L’augmentation des investissements et l’optimisation de la dépense dans le secteur agricole – autrement dit, dépenser plus et mieux – permettront de transformer l’agriculture sur le continent et d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Alors que l’Afrique abrite le plus grand nombre de personnes qui n’ont pas même un repas par jour, de hauts responsables africains et mondiaux, réunis vendredi 27 janvier autour d’une table ronde de haut niveau, ont partagé leurs visions sur les « Politiques de transformation de l’agriculture africaine » pour nourrir les Africains. Cette session était organisée au troisième et dernier jour du Sommet Dakar 2 sur l’alimentation et l’agriculture en Afrique.
« Comment les décideurs politiques peuvent-ils soutenir au mieux l’agriculture africaine face aux changements climatiques ? Comment rendre les environnements politiques et institutionnels plus favorables pour attirer des partenariats potentiels dans l’agriculture ? Quel est le rôle des gouvernements dans la formalisation des emplois et la réforme foncière pour rendre le secteur agricole plus inclusif ? ». Ce sont autant de questions autour desquelles les responsables ont partagé leurs visions.
« Des solutions innovantes sont importantes pour gérer et résoudre les problèmes de l’insuffisance alimentaire en Afrique », a déclaré M. Siméon Ehui, le directeur régional chargé du développement durable pour l’Afrique à la Banque mondiale. Il faudrait, selon lui, augmenter les investissements publics, réformer les politiques et mettre en place des institutions pour accéder au marché international. Ses propos ont trouvé écho chez Hervé Ndoba, le ministre centrafricain des Finances et du Budget, pour qui l’augmentation des investissements doit s’accompagner d’une optimisation de la dépense.
« Avant d’augmenter les investissements, il faut accroître la mobilisation des ressources », a-t-il indiqué. « Les ressources existent. Il faut simplement les capter, aller les chercher », a-t-il poursuivi, soulignant, par exemple, que dans le cadre des changements climatiques et du développement durable, l’Afrique, qui abrite le deuxième poumon vert dans le monde, devrait aller capter la finance verte.
Pour le ministre sénégalais de l’Élevage et de la Production animale, Aly Saleh Diop, la question alimentaire est centrale pour les pays africains et les gouvernements devraient mettre en place un environnement institutionnel propice pour développer une agriculture compétitive, résiliente et durable. Et cela passe par la mise en place de politiques agricoles robustes. Le Sénégal, a-t-il indiqué, a adopté une loi d’orientation agro-sylvo-pastorale pour dessiner le cadre institutionnel dans lequel l’ensemble des acteurs (agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, transformateurs, etc..) puissent produire et faire face aux effets des changements climatiques. Un code pastoral a été également adopté pour prendre en compte les besoins des agriculteurs et des éleveurs. Le ministre a aussi souligné que le secteur privé, « moteur de la croissance économique », doit être celui du développement de l’agriculture africaine et l’État doit l’accompagner avec la mise en place d’infrastructures.
Synergie d’action gouvernement-secteur privé
Abu Bakarr Karim, le ministre sierra-léonais de l’Agriculture et de la Sécurité alimentaire, a indiqué que l’humain doit être au centre du développement de l’agriculture africaine car, en fin de compte, la pratique de l’agriculture vise à nourrir l’homme.
S’exprimant sur les politiques menées en Sierra Leone pour développer le secteur, il a indiqué que le gouvernement avait fixé à la banque centrale un taux directeur à un chiffre, pour permettre aux banques commerciales de prêter à moindre coût aux exploitants agricoles.
« L’accès aux financements est crucial pour la mise en œuvre des programmes agricoles. Mais les exploitants agricoles, les distributeurs d’intrants ont des difficultés à accéder aux crédits. Les banques commerciales leur proposent des crédits à deux chiffres », a indiqué M. Karim, ajoutant que son gouvernement envisage de créer une banque agricole ou, à tout le moins, une banque favorable aux prêts agricoles.
« L’accès à des intrants de qualité est crucial, car si on n’a pas de bons intrants adaptés aux conditions écologiques, les rendements ne sont pas au rendez-vous ». À cet effet, la Sierra Leone s’est dotée d’une agence de réglementation pour disposer d’intrants et de semences de qualité, en même temps qu’elle développe la recherche pour augmenter la productivité agricole.
Représentant le secteur privé africain, M. Chakib Alj, PDG de CAP Holding, leader de l’agro-industrie au Maroc, et président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), a appelé le secteur privé de tous les pays africains à s’investir massivement aux côtés de leurs gouvernements pour développer l’agriculture africaine et résoudre la question de l’alimentation. Soulignant que l’Afrique n’a pas de choix que de se nourrir, car l’expérience avec le conflit russo-ukrainien a montré que les agroindustriels approvisionnaient d’abord leur pays avant de penser à l’exportation, Chakib Alj a noté que le Maroc avait développé son secteur agricole grâce à une synergie d’action gouvernement-secteur privé. Le Maroc a investi en une décennie plus de 10 milliards de dollars dans l’agriculture, dans le cadre du Plan Maroc Vert, permettant d’accroître de 7 à 12 milliards de dollars la part du secteur agricole dans le PIB du pays, a-t-il dit. Le secteur privé a pris une part importante dans ces résultats car, « sur les 10 milliards de dollars, il y a eu 60 % d’investissements privés et 40 % provenant de l’État. »
L’Union africaine appuie les pays africains pour assurer leur souveraineté alimentaire et met actuellement en œuvre des mécanismes pour les aider à faire face aux différents chocs liés aux changements climatiques, aux effets du Covid-19 et de la guerre en Ukraine, a assuré Josefa Sacko, commissaire chargée de l’Agriculture, du Développement rural, de l’Économie bleue et de l’Environnement durable à la Commission de l’Union africaine.
Dans une déclaration liminaire qui a ouvert la table ronde, le directeur du Développement durable au ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères Christophe Guilhou a déclaré que la France se tenait aux côtés des populations et des gouvernements africains pour parvenir à la souveraineté alimentaire et la résilience.
Au terme des débats, les participants ont vivement souhaité que Dakar 3 – le prochain sommet sur l’agriculture et l’alimentaire – soit l’occasion de célébrer la grande victoire du génie créateur africain. « Parce que l’Afrique (serait arrivée) à se nourrir de façon autonome et à s’affranchir définitivement des caprices du marché international », a conclu le modérateur de la table ronde, le chercheur sénégalais Papa Abdoulaye Seck.