L’accès à l’eau est le cœur de notre stratégie de construction d’activités économiques tout au long de l’année, de maintien volontaire des populations dans les campagnes, d’attraction des jeunes par la terre et par le bétail, de création d’un cadre de vie épanouissant et enfin d’atteinte du bien-être des populations.
L’eau n’est pas seulement source de vie, elle est indispensable au maintien des femmes, des hommes et des jeunes, toute l’année, dans les contrées les plus déshéritées du pays.
Depuis les années soixante-dix, nos villes croulent sous le poids de l’exode rural que les pouvoirs publics ont été incapables de stopper. Ils n’arrivent même pas à l’infléchir. Cette accumulation de personnes, sans activité économique, produit une paupérisation croissante de la population que rien ne semble arrêter.
Dans les campagnes, la concentration des activités économiques dans les quatre mois autour de la saison des pluies est incapable de créer les richesses susceptibles de satisfaire les besoins des populations durant toute l’année.
Il n’est pas alors surprenant que nos villes étouffent, que les pirogues de la mort se multiplient en direction de l’Europe, que la pauvreté suscite la violence permanente dans les quartiers de la banlieue qui, lors d’événements propices, se déverse un peu partout dans la ville. L’aristocratie effrayée et les bonnes consciences effarées se répandent alors en leçons de morale mal placées, en remontrances choquantes sur le mauvais comportement d’une jeunesse affamée, désœuvrée et sans espoir de lendemains meilleurs.
L’eau est une matière stratégique qui relève de la souveraineté nationale et de la sécurité nationale.
Les politiques, erratiques, incompétentes, de l’eau depuis les indépendances n’ont rien produit de durable dans nos campagnes qui crée l’espoir pour les populations. Pourtant celles-ci observent avec envie les oasis que créent les industries agricoles dans leur voisinage, les laissant démunies face à leurs champs sans eau, à leurs pâturages asséchés et sans herbes.
Le Sénégal assumera sa souveraineté sur ses ressources en eau sans lesquelles aucune politique agricole durable n’est possible.
Sans souveraineté sur nos ressources en eau, il n’y aura jamais de port à Saint Louis ou à Pilote, de canal du Cayor, du Baol et du Sine, de canaux entre le Fleuve Sénégal et le Diéri, de revitalisation des vallées fossiles, de canal du Gandiole.
La reconquête de notre souveraineté sur nos ressources en eau, que les différents régimes ont bradés, est indispensable pour résoudre définitivement le désœuvrement général des hommes , des femmes et des jeunes dans nos campagnes.
Nos hommes politiques tournent autour du pot. Ils se débinent devant les intérêts nationaux.
Ils acceptent complices qu’une dizaine de milliards de mètres cubes d’eau se déversent à perte dans l’Ocean Atlantique plutôt que de faire vivre, douze mois sur douze, nos paysannes, nos paysans, notre jeunesse, nos campagnes.
La conquête de notre souveraineté sur l’eau doit s’accompagner d’une politique hardie de récupération des eaux de pluies à travers la construction de bassins de rétention en adéquation avec les normes environnementales, de réutilisation de l’eau, d’économie de l’eau par l’irrigation goutte à goutte, etc.
Ces masses d’eau qui submergent les villes durant l’hivernage, causant de graves inondations, doivent être transformées, de fléaux en aubaines, pour servir les exploitations horticoles autour des villes.
En ajoutant à cette stratégie, le développement d’une vraie politique de construction d’un réseau de forages pour l’agriculture, l’élevage et l’aquaculture, nous ferons du Sénégal un grand pays de production alimentaire qui met au travail toute sa population, la nourrit et qui exporte céréales, légumes, fruits, lait, viande, poissons et crustacés.
C’est pourquoi le Sénégal fera mieux que le Maroc et Israël lorsqu’il aura conquis sa souveraineté sur ses ressources en eau, développé une politique ambitieuse d’accès et de maîtrise de l’eau et mis en place un système de gestion durable de l’eau.
La conquête de notre souveraineté sur nos ressources en eau passera par de nouveaux accords qui respectent l’intérêt du Sénégal dans la répartition de l’eau et la liberté du Sénégal dans la construction d’infrastructures majeures indispensables à l’utilisation de l’eau du Fleuve Sénégal.
Notre pays a au fur et à mesure des années abandonné des pans entiers de sa souveraineté.
Nous devons avec patriotisme, fermeté et courage reconquérir la souveraineté sur nos ressources naturelles, économiques, financières et monétaires.
Nous participerons ainsi à la prise de conscience collective que non seulement l’eau est une ressource à préserver mais qu’elle est une ressource sur laquelle notre pays doit exercer sa souveraineté.
L’eau douce est le trésor le plus important du vingt unième siècle.
Elle est sans aucun doute la ressource naturelle la plus importante.
Nous briserons les chaînes qui empêchent notre pays de jouir pleinement de l’eau, cette ressource vitale pour son émancipation agricole et économique.
Dakar, mercredi 19 juillet 2023
Prof Mary Teuw Niane