Au Sénégal, les foyers traditionnels d’éducation islamique enseignent le waqf, son utilité et sa contribution à la réduction de la pauvreté et au soutien aux couches sociales défavorisées. Les bénéficiaires de cette offre éducative de niveau supérieur maîtrisent, généralement, les théories du waqf, son objectif et sa finalité. Toutefois, l’applicabilité de ce principe de l’éthique écono- mique de l’Islam semble poser un véritable problème au Sénégal où l’aumône durable reste peu connue.
Si le waqf ne connaît pas un grand succès au Sénégal quelles sont les causes ? « Ceux qui sont en mesure de faire des waqf, les nantis ne connaissent pas cet instrument de solidarité ». [extrait entretien avec Serigne Ahmadou Alioune Fa- tou Cissé, Diamal le 26-03-2022]. Cette affirmation semble être confirmée par le fait que le développement de ces mécanismes de lutte contre la pauvreté (au Sénégal), est freiné par le manque d’information et de vulgarisation auprès des populations concernées.
« Le waqf est, presque, méconnu au Sénégal », écrit Abdoul Aziz Kébé dans son article intitulé « Zakat et waqf, deux institutions islamiques à caractère économique et social » [Revue d’études arabes et islamiques, N°1, 2013, institut islamique de Dakar, pp. 13-46]. La notion de redistribution des avoirs semble poser un problème chez certains concitoyens aisés. D’autre part, « c’est dans une période toute récente dans le monde musulman, que le waqf a commencé à être perçu comme un instrument de la politique d’aide au développement. L’initiative vient du gouvernement du Koweit qui en 1997 crée la Fondation publique des Awqaf du Koweit. En 2002 la banque islamique de développement met en place une Fon- dation mondiale pour le waqf ». [Makhtar Diouf, Islam et développement, Economie politique de la charî’a, presse universitaire de Dakar, 2008, p 185-186.]
Une analyse de la situation per- met de remarquer que le sens et la compréhension du waqf n’ont pas connu une évolution rapide au Sénégal. La mise en place, les méthodes et les démarches utilisées, démontrent l’existence de quelques faiblesses. Pourtant les compétences ne manquent pas. Il reste, donc, beaucoup de travail de sensibilisation et de conscientisation sur ce plan. Car, généralement, ceux qui ont appris ce principe islamique et connaissent son utilité et les recommandations divines n’ont pas les capacités financières pour sa mise en place. Ceux qui sont en mesure de le faire ne connaissent pas son importance en Islam, ses opportunités et l’insistance du Coran en sa faveur. Cela pose une véritable équation. Les recherches montrent qu’il y a une rupture entre la théorie enseignée et sa pratique. Le riche s’approprierait le waqf s’il savait ce que le Coran dit en ces termes : « il ne croyait pas en Allah, le Très Grand. Et n’inci- tait pas à nourrir le pauvre » [Sou- rate Al Haqa, verset 28-34.].
Pour sa part, As Ndaw dit : « j’ai décidé de créer une structure pour lever des fonds, d’un capital d’un milliard de FCFA, destinés au Daara de Koki afin d’améliorer, qualitativement et quantitativement le cadre de vie de ses apprenants ». [entretien le 21-08-2022 à Koki].
Si le waqf est bien organisé au Sénégal, les fonds peuvent financer des bibliothèques, des voyages aux lieux saints, des bourses d’études, des ponts, des routes, des pharmacies subventionnées pour les malades défavorisés, des accidentés, des handicapés physique ou morale, des prisonniers, des endettés, l’achat d’outils nécessaires pour des activités professionnelles, des entreprises confrontées à la banqueroute, de centres d’hébergement au profit
des déshérités. Les re-
tombées annuelles des cérémonies religieuses musulmanes du Sénégal pourraient créer des waqf solides pour régler, en partie, les problèmes d’infrastructure sanitaire, routière, éducationnelle et l’assainissement des villes religieuses du pays.
Une partie des aides, subventions et financements accordés aux associations islamiques et à l’Etat, depuis l’indépendance, par des pays arabes devrait pouvoir créer plusieurs institutions de waqf au Sénégal. Le besoin de manger, de boire, de se protéger contre la chaleur et le froid, bref la lutte contre la pauvreté est un combat continu voire éternel, un devoir humain. Dans l’histoire, l’opulence et la pauvreté se sont, souvent, côtoyées. Il serait bon de tenir des consultations nationales sur le waqf afin de déboucher sur des propositions concrètent réalistes et réalisables permettant de surmonter cette question.
Les riches devraient comprendre ce principe coranique qui sti- pule qu’ « Allah a favorisé les uns d’entre vous par rapport aux autres dans (la répartition) de Ses dons ». [Sourate An-Nahl, Verset 71]. Les nantis doivent comprendre que la richesse est, tout simplement, une faveur divine. Le Coran dit, aussi, « Allah répand ses faveurs à qui Il veut parmi Ses serviteurs ». Ceci est repris à la sourate 28, verset 82 ; sourate 29, verset 62, sourate 34, verset 39. Ces affirmations coraniques démontrent que les inégalités sont d’origine, certes, divine, mais l’Islam crée des mécanismes et des instruments pour à défaut de les supprimer, les réduire de manière considérable.
C’est d’ailleurs le bien-fondé, en Islam, de la redistribution des revenus. Les pauvres et les nécessiteux font l’objet d’attention particulière de la part de l’Islam qui fait de leur secours une obligation collective fardh kifaya et veille, à leur pré- server une dignité totale. En particulier les défavorisés qui ne manifestent guère leur pauvreté et que l’ignorant prend pour des riches. [Sourate Al-Baqarah, verset 273].
Une politique de vulgarisation du waqf auprès de tous les citoyens aisés pose jusqu’ici une véritable problématique. Le message ne passe pas, il y a du travail à faire à ce ni- veau afin de convaincre les riches que l’argent thésaurisé ne sert à rien.
Selon Adama Seck, 1er vice-président de la Fédération nationale des associations d’écoles coraniques du Sénégal (FNAECS) : « le waqf n’a pas joué le rôle qu’il devait jouer au Sénégal parce que tout, simplement, il n’a pas, encore, oc- cupé la place qu’il devait occuper ». Pour se faire, il faut créer un cadre, un lieu de rencontre pour ceux qui exercent dans différents domaines au Sénégal et ont les moyens sous la supervision de l’Etat pour la réalisation d’une fondation de waqf forte. Cela dit, une œuvre collective peut être un début de solution. Il faudrait, donc, mutualiser les forces. Il y a des efforts, mais comment les unir, c’est à ce niveau que la réflexion doit être axée à l’effet de trouver des solutions réfléchies permettant d’avoir des waqf durables dans ce pays. Les fonds mobilisés seraient confiés à des personnes sérieuses, honnêtes, sincères et de bonne foi afin de garantir une bonne gestion.
Une bonne institution de waqf au Sénégal pourrait prendre en charge les besoins des talibés d’écoles coraniques, la scolarité et les soins médicaux des orphelins, la construction des mosquées, la réalisation des programmes sociaux-culturels. En effet, « les inégalités sociales, trop accentuées, sont génératrices de crise, c’est-à-dire rupture de l’harmonie indispensable dans la marche de la société ». [Makhtar Diouf, ibid p 9].
L’ignorance du waqf au Sénégal démontre la vraie problématique qui existe entre l’enseignement du concept et sa pratique au sein des populations musulmanes. Une campagne de mobilisation générale visant à sensibiliser tout le monde s’impose à bien des égards pour une meilleure appropriation de ce principe au Sénégal. L’existence d’une multitude d’Associations islamiques soufies, salafistes, la non unification de leurs pro- grammes de travail, chacune ayant ses orientations, ses démarches, ses objectifs et ses finalités, serait un facteur bloquant, un frein sérieux qui empêche, en partie, le développement et la réussite du waqf. D’où la nécessité de créer un cadre unitaire de toutes les forces islamiques pour mieux conscientiser sur l’importance de l’aumône durable. Il faudrait une synergie, une mutualisation des forces pour une meilleure connaissance des opportunités qu’offre le waqf qui émane d’une action purifiée, pleine de foi, d’un cœur sincère et d’une volonté véridique.
La priorité est de créer un instrument collectif de persuasion, de conscientisation et de sensibilisation de ce principe de développe- ment social et économique en Is- lam. Et, sous ce rapport les médias ont, incontestablement, leur rôle fondamental à jouer sur la vulgarisation de ce moyen d’harmonisation sociale.
Le principe de waqf étant enseigné au Sénégal, il faudrait une mobilisation et une sensibilisation par des sermons, causeries, conférences, ateliers, séminaires, colloques, communiqués de presse et un enseignement-apprentissage graduel des vertus de l’Islam à tous les ni- veaux dans le but de permettre aux musulmans d’accéder à une vie morale et matérielle meilleure.
Ce qui assure le triomphe de l’Is- lam, c’est l’égalité sociale entre les membres de la communauté. Amar Samb estime que la lecture du livre de Ingrid Hunk, « le Soleil d’Al- lah brille sur l’Occident » permet de comprendre que l’organisation économique de l’Islam continue à émerveiller l’homme du XXIe siècle et de « saisir l’application, quasi, parfaitement, réussie des enseignements islamiques concer- nant l’économie. Mousoul, Bagdad, Damas, Le Caire, Samrcande, Del- hi, Kairouan, Tunis, Bougie, Fès, Courdoue, Tombouctou, autant de villesquitémoignentducaractère devenu légendaire de l’organisation économique en Islam ». [Amar, Samb, Organisation économique et social dans l’islam, bulletin de l’institut fondamental d’Afrique Noire, N° 154, 1977, p.45]
Par Dr Djim DRAME,
Chercheur au laboratoire d’islamologie de l’IFAN-UCAD
Publié dans WAQF Échos