dans des manœuvres frauduleuses. Je n’ai plus de raisons de faire des manœuvres frauduleuses. C’est fini, il n’y a plus d’enjeux pour moi. Donc, le seul enjeu, c’est le Sénégal.».
En outre, un candidat à l’élection présidentielle de 2019 a publié un «libre blanc» dans lequel il décrit la fraude inédite à l’état civil pour des inscriptions frauduleuses sur le fichier électoral. Il indique en effet avoir recensé 155 248 doublons. Dans un document publié par la presse, ces accusations ont été rejetées par le Ministre de l’intérieur tout en admettant que le Sénégal n’est pas épargné par les problèmes d’état-civil dont souffrent nombre de pays africains.
Enfin, la mission a constaté l’existence d’électeurs inscrits hors période d’enrôlement (Rapport final, page 79). Même si le nombre est minime au moment de l’audit (40 électeurs), cette découverte révèle que la procédure d’inscription n’est sécurisée contre les fraudes.
Toutes ces constatations de la mission d’audit du fichier électoral de 2021 auraient dû la conduire à la conclusion que 1 515 189 électeurs ont été inscrits illégalement dans le fichier électoral de 2016 à 2021. Et ainsi, recommander la radiation de toutes ces inscriptions illégales des listes électorales et préconiser des mesures pour y mettre fin. Il est plutôt constaté qu’aucune de ses recommandations (Voir pages 16 – 19) ne traite des inscriptions illégales d’électeurs dans le fichier électoral. Il est alors à s’interroger sur la poursuite de telles pratiques illégales depuis 2021.
Certes, aussi bien à la révision exceptionnelle des listes électorales de 2021 qu’à celle de 2022, l’inscription devait se faire que sur présentation exclusive de la carte d’identité biométrique de la CEDEAO. On ne pouvait faire une demande d’inscription avec un extrait de naissance et un certificat de résidence et que les commissions administratives n’avaient plus la compétence nationale. Toutefois, il était toujours possible de faire des inscriptions hors période de révision des listes électorales et sans la présence du demandeur (Rapport final, pages 79, 87).
A défaut de la radiation des 1 114641 inscrits illégalement selon le rapport final de la mission d’audit ou 1 515 189 selon celui provisoire et de la correction des failles de sécurité qui permettent des inscriptions frauduleuses, il est à conclure que le fichier électoral en vue de l’élection présidentielle de 2024 n’est pas actuellement exact, et ne le sera pas d’ici 2024.
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Exhaustivité
Les personnes inscrites sur les listes électorales peuvent s’approcher de deux manières distinctes et complémentaires pour évaluer leur exhaustivité :
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Par les données issues du recensement général de la population qui ont été projetées jusqu’en 2021, et une structure par âge de la population du Sénégal qui est disponible. A cette information, vient s’ajouter le fichier électoral;
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Par les données d’une enquête, en se fondant sur la structure par âge de la population au Sénégal, données de l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD).
Dans son rapport, la mission d’audit indique que le taux de couverture de l’inscription, est évalué à 75,7 % de la population résidente. En d’autres termes, sont inscrits dans le fichier électoral 6 373 449 Sénégalais sur une population électorale de 8 413 851 en 2019 (Rapport final, page 104). Ainsi, 2 040 402 Sénégalais en âge de voter n’étaient pas encore inscris sur les listes électorales en 2019.
Cette audit du fichier électoral s’est déroulé en 2021. Il est aussi à noter que de 2018 à la publication du rapport final de cette mission d’audit en mai 2021, il n’y a pas eu de révisions des listes électorales. Par conséquent, pour donner une évaluation du taux de couverture de l’inscription qui se rapproche de la réalité démographique, la mission d’audit aurait dû rapporter le nombre d’inscrits de la population résidente de 2018 (6 373 449 électeurs) à la population électorale de 2021. Cette dernière était de 8 960 157 personnes. Aussi, le taux de couverture de l’inscription, est en réalité de 71,1 %. Autrement dit, 2 586 708 Sénégalais en âge de voter n’étaient inscrits sur les listes électorales jusqu’en mai 2021. A la lumière de tous ces constats, la conclusion de la mission d’audit sur le taux de couverture de l’inscription n’est pas conforme à la réalité. Elle est erronée.
La mission avance également que le fichier est également représentatif au niveau des communes, à l’exception de quelques-unes dans lesquelles, il y eu des suspicions sur la délivrance de certificats de résidence (Rapport final, page 13-14). Une telle conclusion de la mission d’audit questionne pour deux raisons. D’abord, leur analyse de la population électorale de 2021 est fondée sur des statistiques de 2016 à 2019, et ensuite, la mission d’audit avoue l’indisponibilité des données sur la population électorale des communes (Rapport final, page 113). En considérant tout ce qui précède, 2 586 708 Sénégalais en âge de voter étaient encore exclus des listes électorales jusqu’en mai 2021
Enfin, suite à l’estimation du taux de couverture en ayant recours au données de l’ANSD et au fichier électoral une enquête aurait dû être menée, par la mission d’audit, afin de percevoir qui n’était pas inscrit sur les listes électorales et d’en comprendre les raisons. On aurait pu savoir, au terme de l’enquête, parmi les personnes éligibles à être électeur au Sénégal, qui n’est pas inscrit et pourquoi.
Une telle investigation n’a pas été conduite durant l’audit du fichier électoral de 2021. Dès lors, il est à considérer que cette mission d’audit n’a pas pu établir qu’il est exhaustif. En effet, la mission d’audit n’a pas pu répondre à un certain nombre de préoccupations légitimes quant à l’exhaustivité du fichier électoral, plus particulièrement de savoir : Si tous les Sénégalais en droit d’être inscrits et qui ont fait la démarche nécessaire sont bien inscrits sur les listes électorales ? Sinon, pourquoi?
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Mises à jour régulière
Il faut des mises à jour régulières, qui doivent être au moins annuelles pour que les listes électorales soient qualifiées de fiable. Les listes électorales à jour sont importantes car elles permettent de vérifier que seuls les électeurs ayant le droit de voter participent à un scrutin et qu’aucun électeur n’est privé de son droit de vote. Toutefois, il est à noter qu’un tel indicateur n’a pas été évalué pendant l’audit du fichier électoral de 2021. Il n’était pas dans les termes de référence.
Il est ainsi capital que des révisions des listes électorales soient organisées sur des périodes suffisamment longues afin que les opérations d’inscriptions, de modification et de radiation d’électeurs puissent être effectuées.
Cependant, le constat est que depuis la refonte du fichier électoral en 2016, aucune révision annuelle d’au moins 6 mois n’a été organisée. L’Etat du Sénégal n’a organisé que 4 révisions exceptionnelles de courtes durées pour une population électorale de plus de 2000000 de personnes.
Ainsi, celle organisée pour l’élection présidentielle de 2019 a duré 2 mois (du 1ermars au 30 avril 2018), tandis celle des élections territoriales de janvier 2022, a été de 45 jours (31 juillet au 14 septembre 2021). Celle des législatives de 2022 a duré 15 jours (du 7 au 21 mars 2022). Enfin, sur le fondement de l’article 37.5 du code électoral de Juillet 2021, ledécret n°2023-464 portant révision exceptionnelle des listes électorales en vue de l’élection présidentielle du 25 février 2024 a été pris pour organiser une révision exceptionnelle des listes électorales du 6 avril au 6 mai 2023. Théoriquement 30 jours, mais en réalité les commissions administratives ont fonctionné 230 heures, soit neuf (9) jours et 14 heures.
L’absence d’un un délai suffisant pour permettre, d’une part à plus de 2000000 de Sénégalais de pouvoir s’inscrire, et d’autre part, aux électeurs de faire des modifications sur leurs données électorales, conduit à la conclusion que les listes électorales, en vue de l’élection présidentielle de février 2024, ne sont pas à jour.
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Sincérité
L’indicateur relatif à la sincérité du fichier électoral n’était pas inclus dans les termes de référence de la mission d’audit du fichier électoral de 2021, malgré qu’inscrire des électeurs en s’assurant que tous les champs requis par la loi présentent une complétude totale, que le fichier électoral garantie l’unicité de l’électeur, ne sont pas des indicateurs suffisants pour qualifier un fichier électoral de fiable.
Parmi les craintes récurrentes sur les listes électorales, les soupçons vont d’abord vers les électeurs fictifs, ce serait des électeurs volontairement introduits dans le système pour pouvoir faire voter des personnes non autorisées, et ensuite la migration, notamment la présence d’électeurs déplacés, avec un risque de double enregistrement dans la base de données, puis de doubles votes. En sus, il est aussi important de mesurer l’importance du nombre de personnes ayant perdu leurs droits civiques et politiques et les décès figurant toujours sur les listes électorales.
En outre, il y a les erreurs volontaires ou non d’attribution de bureaux de vote ou d’attribution de bureaux de vote inaccessibles, plus précisément excessivement éloignés des électeurs, les privant ainsi de leur droit de vote.
Enfin, parmi les personnes inscrites sur les listes électorales, certains peuvent ne pas avoir en leur possession leur carte d’électeur. Il peut y avoir de la rétention ou que leurs cartes soient remises à un politicien ou à un personnage faisant des promesses d’emploi, en nature ou financier, même si la carte d’électeur représente une pièce d’identité qui n’a pas à être partagée.
Toutes ces pratiques peuvent être des manœuvres frauduleuses de nature à fausser la sincérité des listes électorales. Aussi, il est ainsi crucial de s’assurer que les listes électorales sont sincères. Afin d’y parvenir une enquête de terrain est à mener.
Il s’agit d’aller à la rencontre des personnes inscrites sur les listes électorales, et leur administrer un questionnaire en obtenant leurs adresses de résidence. À cet effet, le croisement du fichier des Cartes Nationale d’Identité (CNI) avec le fichier électoral et la carte électorale permet d’avoir une adresse de résidence des inscrits sur le fichier électoral.
Sur le seul fichier des Cartes d’électeurs ne sont pas disponibles les adresses de résidence des personnes, ni d’ailleurs aucune donnée sur l’état civil de ces personnes. Toutefois, lorsqu’une personne demande un changement d’adresse électorale (avec un certificat de résidence à l’appui, comme stipulé par le Code électoral), se pose la question de savoir si sa nouvelle adresse de résidence est mise à jour dans le fichier des CNI.
Le rapport final de la mission d’audit de 2021 révèle que 1 114 641 ont été inscrits illégalement et qu’il y a eu des demandes suspectes de changement de lieu de vote de 568 071 électeurs. Tandis que le rapport provisoire met en évidence l’inscription illégale de 1 515 189 électeurs. De tels constats amènent naturellement à s’interroger sur l’existence de ces électeurs. Aussi, à défaut de recommander la radiation de ces électeurs, la mission d’audit aurait dû organiser une enquête auprès de la population du Sénégal pour vérifier si ces électeurs existent réellement.
Une enquête de terrain était à réaliser sur l’ensemble du territoire du Sénégal pour rechercher les électeurs dans la population afin de les identifier formellement comme résidant ou ayant résidé dans le quartier ou le village, qu’ils sont toujours vivants et qu’ils ne sont pas des étrangers et qu’ils sont en possession de leur carte d’électeur.
Les données d’enquête de terrain viendraient ainsi compléter les données obtenues à partir de l’analyse des données contenues dans le fichier électoral. Elles viendraient apporter un autre éclairage sur les listes électorales, proposer des estimations qui ne pouvaient être obtenues sans recourir à la rencontre avec la population.
Une telle investigation ne fut pas menée, à l’audit du fichier élection aussi bien en 2018, qu’en 2021. Les résultats d’une enquête de terrain sont les seuls indicateurs à pouvoir confirmer ou infirmer les constats théoriques et la pertinence de certaines recommandations formulées dans d’autres phases de l’audit, mais surtout rassurer les opposants sur la fiabilité du fichier électoral. Cette lacune de l’audit du fichier électoral de 2021 remet en cause la sincérité du fichier électoral en vue de l’élection présidentielle de 2024.
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Transparence
La transparence du fichier électoral n’a pas fait l’objet d’un examen par la mission d’audit de 2021, car elle n’était pas dans les termes de référence. Or, le standard minimum en ce qui concerne l’élaboration et la gestion du fichier électoral est l’exigence d’une totale transparence.
La transparence exige d’abord que les listes électorales doivent être élaborées avec tous les acteurs, en particulier, les partis politiques et ensuite mises à la disposition du public. Elles sont rendues publiques en les affichant dans les bureaux municipaux et/ou en les publiant sur des sites web à des fins d’inspection et de contrôle public, sans que cela entraîne de frais indus pour la personne qui demande à les consulter, particulièrement les personnes qui remplissent les conditions pour être électeurs.
Que les listes électorales ne soient pas élaborées et gérées dans la transparence, en impliquant les partis politiques, ne fait que nourrir les allégations de fraudes de nature à compromettre la sincérité d’une élection.
Toutefois, l’inscription des électeurs ainsi que les opérations de modification de données électorales, de même que toute autre activité humaine, n’est pas pleinement à l’abri d’erreurs non intentionnelles. Ainsi, il peut y avoir des erreurs dans les listes électorales, mais elles ne sont pas nécessairement un indicateur de fraude.
Aussi, l’exactitude des listes électorales dépend d’une part de l’implication des partis politiques et d’autre part de leur accès par les citoyens. Ainsi, ces derniers peuvent signaler en temps utile tous les changements intervenus en ce qui concerne leurs données personnelles et leur domicile. La transparence est donc indispensable d’abord pour améliorer l’exactitude des listes électorales, et ensuite de pouvoir les qualifier de fiables.
À 6 mois de l’élection présidentielle de 2024 et plus de 2 mois après la révision exceptionnelle des listes électorales, le fichier électoral du Sénégal est établi dans l’opacité.
Les Sénégalais ne disposent actuellement d’aucune possibilité pour consulter listes électorales. En effet, le portail en ligne qui permet de vérifier sa présence sur le fichier électoral et de consulter sa situation électorale afin de s’assurer de sa conformité avec sa carte d’électeur n’est plus fonctionnel. Toute tentative de consultation affiche le résultat suivant: «Aucun résultat ne correspond à votre recherche sur le fichier électoral. Réessayez, vérifier les informations saisies» (Dernière consultation le 20 septembre 2023 à 13H26).En outre,le numéro vert 800-00-2017 du centre d’appel n’est plus fonctionnel.
Et pour rendre le portail en ligne inaccessible, son lien de connexion qui se trouvait sur la page d’accueil du site de la Direction Générale des Élections (DGE) a été supprimé. Ainsi, on ne peut plus accéder au portail via le site web de la DGE. Désormais, on ne peut y accéder qu’en connaissant l’adresse: https://elections.sec.gouv.sn/
L’absence d’informations sur les listes électorales est une violation de la loi par l’Etat du Sénégal. En effet, laDirection générale des élections (DGE) doit faire la diffusion de l’information technique relative aux élections, notamment, celle qui concerne la mise en œuvre du processus électoral et les diverses statistiques (Article R.2.14 du décret n°2021-1196 portant partie réglementaire du code électoral), tandis que laCommission électorale nationale autonome (CENA) doit informer régulièrement l’opinion publique de ses activités (Art.L.20 du code électoral), notamment, celles visant à superviser et contrôler l’établissement et la révision des listes électorales (Art.L.11.2 du code électoral).
L’État du Sénégal en ne publiant pas les statistiques sur les listes électorales et en ne permettant pas aux Sénégalais de les consulter, n’élabore pas et ne gère pas les listes électorales dans la transparence. Ce manque de transparence de l’Etat du Sénégal représente une défaillance significative dans la gestion du fichier électoral en vue de l’élection présidentielle de 2024.
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Sécurité
La sécurité informatique ou cyber sécurité en contexte électoral représente un enjeu majeur car les élections représentent une infrastructure nationale critique. Elle consiste à protéger les systèmes, les réseaux, les logiciels et les données connectés à Internet de tout accès ou usage non autorisé.
Il n’existe aucune technologie à l’abri des piratages ni aucune procédure manuelle entièrement viable. Toutefois, il est possible de limiter les risques d’attaques réussies grâce à l’adoption de mesures d’intégrité, d’audit et de contrôle mais aussi par l’hygiène informatique.
Les risques informatiques en contexte électoral comprennent les exploitations de vulnérabilités en vue de nuire à l’intégrité du processus électoral. Les vulnérabilités sont des failles dans le processus électoral informatisé qui exposent ce dernier à des attaques. Ces failles peuvent être aussi bien technologiques (appareils, logiciels ou réseaux défectueux) que liées à des procédures inadaptées. Parmi les différents risques importants, il est à noter les attaques contre les dispositifs technologiques d’enregistrement des électeurs, la confidentialité, l’intégrité et l’accessibilité des données.
Les préoccupations sur la sécurité informatique des élections ont presque toujours concerné le vote électronique. Les pays utilisant un système de vote manuel étaient donc considérés comme à l’abri des attaques informatiques. Cependant, il est désormais établi que presque tous les processus électoraux font un usage des technologies numériques, y compris pour l’inscription des électeurs, la gestion des listes électorales ainsi que pour le calcul et la publication des résultats. Chacun de ces procédés peut constituer la cible d’attaques, à moins de faire l’objet d’une évaluation des vulnérabilités par un audit afin de prendre les mesures de sécurité adaptées.
À la lumière de ce qui précède, même si un objectif spécifique sur la sécurité information n’a pas été définie dans les termes de référence de la mission d’audit du fichier électoral de 2021, elle a fait l’objet d’une investigation (Rapport final mission d’audit. Page 96, 119).
Sur l’infrastructure technologique (appareils, logiciels ou réseaux de télécommunication) et les ressources humaines, la mission d’audit a constaté un certain nombre de manquements. Parmi ces derniers, on peut noter: L’absence d’un « Disaster recovery center » ou un plan de reprise de service avec une procédure détaillée pour une continuité de service en cas de sinistre, des faiblesses de sécurité liées au manque de système de détection et d’extinction automatique d’incendie, pas de sécurité physique d’accès, etc. En outre, depuis l’installation de la solution globale en 2016 à la faveur de la refonte partielle des listes électorales, il n’y a pas eu de recrutement de personnel et les domaines dans lesquels un transfert de compétences serait nécessaire n’ont pas été identifiés. Ainsi, jusqu’en 2021 le recrutement d’un personnel technique de haut niveau s’avérait nécessaire, notamment, 2 ingénieurs en sécurité système, et 2 en télécommunications.
Enfin, il est noté que la mission d’audit n’a pas évalué l’adéquation des procédures d’administration du système, quoique, l’absence d’explications sur les électeurs ayant déposé leurs demandes d’inscription sur les listes électorales le lendemain du jour officiel de clôture des inscriptions, était un motif suffisant pour le justifier.
En effet, des électeurs ont été inscrits hors période d’enrôlement (Rapport final, page 79). Même si le nombre est minime (40 électeurs), au moment de l’audit, ce constat révèle combien le système est manipulable pour faire des inscriptions frauduleuses en nombre illimité.
Les manquements constatés sur l’infrastructure technologique sont si critiques, qu’il est à considérer que le nécessaire a été fait pour les résoudre. Par contre, sur les procédures d’administration du système des préoccupations persistent car elles n’ont pas fait l’objet d’une évaluation, encore moins de recommandations pour prendre en charge celles inadaptées. Cette faille sécuritaire demeure dans le système. Il échet de convenir qu’il est toujours possible d’inscrire des électeurs sur le fichier électoral hors périodes de révision des listes électorales.
À la lumière de tous ces constats sur les 6 indicateurs de fiabilité d’un fichier électoral (Exactitude, Exhaustivité, Mises à jour régulière, Sincérité, Transparence, Sécurité), il est à conclure que le fichier électoral n’est pas fiable. Aussi, il est légitime d’avoir de sérieux doutes sur la crédibilité des listes électorales en vue de l’élection présidentielle de 2024. Pire encore, l’État du Sénégal ne fait montre de transparence afin de créer la confiance nécessaire pour garantir un scrutin dans la paix, avant, pendant et après les élections de 2024.
Ce fichier électoral est d’autant plus préoccupant, que 1 114641 électeurs inscrits illégalement selon le rapport final de la mission d’audit de 2021 ou 1 515 189 selon celui provisoire, y sont toujours présents. Ces électeurs qui n’ont pas été formellement identifiés et localisés par aucune enquête de terrain pourraient bien être le réservoir des 1500000 électeurs dont la coalition au pouvoir est à la recherche pour gagner l’élection présidentielle de 2024 au 1er tour.
A cet égard, il est important de rappeler que des législatives de 2017 avec 1 637761 suffrages à la présidentielle de 2019 avec 2 555426 suffrages, le parti au pouvoir et sa coalition n’ont obtenu que des suffrages de 917 665 électeurs supplémentaires pour gagner la présidentielle de 2019 au 1er tour.
Par conséquent, en tenant compte des 1 518 137 suffrages obtenus aux législatives de 2022 et de l’abstention record de 3 757 356 électeurs, la projection du parti politique au pouvoir de gagner au 1er tour l’élection présidentielle de 2024 avec 3000000 suffrages est réalisable, s’il réussit à priver de vote 4000000 d’électeurs sur un fichier électoral de 7400000 inscrits.
Plus de 2000000 sont d’ores et déjà exclus durant cette période préélectorale par une révision exceptionnelle des listes électorales de très courte durée. Les 2000000 restants seront privés de vote durant la période électorale par des pratiques discriminatoires dont ils ont l’expérience: Modification carte électorale et délocalisation de bureaux de vote à l’insu des électeurs, mauvaise distribution et rétention de cartes d’électeurs, etc.
Il reste maintenant à savoir comment transformer en suffrages valablement exprimés le vote des 1 500 000 électeurs dont ce parti au pouvoir a besoin pour la victoire au 1er tout et qui sont déjà présents dans le fichier électoral. C’est l’étape la plus capitale de cette stratégie électorale et elle est implémentée le jour du scrutin.
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Recommandations à l’Etat du Sénégal
En définitive, l’examen du fichier électoral en vue de l’élection présidentielle de 2024 conduit à la conclusion qu’il n’est pas confectionné conformément àl’article 5.1 du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO, qui dispose: «Les listes électorales seront établies de manière transparente et fiable avec la participation des partis politiques et des électeurs qui peuvent les consulter en tant que de besoin.»
En conséquence, l’État du Sénégal doit assumer ses responsabilités régaliennes telles qu’elles sont proclamées dans le préambule de la constitution du Sénégal, notamment, «l’inaltérabilité de la souveraineté nationale qui s’exprime à travers des procédures et consultations transparentes et démocratiques».
Il est ainsi recommandé à l’État du Sénégal, dès à présent, dans l’esprit de l’article 5.1 du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO:
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De mettre à la disposition des Sénégalais, en les rendant public, les listes électorales en vue de la présidentielle de 2024, pour un contrôle citoyen ;
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D’organiser pour s’assurer de la fiabilité des listes électorales, des séances spéciales de vérification des listes électorales, au cours de laquelle des observateurs et des représentants de partis politiques, de candidats avec le concours d’experts en informatique de leur choix ;
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D’élaborer une carte électorale définitive en impliquant des observateurs et des représentants de partis politiques, de candidats afin d’éviter que des électeurs soient privés de vote par la création ou la délocalisation de bureaux de vote qui ont entaché l’élection présidentielle de 2019.
L’État du Sénégal est invité à mettre en œuvre toute observation issue des consultations citoyennes, des observateurs, des partis politiques et des candidats en vue de fiabiliser le fichier électoral.
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Recours à la cour de justice de la CEDEAO
Nonobstant l’adoption de ces recommandations par l’État du Sénégal, son manquement à ses obligations en vertu de l’article 5 du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO ne garantit pas l’exercice du droit de vote à aucun des électeurs Sénégalais. Une violation des droits de l’homme par l’État du Sénégal.
Pour rappel, le droit de vote est garanti par l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 25 (b) du PIDCP, l’article 13 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, les articles 3.7, 4.2 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, et enfin l’article 1 (d) du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO.
Dès lors, tout parti politique ou candidat doit saisir, en procédure accélérée, la Cour de justice de la CEDEAO d’une requête pour violation des droits de l’homme par l’État du Sénégal.
Le recours d’un parti politique ne peut pas être déclarée irrecevable car la restriction du droit de vote peut parfaitement léser un parti politique, structure dont la vocation consiste précisément à solliciter le suffrage des citoyens et à participer à la gestion des affaires publiques. Non seulement les textes qui régissent la Cour de justice de la CEDEAO n’excluent pas que celle-ci puisse être saisie par des personnes morales, à la condition qu’elles soient victimes, (article 10 (d) du Protocole de 2005), mais ce serait déraisonnable qu’elle refuserait à des partis politiques le droit de la saisir dès lors que des droits liés à leur vocation relative aux processus électoraux étaient violés.
La crédibilité d’un processus électoral dépend du respect des droits de l’homme. Cependant, à l’élection présidentielle de 2019, en sus d’un fichier électoral non fiable, le processus électoral s’est déroulé dans des conditions telles que les obligations qui incombent à l’État du Sénégal en vertu du droit international des droits de l’homme, tels que le droit de participation, la liberté de vote, le secret du vote, les droits à l’égalité et à la non-discrimination, n’ont pas été respectés.
Celui en cours pour le scrutin de février 2024 est encore pire. Non seulement, il est aligné sur celui de 2019, mais sont aussi constatés des violations des droits de l’homme telles que des arrestations et détentions arbitraires, des mauvais traitements et des tortures, des droits à la liberté d’opinion et d’expression, à la liberté de réunion pacifique, d’association et de circulation, le droit de ne pas être victime de discrimination et de violence, mais aussi, le droit de participer à la conduite des affaires publiques, et enfin, le droit à un procès équitable et à un recours effectif.
À défaut, de la saisine de la Cour de justice de la CEDEAO sur les violations de l’État du Sénégal des droits de l’homme dans le cadre des processus électoraux, le président élu à l’élection du 25 février 2024, n’accédera pas au pouvoir conformément à l’article 1 (b) du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO: « Toute accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes et transparentes ».
Ndiaga Gueye
Doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication
Recherche en Marketing politique, Big data, Élections et Démocratie.
Laboratoire: LARSIC,
École Doctorale: ED-ETHOS
Université Cheikh Anta Diop de Dakar Sénégal