Que ce soit celles de la police, des réseaux sociaux, des télés ou du gouvernement, les vidéos ne sont plus aujourd’hui une preuve d’une quelconque réalité. Au lieu de refléter la réalité, la vidéo lui fait une concurrence et réussit parfois à l’abolir. Jean Rousset disait à propos de l’art qu’il « ne recourt au réel que pour l’abolir et lui substituer une nouvelle réalité ». C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui avec les arts numériques. Soyons des citoyens accomplis en refusant d’inféoder notre intelligence à celle artificielle. C’est à l’intelligence de jauger et de juger les images vidéos ou photos, pas l’inverse.
Voici (voir vidéo) un exemple de la capacité de malfaisance de l’intelligence artificielle.
On peut faire des vidéos avec n’importe quelle photo. On est au-delà des fakenews. On est désormais à l’ère du fake-true news (c’est-à-dire une nouvelle à la fois vraie et fausse). Le réel n’est plus ce qui est là indépendamment de l’esprit, mais ce qui doit son existence même à l’esprit. Le problème que posait Descartes (4e méditation) sur le morceau de cire dont l’esprit déclare, après sa fusion au contact du feu, qu’elle est toujours la même cire trouve ici une nouvelle illustration et de nouveaux développements. Il faut que l’esprit assume sa suprématie sur le réel jusqu’au bout : s’il est vrai que les choses (encore que la notion de chose a changé) sont des réalités en dehors de l’esprit, la perception et surtout la conception que nous devons en avoir doivent refléter cette supériorité de l’esprit sur le réel. Ce n’est ni de l’idéalisme béat ni un onanisme intellectuel : les lois de la nature sont établies et axiomatisées par l’homme. Le réel serait certainement très pauvre et mystérieux sans la puissance de l’esprit.
Le problème que nous posent ces vidéos est aujourd’hui double. D’abord elles nous prennent toute notre attention, et par ricochet une bonne partie de notre capacité de discernement (ce qui fait que nous sommes des proies faciles à la manipulation du fait de la saturation de la conscience). Ensuite elles font la concurrence au réel : les choses les plus invraisemblables sont aujourd’hui « évidentes, factuelles, indiscutables). Les débats sont dès lors faussés car les prémisses desquelles nous partons sont floues, douteuses bien que permettant des inférences a priori ou formellement valables. Nous devons faire preuve de prudence avec les vidéos, elles ne prouvent ni n’infirment rien, car elles peuvent à la fois confirmer et infirmer le réel en malgré le réel.
L’intelligence artificielle est la prolongation de l’intelligence « naturelle » (je dis bien prolongation au sens sportif du terme). On s’en sert pour prolonger la ruse, le bien ou la malfaisance de l’homme en cas de dilemme. L’intelligence artificielle est devenue aujourd’hui un enjeu de géopolitique, il suffit simplement de voir comment les media diffusent des fausses vidéos sur la guerre en Ukraine pour s’en rendre compte.
Par Alassane K. KITANE