En 2011-2012, il a été au chevet de Macky Sall, de Cheikh Bamba Dièye, d’autres personnalités comme d’illustres anonymes, à l’instar de Mamadou Diop emporté par le dragon de la police. Le 16 mars, dans un bref entretien réalisé dans l’enceinte de sa clinique où affluaient les manifestants blessés, il nous contait Suma Assistance, fondée il y a 36 ans, qui n’est rien d’autre que ‘’ce qui m’appartient’’. Pas à lui, mais à chaque Sénégalais.
C’est un Babacar Niang très souriant qu’on avait quitté ce jour-là, le 16 mars dernier, dans l’enceinte même de sa clinique Suma Assistance. Il venait juste d’arriver, n’était même pas encore sorti de son véhicule. Accroché, il s’est prêté volontiers aux questions. Sur l’affluence des manifestants dont certains avaient fini de faire de l’établissement un lieu de refuge, il répondait : ‘’D’abord, je pense que c’est dû simplement à un problème de voisinage ; ce qu’on appelle ‘aakhou deukeundo’. Quand on a un bon voisin qui se trouve dans des difficultés, en bon citoyen, en bon être humain, on se doit de l’assister. C’est un devoir.’’
Les impacts, il n’est pas le seul à les ressentir. Même les patients en souffrent dans leur chair. La fumée et l’odeur des grenades lacrymogènes les rejoignaient jusque dans les chambres, se plaignait-il déjà. ‘’J’ai eu à téléphoner au commissaire de Dieuppeul, à chaque manifestation, pour lui dire de penser aux gens qui sont là, d’informer les gens que nous sommes dans un hôpital. Aujourd’hui, j’ai failli mettre deux barrages d’ambulances dans la rue, avec des tenues blanches, pour leur montrer que c’est une zone de soins….’’, avait-il dit à ‘’EnQuête’’, lors de l’entretien qui a eu lieu vers les coups de 19 h.
Son message semble être tombé dans l’oreille d’un sourd. Il faut, en effet, demander aux députés de Yewwi Askan Wi et à certains journalistes qui ont été gazés devant la clinique. Résultat : certains clients fuient son établissement à cause des désagréments. D’autres, qui auraient pu venir, tentent de l’éviter. Tout en s’excusant auprès des pensionnaires, l’urgentiste reste droit dans ses bottes et compte poursuivre le seul combat qui l’intéresse : porter assistance aux gens qui n’en sont pas pourvus. Ce qui date bien avant l’affaire Ousmane Sonko et l’implantation à la cité Keur Gorgui.
En 2011-2012, alors que Suma était sur l’avenue Cheikh Anta Diop de Dakar, il était déjà le préféré de beaucoup de personnalités et des manifestants victimes de la répression policière. Comme par prémonition, lors de l’entretien, il prenait à témoin le président de la République et Cheikh Bamba Dièye. À la question de savoir pourquoi sa proximité avec l’opposition, il répond : ‘’Ce qui se passe aujourd’hui se passait en 2011-2012. L’actuel président lui-même venait à Suma avec des blessés. Vous pouvez aussi appeler l’ancien maire de Saint-Louis, M. Dièye, qui a eu un traumatisme crânien et qui était passé chez nous… C’est en l’accompagnant dans nos locaux, à l’époque, que Macky Sall lui-même avait interpellé le président Wade en lui disant que si ça continue, il va déposer une plainte à la Cour de La Haye… Je me demande parfois si l’homme a une mémoire.’’
Né il y a près de 67 ans, grandi à Ngor, le Dr Niang est rentré au Sénégal au milieu des années 1980 et a fondé ce qui est devenu une référence en matière de couverture médicale de certains grands événements. Suma, comme il le définit, est un mot wolof qui signifie ce qui m’appartient. ‘’Suma appartient aux Sénégalais. C’est pourquoi nous sommes partout où se trouvent les Sénégalais. Pas seulement dans les manifestations politiques. Ça fait 36 ans depuis qu’on a commencé à couvrir le Magal de Touba, pour assister les gens gratuitement pendant cinq à six jours. On fait la même chose à Tivaouane et à Popenguine. On a donc une envergure nationale. Comme je l’ai dit, on est partout où on peut trouver les Sénégalais. Et on reçoit toutes sortes de malades. Aujourd’hui même, on a reçu des conducteurs de moto, un monsieur qui avait son pousse-pousse et qui a été blessé… On est là pour les Sénégalais’’.
Covidgate
En tout cas, pour ce qui est de la couverture des rassemblements politiques de l’opposition, Suma est devenu un leader incontestable et incontesté. À chaque fois, explique son fondateur, il y a un dispositif spécial composé d’un médecin, d’un infirmier, d’un ambulancier et d’une ambulance, ainsi que d’autres qui sont en alerte, prêts à se déployer en cas de nécessité. Pour lui, cela n’est pas propre aux manifestations politiques. ‘’Quand il y a eu les événements du stade Demba Diop, c’est nous qui étions sur place. C’est nous qui avions informé le Samu et SOS Médecins. C’est ce dispositif que nous appelons la couverture médicale chez nous. On a aussi notre système qui est basé sur les abonnements. On pense qu’à chaque fois qu’il y a une population, il y a un abonné parmi eux. Pour ces abonnés, on s’est engagé à être avec eux partout où il peut y avoir des problèmes. Tout ce qui nous intéresse, c’est l’être humain, c’est de le soulager et de le laisser partir’’.
Pour lui, le Suma s’aligne ainsi sur les standards internationaux. En Europe, explique-t-il, partout où il y a des groupements de plus de 50-100 personnes, le préfet doit mettre en place des systèmes de secours pour tout le monde. ‘’Ici, même les gens en tenue, quand ils se blessent, il n’y a personne pour les assister. On voit de beaux camions d’intervention, mais rien pour secourir. Le ministère de l’Intérieur devait mettre quelques véhicules de secours pour tous. Pas seulement pour les hommes de tenue’’, alerte le spécialiste qui n’a pas manqué de s’interroger sur l’absence des pompiers et du Samu dans la couverture des manifestations politiques.
‘’J’ai une fois demandé pourquoi. Il semblerait qu’il y a une législation qui le leur interdit. Avant, on disait que ce sont les manifestations non autorisées qui ne sont pas couvertes. Mais la vérité est qu’il y a des manifestations autorisées et on ne les voit pas’’.
Révélé au grand public par la Covidgate, le docteur Babacar Niang s’est toujours battu contre les injustices, aux côtés des faibles. Aux Législatives de 2022, il a été investi sur la liste nationale de Jammi Gox Yi dirigée par Fadel Barro. Selon les proches de Doudou Sène, agent à la mairie de Médina tué lors des manifestations alors qu’il défendait sa mairie, Suma l’aurait négligé, parce que, dénoncent-ils, c’est une clinique qui donne la priorité aux partisans du Pastef. Ce que le médecin urgentiste réfute catégoriquement.
Revenant sur l’intervention qui l’a le plus marqué, l’urgentiste déclare sans hésiter : ‘’C’est Mamadou Diop écrasé par le dragon. On avait d’ailleurs donné son nom à une ambulance.’’
Mobilisation, depuis son arrestation
Depuis son arrestation, ses collègues médecins semblent se mobiliser pour lui porter assistance. Pour Boubacar Signaté qui ne semble pas toujours en phase avec lui, il faut reconnaitre au médecin ses qualités. Sur sa page Facebook, il déclare : ‘’Si certains me voient défendre le Dr Babacar Niang, ils seront sans doute étonnés et d’autres se diront, c’est parce que ça concerne Sonko (il semble être proche ou membre de Pastef, NDLR). Rien à voir. Je reste sur des principes. Ceux de défendre mon collègue, un confrère et un aîné, celui dont on parle dans mon sermon et dans mon Code de déontologie médicale. C’est un homme difficile, caractériel. J’avais des relations très heurtées avec lui et le personnel de Suma Assistance, y compris sur les réseaux sociaux. Sur le plan humain, il a des qualités, des défauts, il fait de très bonnes choses et de moins bonnes choses. En somme, c’est une personne normale.’’
Sur le plan médical, rappelle M. Signaté, le directeur de Suma est le premier des médecins urgentistes du Sénégal, un entrepreneur médical et un grand professionnel. À en croire le médecin, le Dr Niang peut aussi être un excellent diplomate. Comme fatigué par les critiques de son jeune frère, il le fit appeler un jour dans son bureau. Il lui dit, rapporte Boubacar dans son témoignage élogieux : ‘’Boubacar, on va faire une chose : Tout ce qui concerne Suma Assistance que tu veux dénoncer de bonne foi, que tu veux critiquer de façon objective, fais-le, comme tu le fais avec d’autres, comme tu le fais avec le ministère ou avec notre système de santé en général. Si tu veux m’en parler avant, ce serait bien, mais tu n’es pas obligé. Suma Assistance, ce n’est pas pour moi, c’est pour tout le monde. Donc, tu as aussi un droit de regard sur ce qui s’y fait.’’
Maintenant, pour tout ce qui concerne le docteur Babacar Niang, enchainait-il, ‘’lui c’est ton grand frère, tu viens toquer à ma porte ou tu viens à la maison et tu m’en parles. Parce que si je t’entends encore parler de moi, SOS Médecins ‘laa lay fek’ ou bien je débarque chez toi et tu verras que ‘douma sa morome’. Et on a rigolé, je suis parti. Depuis, si jamais, je passe aux Almadies à côté de chez lui, qu’il me voit passer sans m’arrêter et lui dire bonjour, c’est des histoires. ‘Lolou la sekheu ak grand bi’’’, rapporte le jeune médecin à l’endroit de celui qu’il présente comme son grand.
Mor Amar, Enquêteplus