Ils sont jeunes à l’âge où fleurissent les rêves des lendemains qui chantent. Ils ont l’âge où les études sont porteuses de l’espoir de réussir sa vie d’adulte. Ils sont apprentis, agriculteurs, pêcheurs, artisans, employés, sans emplois, etc. Ils abandonnent tout. Ils ont rassemblé toutes leurs économies. Ils ont quelques fois emprunté de l’argent. Ils ont décidé de tout abandonner, de partir, prendre les pirogues, faire ce voyage suicidaire. Ils sont mus par l’espoir d’une vie meilleure. Ils croient jusqu’à la folie qu’une vie réussie n’est plus possible dans notre pays. Les jeunes partent.
Ils sont poussés par l’espoir fou de s’enrichir en fast track comme ils voient, sous leurs yeux, sorties du néant, s’enrichir des personnes sans aucun mérite, aucun talent, aucune compétence particulière.
Les jeunes veulent immédiatement, sur le champ, sans emprunter la voie du travail dur, opiniâtre, persévérant qui produit petitement sou après sou, gagner le jackpot, aider leurs parents, se construire un bel immeuble, épouser une belle femme, envoyer leurs mamans et leurs pères à la Mecque ou à Rome.
Les jeunes veulent, un jour proche, revenir au bercail, jouer des doigts avec la clé de la belle berline garée devant le magnifique pavillon familial qu’ils ont construit.
Assis entre leurs frères et sœurs, ils souhaitent offrir des liasses de billets de banque à leurs parents, à leurs amis d’enfance et aux griots opportunistes venus déclamer leurs généalogies imaginaires.
Les jeunes ont vu à la télé et entendu à la radio, à longueur d’antenne, que le travail n’enrichît pas, que les études sont inutiles, que l’apprentissage est avilissant.
Les jeunes ont vu de leurs propres yeux que ce sont les voleurs de la République qui reçoivent les honneurs, qui épousent les plus belles filles de leurs quartiers, qui conduisent les plus belles voitures, qui font pousser les maisons cossues protégées par un mur imprenable.
Les jeunes savent qu’ils n’ont aucune chance de rejoindre cette caste de prédateurs arrogants.
Les jeunes voient, de temps en temps, revenir d’Europe leurs aînés qui étaient partis. Ils les voient heureux et riches.
Les jeunes veulent être comme eux.
Ils ne se posent pas de questions sur l’origine de leurs fortunes si rapidement acquises.
Les jeunes ont entendu moult fois, dans la bouche des adultes, que l’argent n’a pas d’odeur. Ce qui compte c’est de l’avoir. Et ils veulent être riches comme leurs aînés de retour au pays, comme ses voleurs des biens publics dont ils n’ont pas les moyens de les imiter.
Les jeunes ont choisi la voie de l’enrichissement rapide à leur portée, celle qu’ils croient possible malgré les risques mortels encourus.
Les jeunes investissent nos valeurs cardinales de jom, de fulla et de fayda dans cette quête suicidaire de réussite sociale et personnelle.
Les jeunes n’ont plus peur de la mort.
Ils ont été poussés à l’ultime état d’esprit, à la frontière entre la vie et la mort.
Réussir ou périr tel est désormais leur credo.
Les jeunes prennent ainsi consciemment les pirogues. Ils connaissent les risques encourus. Ils s’avent que ce voyage périlleux a toutes chances d’être sans retour.
Cependant les jeunes ne voient que la mince chance d’arriver à bond port, d’échapper aux gardes frontières et d’entrer clandestinement en Europe.
Les jeunes sont aveugles aux immenses risques de noyades, d’accidents, d’échouer sur des plages inconnues, de se faire prendre par les gardes côtes, etc.
Les jeunes en masse se noient dans l’Océan Atlantique. Ils n’arriveront presque jamais. Leurs rêves idylliques d’enrichissement rapide ne se réalisera jamais.
Cet hécatombe qui décime les jeunes de nos villages et de nos quartiers s’arrêtera lorsque cessera définitivement l’enrichissement facile sur le dos de l’État et la promotion par notre société des ses plus grands prédateurs.
Pour stopper ces morts inutiles, ces morts pour rien, notre société a besoin d’un NDËPP collectif, c’est à dire d’une RÉVOLUTION CULTURELLE.
Dakar, mercredi 16 août 2023
Prof Mary Teuw Niane