lundi, décembre 23, 2024

Le Waqf, un levier de développement durable au Sénégal

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L’économie mondiale reste marquée depuis la crise économique de 2008 par de nombreux défis mettant en péril la croissance économique dans la plupart des pays. Il s’y ajoute, bien tardivement, les conséquences de la crise sanitaire inter- nationale engendrée par la COVID-19.

Une estimation du PNUD et de ONU Femmes, publiée le 2 septembre 2020, indiquait déjà que la pandémie de la COVID-19 allait faire basculer en 2021 au moins 96 millions de personnes dans l’extrême pauvreté. Selon le Fonds monétaire internatio- nal (FMI), l’inflation mondiale passe- ra de 4,7% en 2021 à 8,8% en 2022, avant de diminuer à 6,5% en 2023 et 4,1% en 2024. Le phénomène est plus notable aux États-Unis et dans les pays européens, avec comme corolaire un durcissement des conditions de finan- cement sur le marché financier inter- national.

Face à cette conjoncture, le gouver- nement du Sénégal, à travers le Plan Sénégal Emergent (PSE) s’est inscrit dans une politique de réduction des inégalités sociales, d’amélioration de l’accès aux services sociaux de base (santé, éducation, eau potable et as- sainissement), de redistribution des revenus et d’organisation de la solida- rité nationale. Dans ce cadre, l’Etat a décidé de développer et promouvoir le waqf au Sénégal.

Aumône durable

Le waqf, encore appelé « aumône durable », est un instrument de lutte contre la pauvreté de l’économie isla- mique. Son principe repose sur l’im- mobilisation d’un bien à perpétuité ou à temps et l’affectation de son usufruit à des œuvres de charité et de bienfaisance ou une œuvre d’intérêt général. Il est par ailleurs, une composante ma- jeure de la finance sociale islamique à l’image de la zakat, du takafoul (assurance islamique) et de la microfinance islamique. L’intérêt manifesté pour le développement du waqf trouve sa justification dans l’efficacité avérée de cet instrument contre la pauvreté, notamment dans l’accès aux services sociaux de base et l’amélioration des conditions de vie des populations démunies et des groupes vulnérables, à travers les expériences dans de nombreux pays membres et non membres de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI).

Ces résultats ont mis en exergue l’im- portance du waqf et ont amené l’Or- ganisation des Nations unies (ONU) à l’identifier comme une source impor- tante de financement pour faire avan- cer sa Vision 2030. Elle reconnaît que le waqf peut contribuer à l’atteinte de deux des Objectifs de développement durable (ODD), en l’occurrence l’ODD 1 – Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde ; et l’ODD 10 – Réduire les inégalités au sein des pays.

Le même intérêt vis-à-vis du waqf est manifesté par la Banque islamique de Développement (BID) dont la lutte contre la pauvreté occupe une place importante dans son action, avec la création du Fonds d’Investissement des Biens waqf (APIF en anglais) et le Fonds de Solidarité Islamique pour le Développement (FSID). L’APIF a pour but de privilégier les solutions intergé- nérationnelles à long terme, en lieu et place des palliatifs à court terme, pour résoudre les problèmes majeurs liés au développement économique et social. Le FSID quant à lui vise à promouvoir une croissance favorable aux pauvres,

mettre l’accent sur le développement humain, en particulier l’amélioration des soins de santé et de l’éducation, fournir un appui financier pour renforcer la capacité de production et les moyens durables de générer des revenus pour les populations pauvres, afin de réduire la pauvreté dans les pays membres.

Un concept novateur

L’institutionnalisation du waqf au Sénégal, à travers la loi n° 2015-11 du 6 mai 2015 relative au waqf et la création d’une structure dédiée au waqf dénommée Haute Autorité du Waqf (HAW) obéit à la volonté des plus hautes autorités sénégalaises, d’introduire ce concept novateur de performance dans la gestion de l’administration et de ses démembrements.

Fort de ces constats, l’Etat du Sénégal à travers une vision éclairée de Son Excellence le Président Macky SALL, a signé en septembre 2022, trois décrets portant constitution de trois waqf publics à savoir : le waqf public au profit des daara modernes ; le waqf public monétaire et le waqf public agricole. Pour ce qui est du waqf public au profit des daara modernes, il consiste à la mise en place d’un grand projet immobilier dédié à la prise en charge durable de la modernisation des daara au Sénégal. Concrète- ment, ce projet se veut garant de la pérennisation et de la fonctionnalité des soixante quatre daara (64) qui sont en cours de construction par le Gouvernement du Sénégal à travers son Projet d’Appui à la Modernisation des Daara (PAMOD). L’idée consiste donc à renforcer ce pro- jet éducatif à fort impact social par le levier du waqf à travers l’immeuble qui sera mis en lo

cation. Les revenus locatifs serviront au fonctionnement desdits daara. Concernant le waqf public monétaire, il a été constitué sous la forme d’un Fonds waqf public monétaire pour les secteurs de l’éducation et la formation, la santé, l’économie (autonomisation des femmes et des jeunes), l’action sociale (enfance en situation de vulnérabilité), l’hydraulique et l’assainissement. Le Fonds waqf public monétaire aura pour but de faire fructifier les ressources à sa disposition à travers des investissements conformes aux principes de la finance islamique pour, d’une part, assurer leur pérennité en générant des revenus stables et durables et, d’autre part, distribuer les revenus générés par ses investissements aux populations vulnérables. C’est sous ce rapport que la HAW a initié avec le concours des différents partenaires, le projet d’enrôlement dans le programme de couverture maladie universelle (CMU) de cent mille (100 000) « ndongo daara » par an ou enfants talibés qui sont dans les Daara (écoles coraniques), leurs maîtres coraniques et familles, ainsi que leurs « Ndeyou Daara ». Ce projet est financé grâce aux revenus générés par le Fonds waqf public monétaire, pour lui assurer une mise en œuvre durable.

Quant au waqf public agricole, il est mis en place afin de permettre à la HAW d’intervenir dans la chaine de valeurs agricoles à travers des investissements structurants, notamment l’aménagement de terres agricoles avec des possibilités de partenariat public privé et la chaine logistique avec la construction de magasins de stockage et de chambres froides, ainsi que le transport de la production agricole. Cette intervention a un double impact, d’une part une contribution à la croissance économique, et d’autre part, grâce à la redistribution à travers l’instrument waqf, un moyen de soutenir les populations vulnérables de façon pérenne et durable.

En résumé, le waqf est, certainement, l’institution la plus importante du tiers secteur pouvant couvrir ou renforcer le rôle de l’Etat dans certains secteurs tels que l’éducation, les infrastructures de santé et l’autonomisation des jeunes et des femmes.

Au Sénégal, il existe, dans la culture populaire, une forte propension à la solidarité sous forme d’aumône ou d’appui aux proches parents. Cependant, l’impact de cette solidarité reste souvent au niveau micro. Avec la loi sur le waqf, il devient possible, non seulement, de créer les conditions de mutualisation de l’aumône mais surtout de favoriser la constitution de nouveaux waqf avec comme résultat une accumulation d’un stock important de capital orienté vers l’investissement et la création de richesses.

En contribuant ainsi à l’augmentation du volume de l’investissement, le waqf participe à la croissance de l’économie. Ce qui n’entrave en rien sa fonction de redistribution de richesses et de lutte contre la pauvreté.

 

Par Dr. Ahmed Lamine ATHIE, Directeur des Waqf et du Partenariat – HAW M. Amadou NGOM,
Conseiller Technique du DG de la HAW

 

Publié dans le magazine Waqf Echos